Dans le message qui suit, Dr Datoussinmaneba Xavier Belemtougri, enseignant-chercheur au centre universitaire de Dori et spécialiste des questions d’analyse du discours, d’interactions verbales et de pragmatique, interpelle l’ensemble des hommes de médias sur leurs responsabilités dans la préservation de la cohésion et la paix sociale en ces temps de crise. Il invite la presse nationale à la censure de toutes les séquences de violences verbales pouvant porter atteinte au vivre ensemble.
Violence verbale dans les médias et responsabilités des journalistes burkinabè
Le Burkina Faso, faut-il le rappeler, depuis 2015, à cause du terrorisme, traverse un des pires moments de son histoire sociopolitique. Plus de deux millions de déplacés internes, plus de quatre mille victimes civils et militaires, plus de quatre mille écoles fermées, des milliers d’élèves déscolarisés avec des enseignants au chômage, une économie au ralenti, des communautés divisées, des infrastructures de toute sorte endommagées, le bilan de ces sept ans d’insécurité est plus que macabre. Cette situation inquiétante doit nous interpeller tous à un sursaut patriotique afin de sauver la nation qui est en péril. Cependant, force est de constater que la paix tant recherchée par ces millions de burkinabè, meurtris dans leur chair par cette guerre qui leur est imposée, est le cadet des soucis de certains de nos compatriotes.
Ces hommes et femmes insouciants, sans amour réel pour la patrie, se recrutent dans certaines organisations de la société civile et dans certains partis politiques. Prétendant parler au nom du peuple, je ne sais quel peuple, dont ils estiment être les dignes représentants, ils sèment les graines de la division, de la haine, de la vengeance dans les cœurs des burkinabè à chacune de leur sortie médiatique. Leurs propos sont teintés de provocation, de menace, d’intimidation, bref, ils sont passés maitres de la violence verbale dans les médias. Cette violence verbale se reconnait à travers la gestuelle, le regard, la tonalité et surtout les éléments linguistiques employés.
Des axiologiques négatifs, des vitupérants et des menaces sont adressés directement à tous ceux qui ne militent pas dans la même chapelle qu’eux. Pourtant, les spécialistes en analyse des interactions reconnaissent que la menace est une manifestation agressive par laquelle on signifie à autrui la capacité que l’on a à lui faire du mal et/ ou l’intention de lui en faire. L’interlocuteur perçoit, en retour, l’imminence d’un danger potentiel. La menace vise à altérer le sentiment de confiance en soi de l’interlocuteur et vise bien souvent l’intime, le corps, les proches qui pourraient faire l’objet de représailles.
L’insulte, quant à elle, est un acte de langage interlocutif. Elle porte une force émotionnelle, voire pulsionnelle, et vise l’autre dans la volonté de le rabaisser et de le nier. Tout cela réuni constitue un cocktail explosif où la moindre étincelle peut causer d’énormes dégâts. Ces hommes et femmes ne sont pas conscients que l’usage de la parole dans l’espace public doit être contrôlé. La parole fait plus de dégâts dans ce monde que n’importe quelle balle de fusil. Et cela, tous les prophètes en étaient conscients et ils appelaient leurs compagnons à son usage responsable.
D’après Abu Horayrah, le prophète Mohamad (PSL) a dit : « Celui qui croit en Dieu et au Jour du Jugement, qu’il dise du bien ou qu’il garde le silence. » Et les disciples de Jésus lui demandèrent : « Montre-nous une œuvre qui nous fasse entrer au paradis ! » Il leur répondit : « Ne parlez jamais » ; ils rétorquèrent : « On ne peut pas se retenir de parler » ; et Jésus de trancher : « Alors, ne parlez que pour dire du bien ». Enfin Soulayman (Salomon), fils de Daoud (David) a dit : « Si la parole est d’argent, le silence est d’or. »
Par ces écrits, j’en veux plus aux journalistes qu’à ces hommes et femmes qui s’expriment dans une virulence inouïe. Notre pays a opté pour la démocratie. Elle est l’expression de la pluralité des idées. Elle est le terrain du débat contradictoire et dépassionné. Il ne faut cependant pas confondre la contradiction des idées avec le combat des personnes qui portent ces idées. C’est la rhétorique ad hominem. C’est celle-là qui risque d’enflammer le pays.
Du reste, si des propos haineux, provocateurs, injurieux, menaçants sont diffusés dans les médias, c’est la responsabilité des journalistes qui leur ont offert des plateaux télés ou des pages de journaux pour que ces hommes et femmes s’exhibent et déversent leur haine. Le journalisme, c’est le professionnalisme dans le traitement de toute information avant sa diffusion. Et tous les journalistes qui sont passés par une école de formation le savent. Récolter l’information brute et la diffuser sans traitement, c’est faire preuve de manque de professionnalisme.
Le traitement, pour moi, dans ce cas de figure, c’est extirper dans le contenu de l’information à diffuser tout ce qui peut mettre à mal le vivre ensemble. Si ce problème peut se résoudre facilement dans les journaux, les reportages et comptes rendus, il est plus délicat au niveau des émissions diffusées en direct. Il revient aux journalistes de faire le tri de leurs invités et d’exclure tous ceux et toutes celles connus pour leur écart de langage. En cette période où la nation est menacée dans son existence, la diffusion des propos violents et provocateurs sont à bannir.
Il est inutile de rappeler la part contributive du tristement célèbre Radio mille collines dans la diffusion des propos haineux sur ses ondes et qui a occasionné le génocide rwandais en 1994. Ce mauvais exemple doit servir de cas d’école pour nous. Les journalistes doivent être conscients que le discours devant circuler dans l’espace public et surtout dans les médias est un discours normé. Toute séquence de provocation ou d’appel à la haine, à la division, au massacre, à la stigmatisation, au meurtre, à la vengeance doit être censurée afin de préserver cette paix très fragile..Les médias ont fait de certains leaders d’O.S.C. et de partis politiques des héros. Ces leaders, conscients de leur incapacité à mobiliser le peuple éclairé pour la défense de leurs intérêts personnels, passent par le canal des médias pour se faire une visibilité. Le pays n’a que faire de ces O.S.C. et partis politiques qui ne proposent rien de concret pour sortir le pays de sa situation actuelle. En ces temps de tempêtes où de puissantes vagues déferlent de partout, faisons vraiment attention à ce que nous disons car les mots sont un couteau à double tranchant. Soyons les artisans de la paix dans nos actes et surtout à travers nos paroles car l’enjeu du Verbe pour l’homme est grand. Abu Hamid al-Ghazali l’a relevé dans son livre Les dégâts des mots : « Ma langue est un lion ; si je le libère, il me dévorera. »
Que Dieu préserve le Burkina Faso !
Que Dieu protège les vaillants F.D.S. et V.D.P. mobilisés au front !
Vivement que la Paix revienne !
Dr Datoussinmaneba Xavier BELEMTOUGRI, enseignant-chercheur au centre universitaire de Dori, spécialiste des questions d’analyse du discours, d’interactions verbales et de pragmatique
Minute.bf
Le sérieux problème est que les médias sont politisés.
Et ça change tout dans le traitement de l’information.
Rien est à ajouter! Merci à vous et longue vie!
Merci d’avoir bien situé les responsabilités
Merci pour l’analyse. Longue vie !
Vraiment à point cette analyse, toutes félicitations
J’approuve je suis davis
Excellent article et chapeau bas au DR BELEMTOUGRI . Continuez ainsi jeune Dr, car vous avez de l’avenir . Je sollicite qu’il vous plaise d’interpeller aussi la jeunesse de notre pays dont une bonne fraction se laisse utiliser pour des causes qui n’ont rien à voir avec l’intérêt supérieur de notre Nation . Plus grave, à la lumière des derniers évènements dont certains jeunes S/C d’OSC se sont rendus coupables ,ceux -ci deviennent même un danger pour l’existence future du BURKINA FASO, en tant que pays et Nation civilisée. Alors, Dr parlez aussi aux jeunes et surtout à ceux qui les utilisent pour leurs intérêts personnels ,à leurs parents ,dans l’espoir qu’ils vous entendrons malgré tout . En tous cas, le BURKINA FASO est en grand danger et pas seulement par le fait du terrorisme .