samedi 14 décembre 2024
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Réaction de Monique Kam aux propos de l’ambassadeur français: Le prix du devoir de franchise (Tribune)

Ceci est une tribune signée Docteur Evariste Faustin Konseibo sur la réaction de Yéli Monique Kam relative à la sortie médiatique de l’ambassadeur de France au Burkina. Lisez !

Suite aux propos controversés de l’ambassadeur de la République française, Madame Yéli Monique Kam a lancé, au nom du Mouvement M30 Naaba Wobgo, une campagne publique [1] exigeant tout à la fois « le départ de l’ambassadeur de la France, Monsieur Luc Hallade », « le retrait des assistants techniques français de toutes nos institutions », « la résiliation immédiate des accords militaires avec la France » et « la suspension des accords économiques ». La politique française en Afrique, ou de quelques autres puissances étrangères, n’est pas un tabou au Burkina Faso, chacun étant libre de poser sa voix dans le concert de ceux qui voient dans la République française un facteur d’aliénation de notre souveraineté nationale. Même si la harangue politicienne a ses règles, peu soucieuses de la finesse des arguments, il n’est jamais inutile d’examiner des questions aussi graves avec sérénité, en commençant par rétablir chacun des protagonistes dans la réalité de ses propos.

1. Nous connaissons tous le Burkina Faso qui, depuis l’ordonnance du 2 août 1984 signée par le capitaine Sankara, est le nom officiel de notre pays. À quoi bon affubler celui-ci d’un qualificatif qui n’a plus lieu d’être depuis cette date pour en faire la « République du Burkina Faso », sauf à manifester une nostalgie de la République de Haute-Volta léguée par la colonisation ? Lorsqu’on donne des leçons de patriotisme à ses concitoyens, on respecte l’intégrité du nom de son pays et de ses institutions. À force de pure détestation, on finit par attraper les tics de langage de ses adversaires, ce qui ne doit pas manquer de les amuser en coulisse…

2. Le 5 juillet dernier, l’ambassadeur de la République française au Burkina Faso ne s’est pas adressé au « Sénat français », mais au Groupe interparlementaire d’amitié France-Afrique de l’Ouest, composé d’une cinquantaine de sénateurs, dont seulement six ont participé à la réunion organisée par visio-conférence. Au nom du principe d’indépendance à l’égard de toute puissance étrangère, et dans le cadre de la diplomatie parlementaire conduite par le sénat français, ce Groupe a pour mission de recueillir toutes les informations utiles à la bonne compréhension de la situation générale des pays de sa zone d’attribution. Cette réunion n’était donc pas publique, mais technique — même si un compte-rendu [2] a été publié sur le site du sénat français par souci de transparence —, si bien que monsieur Hallade était invité à fournir, en toute sincérité et de son point de vue, des données et des informations sur la situation prévalant au Burkina Faso, en dehors de toute considération d’opportunité diplomatique ou de bienséance politicienne. C’est ce que font chaque jour nos propres diplomates chaque fois qu’ils sont sollicités par les autorités et les institutions du Faso, n’en déplaise à madame Kam, qui semble considérer qu’un diplomate a d’abord une mission de complaisance, voire de travestissement de la réalité, ou pire de mensonge, à l’endroit des autorités du pays où il accomplit sa mission d’ambassade.

3. Le 21 juillet dernier, le général Laurent Michon, commandant en chef de la force française Barkhane, répondant à une question sur l’origine des armes dont disposent les groupes armés opérant sur le territoire burkinabè [3], a précisé que ces armes avaient, pour l’essentiel, une double origine : le trafic prévalant de longue date dans la zone sahélienne et les prises effectuées par ces groupes lors des attaques contre nos forces de défense et de sécurité. S’il est vrai que, dans le vif de la conversation, sa formulation était pour le moins très maladroite, il est malhonnête de tronquer ses propos pour lui faire dire le contraire de ce qu’il a dit, sauf à supposer — ce qui ne saurait concerner madame Kam — une capacité de compréhension limitée de la part de ses interlocuteurs, ou pire, un parti-pris de mauvaise foi.

4. Le 14 juillet dernier, à l’occasion de la commémoration de la fête nationale de la République française [4], monsieur Hallade a effectivement prononcé des mots fleuris pour dénoncer le « prurit numérique » suscité par des « idiots utiles » qui, « abrités derrière un écran d’ordinateur (…) contribuent par leurs outrances, leur virulence, leurs vitupérations, à la déstabilisation de ce pays » — ce que disent aussi, mais de manière plus policée, tous les textes de loi pris, au regard de la situation sécuritaire, pour contrôler la production et la diffusion médiatique de l’information. Certaines informations erronées ou manipulées peuvent provoquer des situations de déstabilisation, quelle lapalissade ! — sauf pour qui trouve plus commode de porter des œillères et de considérer que les réseaux sociaux ne sont pas un espace où s’affrontent des États, des organisations, des groupes de pression à grand renfort de moyens financiers, humains, techniques, intellectuels.

Si madame Kam estime qu’accuser un pays étranger, la République française en l’espèce, d’armer les groupes qui attaquent nos intérêts nationaux n’est pas l’œuvre d’« idiots utiles » participant d’un « prurit numérique », et qu’il y a quelques vérités documentées dans ses affirmations, il faut qu’elle tire toutes les conséquences de cet acte manifeste de belligérance au lieu d’agiter un chiffon rouge pour la forme et par souci de chahut médiatique.

Lorsque la main montre la lune, il y a ceux qui voient la lune et ceux qui voient la main. Les premiers osent affronter la réalité en face, ce qui est parfois douloureux ; les seconds trahissent la fragilité de leur posture — si ce n’est malhonnête, c’est infantile.

5. En quoi les propos relevés par madame Kam dans sa diatribe « révèlent (-ils) une tentative de la part de ces personnalités françaises, de dresser nos différents corps de FDS les uns contre les autres et les populations civiles contre nos FDS » ? On cherche en vain une argumentation, des liens de cause à effet, des références documentées qui pourraient donner quelques consistances à un discours qui, au final, n’est rien d’autre qu’une longue suite d’imprécations et de menaces. Menace contre le président du Faso, sommé de produire des « résultats chiffrés » lors de la « reddition de ses comptes » ; menace encore contre le président du Faso, sommé d’exercer un « leadership de fermeté envers les partenaires internationaux » ; menace toujours contre le président du Faso, sommé de se rendre « prisonnier du peuple » — entendez, la fraction du peuple que madame Kam a l’ambition légitime de représenter — ;  menace contre l’ambassadeur de la République française et contre les coopérants techniques, sommés de déguerpir séance tenante ; menace contre les « citoyens burkinabè et leurs complices internes et externes de tous les corps professionnels qui tenteraient de porter atteinte à l’intégrité physique du prédisent du Faso » ; menace contre tous ceux qui n’adhéreraient pas à la lutte contre « la politique française au Burkina Faso et en Afrique » de « lever des protestations ».

Il est vrai que l’objet du Mouvement M30 Naaba Wobgo est d’être contre, mais à ce point, on frise la pathologie ; ce qui, si on n’y prend pas garde, est de nature à provoquer dans certaines parties de la population des réactions spontanées aux conséquences nuisibles à la mise en place d’un consensus national. Ajouter de la confusion à la confusion apporte rarement de la clarté, quand il n’en résulte pas un chaos si terrible que nul ne pourra jamais plus y trouver aucun fil d’Ariane. Le drame avec une ligne rouge, c’est qu’on ne la franchit qu’une seule fois…

6. Dans les circonstances que connaît notre pays, aucun Burkinabè n’est prêt à aliéner notre souveraineté nationale, ni à permettre à une force étrangère d’opérer sur notre territoire de son seul gré, et encore moins de supporter sans réagir que des factions intérieures ou des organisations opérant depuis l’étranger déstabilisent notre nation ; de même que la lutte contre la corruption et la mal-gouvernance, le retour à la paix et à l’ordre constitutionnel, la réinstallation des déplacés, la normalisation de la vie économique participent d’une volonté commune à tous les Burkinabè. Et les autorités de la Transition, sous la conduite du président Damiba, en sont conscientes au plus haut point puisqu’elles ont engagé leur nom — et à en croire certains activistes, leur vie — sur ce programme somme toute ambitieux sur une période aussi courte. Mais ces autorités ont-elles besoin qu’on vienne les distraire de leurs objectifs premiers avec des sornettes d’un temps où les politiciens déversaient, depuis Ouagadougou, des flots de discours sommant la réalité et la vie quotidienne des gens de se conformer à leurs fantasmes ?

7. La situation qui prévaut au Burkina Faso est complexe, si bien que les solutions qu’on doit y apporter le sont à proportion, ce qui exclut de simplement procéder par pétition de principe, et moins encore par imprécation. En premier lieu, il convient de comprendre cette situation en multipliant les points de vue, y compris et surtout ceux qui dérangent le plus — le confort intellectuel n’ayant, en général, d’autre conséquence que de creuser la tombe de l’avenir. À l’évidence, les services de l’ambassade de la République française, madame Kam, mais aussi les autorités de la Transition [5], ont une vision différente de la situation de crise que nous vivons tous ; les premiers s’attachant à décrire un « conflit endogène », proche d’une « guerre civile (…), une partie de la population se rebellant contre l’État et cherchant à le renverser » ; les seconds y voyant la main d’organisations basées à l’extérieur au motif que « tous les combattants terroristes ne sont pas que des Burkinabè, et que les chefs et financiers de ces groupes terroristes ne sont pas des fils de ce pays ».

Si cette divergence d’analyse fait aujourd’hui du bruit aux oreilles de l’opinion publique, suscitant une avalanche de réactions plus polémiques les unes que les autres, elle n’est pas nouvelle puisqu’elle occupe, depuis presque l’origine de la crise, les débats dans les cercles politiques, diplomatiques et scientifiques. L’indignation, simulée ou réelle, porte moins sur le contenu de cette divergence que sur sa manifestation publique — la question étant de savoir à quel dessein l’ambassade de la République française a décidé de matérialiser cette divergence par une série de déclarations alors qu’elle sait parfaitement que nos autorités et nombre d’activistes de médias et de réseaux sont totalement réfractaires à ce narratif. Faut-il y voir, à l’instar de madame Kam, une intention malveillante ; ou au contraire, un geste de franchise amicale — toujours intéressé lorsqu’il s’agit d’une puissance étrangère, même si c’est un travers obligé dans les relations internationales — destiné à rompre le cercle infernal de l’aveuglement ? Même s’il peut y trouver un intérêt particulier, chacun sait qu’un ami souscrit un devoir de franchise, qu’il a seul l’opportunité d’exercer — tant que cela conserve quelques utilités communes.

Tant de bruit, de fureur et de menace pour un petit excès de franchise [6] par monsieur Hallade, ambassadeur de la République française au Burkina Faso, mais commué illico presto en flagrant délit de violation des conventions diplomatiques. Quelle fragilité faut-il présumer pour que des activistes se sentent à ce point déstabilisés par si peu ? Si ces passes d’arme sont le quotidien des diplomates, dont le métier est de parler de ce qui fâche et paraît irréconciliable, il est certain qu’elles n’entrent pas dans l’habitus des activistes les plus enflammés, qui ne tardent jamais à en faire un casus belli — et pour certains, pas seulement symbolique.

8. S’agissant des narratifs ou des master stories qu’ils mobilisent à l’intention de l’opinion publique, les pouvoirs publics et les autorités diplomatiques sont, par principe autant que par stratégie, avares d’arguments et de preuves. Le plus souvent, on ne dépasse pas le stade du discours performatif où le seul fait de dire une chose suffit pour avérer l’existence de cette chose. En revanche, les scientifiques ne peuvent se permettre le luxe de ces pirouettes discursives ; même si la démarche scientifique n’est jamais exempte de biais cognitifs, les scientifiques doivent livrer les arcanes de leur démonstration sous peine de sortir du champ scientifique et d’entrer dans celui, plus périlleux, du simple discours d’influence. Lorsqu’on prend la peine de faire une revue de la littérature scientifique concernant la crise du Sahel dont participe la situation au Burkina Faso [7], on se rend vite compte que la majorité des études concluent à la primauté des causes définies comme endogènes dans la zone concernée par la crise sur les causes définies comme exogènes — même s’il faut s’interroger sur le sens et la portée de ces deux concepts dans un contexte où la géographie des espaces échappe pour beaucoup à l’architecture juridique [8].

Dans les narratifs valorisant les causes exogènes, certains évènements conjoncturels sont systématiquement surdéterminés au détriment d’une approche globale et sur le long terme du processus de crise en cours. Ainsi l’impact de l’intervention désastreuse de la coalition occidentale en Libye, en 2011, a certes donné un coup d’accélérateur à l’histoire récente du Sahel, mais n’a certainement pas créé, ex nihilo, le processus de désarticulation progressive de l’héritage colonial, là où l’État-nation, ses frontières, sa gouvernance centralisée, son parti-pris d’urbanisation, son mépris de la nature, sa prédation économique au profit d’une minorité bourgeoise, entre frontalement en conflit avec la résurgence de formes d’organisations politiques et sociales puisant à un fonds de civilisation vieux, au minimum, de plusieurs siècles en Afrique. Le coup de force libyen, conduit avec arrogance par un président français en mal d’aventure, a offert des opportunités à ce mouvement de fond pour un nombre croissant de territoires et de peuples dans la sous-région, des opportunités matérielles, humaines, idéologiques. Rien de plus.

De même sur le marché idéologique, jadis partagé entre le libéralisme et le marxisme, l’émergence d’un islam plus politique, se cristallisant à l’échelle internationale dans Al-Qaïda, puis Daech, avant d’essaimer vers le sud en passant par l’Algérie, la Libye, le nord du Mali, ne doit pas faire oublier que la ré-islamisation de l’Afrique de l’Ouest par l’obédience salafiste, au détriment de la tradition soufiste, est une tendance de longue haleine. Là aussi, cette émergence et cette tendance de fond ont opportunément fourni un cadre idéologique et des formes d’organisation à des mouvements de revendication dont les racines sont d’abord locales — ce que disent la quasi totalité des études lorsqu’il s’agit de départir l’habillage religieux des revendications formulées des réalités socio-culturelles qui en sont le substrat.

Là où la braise couve sous la cendre, on peut ranimer la flamme en soufflant dessus ; mais là où il n’y a aucune braise, aucun souffle ne ranimera aucune flamme. Les pompiers le savent bien : jamais ils ne parviendront à vaincre le vent, mais ils peuvent faire en sorte que le vent ne trouve jamais aucune braise à attiser, parce qu’ils ont réussi à les éteindre toutes. Voilà trivialement résumé la douloureuse question des causes endogènes et des causes exogènes soulevée par madame Kam à la suite des déclarations de l’ambassadeur de la République française : faut-il s’attaquer au vent, ou faut-il s’attaquer à la braise ?

9. Il est sans doute plus confortable de considérer que nos problèmes sont les fruits maléfiques d’une conspiration ourdie de l’extérieur par des groupes détournant du droit chemin de la Nation des populations naïves et impuissantes, ce qui exonère de toute responsabilité la classe dirigeante ayant depuis les Indépendances conduit notre pays au bord du précipice. Et si monsieur Hallade, ambassadeur de la République française, avait raison ? Et si une partie, même infime, de la population burkinabè était entrée en état d’insurrection contre l’État, cherchant à dissoudre, dans les territoires qu’elle occupe, toutes ses ramifications au profit d’une organisation sociale et politique renouant avec la tradition de l’allégeance, mais aussi la tradition de la coopération libre ? Et si notre incapacité à surmonter cette crise était due au fait que nous refusons d’admettre que le pacte social issu de la colonisation est fracturé, qu’il a perdu sa base populaire et qu’il ne produit plus de cohésion ? Et si nous avions essentiellement peur de reconnaître que chacun de nous, par insouciance et confort, est responsable de cette crise majeure, que nous nous cachons derrière le fait militaire par pure commodité de vie et que nous attendons benoîtement que d’autres règlent, avec leur sang, un problème qui concerne pourtant ce que nous partageons de plus intime comme Peuple, la terre léguée en état de souveraineté par nos ancêtres ?

Quand le président Damiba affirme qu’« il y a davantage de nationaux dans les rangs des groupes que d’étrangers » [9] et que « ceux qui nous attaquent ne viennent pas d’ailleurs (…). Ce sont nos propres frères qui ont pris les armes contre nous. » [10] ; qu’il décide la création de Comités locaux de dialogue pour la restauration de la paix ayant pour mission d’« initier des approches avec les membres des Groupes en rupture de dialogue avec la Nation » [11] ; qu’il rappelle aux hommes de médias que « si tuer pouvait ramener la paix au Burkina Faso, il y a longtemps que le problème du terrorisme serait réglé » [9] ; ou, d’une manière plus stratégique, quand il expose dans son livre [12] que la crise du Sahel est à la croisée de la propagande religieuse, d’un mouvement insurrectionnel et d’une criminalité organisée avec une tendance très nette à la localisation et à la communautarisation des groupes armés, dit-il quelque chose de fondamentalement différent ? Faut-il, par crainte de la moindre franchise, continuer à jouer sur les mots et les personnes, avec comme seul ressort de perpétuelles bouffées d’indignation ? Et si nos interlocuteurs n’ont pas toujours la manière que l’on souhaite, faut-il ignorer ce qu’ils disent et manquer d’en tirer profit, y compris en disqualifiant leur point de vue par l’analyse ?

10. Par mimétisme sankariste, il y a toujours un certain panache à vouloir traiter à la hussarde les partenaires internationaux, le sort réservé à l’ambassadeur de la République française en figurant la première illustration. Qu’est-ce au juste qu’ « exercer un leadership de fermeté envers les partenaires internationaux », pour reprendre l’expression de madame Kam ? Se comporter comme le fit le régime du président Kaboré avec un partenaire historique de l’histoire de notre pays et de son développement, la République de Chine, que l’on mit à la porte comme une malpropre en 48 heures montre en main ? Est-ce ce tour d’ingratitude que madame Kam entend donner à nos relations internationales, ce qui, peu ou prou, revient à brader notre amitié au plus offrant, ou à défaut, au plus complaisant de nos partenaires internationaux — et ils sont pléthoriques à s’y prêter pour simplement faire prospérer leurs intérêts immédiats ?

S’agissant de la coopération militaire, puisque c’est le chagrin du moment, que proposent les partisans de la table rase avec la République française, et derechef avec  l’Europe, voire les États-Unis — sans même se poser la question de l’opportunité de ce chamboulement à un moment où les opérations militaires gagnent en intensité et que la continuité stratégique, tactique et logistique s’impose ? La Fédération de Russie, une entité qui, aujourd’hui, ne produit rien ou presque, sinon du pétrole, du gaz et de l’armement ; dont le modèle économique, au main d’une oligarchie corrompue, violente, et pour partie mafieuse, engendre plus de pauvreté que de richesse pour la masse de sa population ; dont on cherche en vain les réussites récentes en matière de coopération internationale ; et dont les forces armées, certes dotées par héritage soviétique de la puissance nucléaire, figurent tout en bas du tableau d’honneur militaire à raison de la brutalité de leurs interventions (Tchétchénie, Syrie) au service d’ambitions essentiellement coloniales (Georgie, Ukraine), ou encore de leurs surprenantes contre-performances sur certains théâtres d’opération (Afghanistan, Ukraine).

Sauf qu’en Afrique, il ne s’agit même pas de la Fédération de Russie, mais du groupe Wagner, une multinationale à capitaux privés, de nationalité argentine, formellement non reconnue par ladite Fédération pour agir en son nom, qui vend ses services de mercenariat militaire et désinformationnel au plus offrant, à condition que le payeur ne soit pas trop regardant sur les méthodes employées et les dégâts collatéraux dans sa population. Pour faire vite, madame Kam nous propose de troquer, à la va-vite, une coopération militaire d’État à État, avec les garanties et les responsabilités que cela implique de part et d’autre, par un marché de prostitution passé de gré à gré avec une multinationale, à l’instar de Total, Shell, Bolloré… dans le commerce ordinaire, dont le job est de réprimer et de tuer à la demande et contre monnaie ou minerai précieux, sans autre garantie que le droit commercial en cas de bavure. Sans compter que ce type d’organisation finit toujours par se transformer en garde prétorienne des dirigeants en place, dont celle-ci épouse tous les intérêts et éternise la présence au pouvoir par la violence — pour l’image, une sorte de RSP parlant russe. La solution providentielle des partisans de la lutte à mort contre l’impérialisme français, c’est de mettre la sécurité de notre peuple entre les mains d’une multinationale dont les faits d’armes en Afrique (Soudan, Centrafrique, Libye, Mali) relèvent presque tous du Tribunal pénal international. Remplacer un impérialisme par un autre, comme dans une pyramide de Ponzi, mais jusqu’à quand, madame Kam ?

Certes la situation est douloureuse et des milliers de famille en paient le prix fort, celui des larmes et du sang, mais faut-il y ajouter, par panique et manque de sang-froid, des traumatismes collectifs, perpétrés par des mercenaires ou avec leur appui, qui ne manqueront pas de ressurgir dans l’avenir, avec encore plus de larmes et de sang ? On reproche à nos adversaires d’avoir importé des méthodes de combat indignes d’un être humain, faut-il pour en venir à bout que, nous aussi, nous importions les mêmes méthodes par mercenaires interposés ? Et quand, en notre nom, ces mercenaires auront fait leur sale besogne de mort, de torture, de viol, et qu’ils repartiront — s’ils repartent un jour —, qui aura à panser les plaies de ce qui reste, malgré tout, nos sœurs et nos frères burkinabè, sinon nous, d’autres Burkinabè, un temps complice de ces mercenaires ? La qualité de la paix dépend d’abord de la dignité avec laquelle on fait et on gagne une guerre ; a fortiori, lorsque ce sont les filles et les fils d’une même nation qui se déchirent à mort [10], chacune et chacun doivent savoir que c’est avec celles et ceux qui ont été combattus qu’il leur faudra vivre dans la paix à la fin des hostilités. N’hypothéquons pas cette paix à laquelle aspire profondément notre Peuple avec une sale guerre, déléguée à des mercenaires avides de notre sang et de notre argent. Quand le chien a goûté au sang, il y revient toujours ; voilà ce que madame Kam semble ne pas vouloir comprendre, et avec elle, tous ceux qui, par excès de frustration et de colère, montrent la porte à nos partenaires de longue date par incapacité à les remettre à leur place, si besoin est, en leur faisant comprendre par le dialogue l’enjeu commun à préserver la qualité et la franchise de nos relations de coopération.

Si nous sommes si fébriles devant nos partenaires internationaux et que s’est imposé parmi nous le sentiment d’une relation jouant toujours en notre défaveur, c’est à raison de la faiblesse de nos convictions, de notre incapacité à définir contradictoirement nos besoins de coopération, de l’absence d’une ligne de conduite internationale en prise directe avec nos objectifs de développement, et, il ne faut pas se voiler la face, à raison de la faveur donnée dans certains cercles diplomatiques nationaux à des intérêts plus privés que publics, y compris, dans les régimes précédents, au plus haut niveau de l’État où la coopération était une prébende pour l’oligarchie au pouvoir.

11. Pour ceux qui en ont la patience, ils trouveront une quantité d’autres citations dans les discours et les écrits de Thomas Sankara expliquant que c’est notre faiblesse de volonté et d’intelligence qui fait la force des puissances étrangères foulant au pied notre souveraineté nationale et que, en matière de sécurité des populations, la solution n’est jamais dans la privatisation, mais dans la mutualisation des moyens, et s’agissant de celle-ci, dans l’application d’une vertu cardinale du faso, la dignité : « (…) un peuple conscient ne saurait confier la défense de sa Patrie à un groupe d’hommes quelles que soient leurs compétences. Les peuples conscients assument eux-mêmes la défense de leur Patrie. À cet effet, nos forces armées ne constituent qu’un détachement plus spécialisé que le reste du peuple pour les tâches de sécurité intérieure et extérieure (…). » [13] [14] Voilà qui devrait ouvrir des perspectives moins scabreuses aux intentions sincèrement patriotes de madame Kam, quoique sévèrement contaminées par une détestation française dont on peut légitimement interroger l’origine ; pour autant qu’elle veuille bien aussi retenir la leçon de cet autre grand connaisseur des crises et des barbouzeries républicaines, Maurice Barrès [15] : « (…) les députés n’arrivent jamais à se libérer des soucis du candidat pour devenir des hommes politiques ; au lieu de servir leur pays, ils s’appliquent à satisfaire dans la surenchère électorale leurs comités ».

Plus que jamais, pour parvenir à refonder collectivement notre Nation, dans la dignité et l’honneur, nous avons besoin d’hommes et de femmes capables de se hisser à hauteur d’histoire ; celles et ceux qui ne le comprennent pas, ou tardent à le faire, gaspillent leurs talents au préjudice de notre Peuple.

Dr Evariste Faustin Konsimbo, Citoyen burkinabè.

[1] Yéli Monique Kam, Lettre au Président du Faso, Ouagadougou, 25 juillet 2022.

[2] Compte-rendu de l’audition de M. Luc Hallade, Ambassadeur de France au Burkina Faso, publié sur le site du sénat français, Paris, 5 juillet 2022.

[3] Général Laurent Michon, Conférence de presse, Ouagadougou, 21 juillet 2022.

[4] Luc Hallade, Discours du 14-juillet, Ouagadougou, 14 juillet 2022.

[5] Ministère des Affaires étrangères, de la Coopération régionale et des Burkinabè de l’extérieur, Note verbale, Ouagadougou, 21 juillet 2022.

[6] Chez les Grecs anciens, la franchise, parrhêsia, est l’une des vertus premières du citoyen et le fondement sine qua non de la délibération démocratique.

[7] Giovanni Zanoletti, Sahel : pourquoi prendre les armes ? Une revue de littérature, in Papiers de recherche, 2020. En ligne sur le site : www.cairn.info.

[8] On préconise sans cesse de considérer les choses en fonction de nos réalités, c’est-à-dire du point de vue de la majorité de la population, mais c’est presque toujours un vœu pieux. Ainsi des frontières, appendice obligé de l’État-nation, prétendument intangibles et dont l’existence n’a même pas un siècle. Pour les paysans de l’Est du Burkina Faso, qu’est-ce que la frontière, eux qui appartiennent à une ethnie ou à une communauté à cheval sur ce coup de trait administratif, parlant le même dialecte, partageant des liens familiaux de part et d’autre, vivant selon le même habitus et les mêmes croyances ? Comment leur faire comprendre qu’aux yeux des gens de Ouagadougou, leurs sœurs et frères d’en face seraient des étrangers ? Des géographes, des anthropologues, des sociologues travaillent depuis des années sur ces questions dans les universités du Burkina Faso, mais qui les écoute ? Qui même connaît leurs travaux, ou leur existence ?

[9] Paul-Henri Sandaogo Damiba, Discours devant les responsables et rédacteurs en chef

des médias burkinabè, Ouagadougou, 14 avril 2022.

[10] Paul-Henri Sandaogo Damiba, Discours devant les forces vives des Hauts-Bassins, Bobo-Dioulasso, 20 mai 2022.

[11] Paul-Henri Sandaogo Damiba, Discours à la Nation, Ouagadougou, 1er avril 2022.

[12] Paul-Henri Sandaogo Damiba, Armées ouest-africaines et terrorisme : réponses incertaines ?,

Les 3 colonnes, Ouagadougou, 2021.

[13] Thomas Sankara, Discours d’orientation politique, Ouagadougou, 2 octobre 1983.

[14] Ou pour le dire d’une manière plus contemporaine : « Si les gens pensent que ce sont les Chinois, les Russes, les Vietnamiens qui vont venir nous sauver, ce sont de faux débats ; si c’est notre pays, c’est nous d’abord ». Paul-Henri Sandaogo Damiba, Discours aux soldats, Bobo-Dioulasso, 19 mai 2022.

[15] Maurice Barrès, Leurs Figures, Paris, F. Juve

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