A l’occasion d’un dialogue démocratique initié par le consortium CGD – Diakonia – Pax – NDI, l’enseignant chercheur en Droit, Pr Abdoul Karim Saïdou a animé une conférence sur le thème: « État des lieux de la gouvernance du secteur de la sécurité au Burkina ».
Pour faire l’état des lieux de cette gouvernance, le conférencier a énuméré les facteurs qui font qu’en dépit des réformes entreprises dans le secteur de la sécurité, le Burkina Faso a toujours du mal à juguler le phénomène terroriste.
Le premier facteur, dit-il, c’est la crise que traverse le secteur de la sécurité au Burkina Faso et le second, c’est l’instabilité politique qui règne dans le pays. « Le secteur de la sécurité est un secteur en crise. Ce secteur est en crise pour deux raisons, à savoir : l’instabilité politique qui a des conséquences sur la gouvernance du secteur de la sécurité et le deuxième aspect, c’est le déficit de transparence dû à la faible appropriation de la notion de bonne gouvernance au sein de notre institution sécuritaire», a-t-il expliqué.
S’agissant de l’instabilité politique, il se pose selon lui, un problème de cohérence dans la gouvernance du secteur sécuritaire burkinabè depuis 2016. « On constate que la stratégie sécuritaire change d’un jour à l’autre. Le Président Kaboré avait lancé un processus réformateur qui avait abouti à l’élaboration de la politique de sécurité nationale qui a consacré une sorte de rupture d’avec la doctrine du Président Compaoré en matière de sécurité, en matière de géopolitique de manière générale. Et après le départ de Roch Kaboré, avec l’avènement de la transition MPSR 1 avec le Lieutenant-colonel Damiba, on a eu une autre approche qui mettait surtout l’accent sur le dialogue, sur la réconciliation ». Avec l’avènement du Capitaine Ibrahim Traoré, poursuit le conférencier, la question du dialogue a également été mise aux oubliettes.
Des dires du Professeur, les initiatives qui ont été lancées sous Damiba dans le sens de la démobilisation et de la remobilisation des « frères » qui ont pris les armes, ont l’impression d’être reléguées en second plan. « Il avait même été prévu la prise en charge de ces personnes pour les réconcilier avec la nation. Mais aujourd’hui, avec le régime actuel, on constate que c’est plutôt la guerre populaire avec le recrutement massif de VDP qui est mis en avant. Cela pose un problème de cohérence », a-t-il soutenu.
Et d’ajouter que l’autre problème avec cette stratégie des VDP, c’est qu’elle se heurte à la stratégie des polices de proximité qui avait déjà été mise en place en 2016. « La question qu’on se pose actuellement est : quelle est la place de la police de proximité? Il y a une réforme en 2016 qui consistait à faire en sorte que les groupes d’autodéfense puissent s’inscrire au niveau communal et il était prévu d’avoir dans les communes, des coordinations communales de sécurité. Et ces Coordinations communales étaient une manière d’impliquer les populations dans les questions sécuritaires de la commune, mais avec les VDP qui relèvent du ministère de la défense, on ne voit pas de connexions, de synergie entre police de proximité et VDP» a relevé Abdoul Karim Saïdou.
L’autre facteur qui explique, selon lui, la crise du secteur de sécurité, c’est le déficit de transparence dans la gestion financière de l’armée. « Il y a beaucoup de soupçons de corruption au sein de l’armée. Quand on lit les rapports du REN-LAC, on se rend compte que ce sont les institutions sécuritaires qui sont en tête en matière de corruption», a-t-il souligné tout en précisant que cette situation jette le discrédit sur l’appareil militaire. « Si on veut mobiliser la population pour soutenir les forces de défense et de sécurité et que, en même temps, le secteur de la défense est gangrené par la corruption, ça jette le discrédit sur l’appareil sécuritaire et l’État en général. Parce que le contact que les citoyens ont avec les forces de défense et de sécurité notamment avec la police municipale, c’est là que se constitue la relation entre le citoyen et l’Etat », a-t-il évoqué.
Ce déficit de transparence concerne aussi, selon lui, les accords de coopération militaire que le Burkina Faso entretient avec ses partenaires. « Aujourd’hui on parle d’initiative d’Accra, mais moi je n’ai pas souvenance d’une initiative qui a été mise en place pour susciter le débat au Burkina Faso sur la participation ou non de notre pays à cette initiative (…) On a l’impression qu’il y a une instrumentalisation de la notion de secret défense à ce niveau là», a-t-il dit.
En termes de perspectives, il a souligné entre autres, la nécessité de clarifier les rôles des différents acteurs pour ce qui est de la définition et de l’implémentation des politiques publiques de sécurité, la nécessité de créer un consensus général sur les orientations de la politique de sécurité nationale et la nécessité d’œuvrer à créer une cohérence dans la mise en oeuvre des politiques publiques de sécurité.
Oumarou KONATE
Minute.bf