Plusieurs organisations de la société civile ont fait l’actualité ces dernières semaines au Burkina. Elles ont à travers des protestations, des marches, dénoncé la gestion sécuritaire actuelle, mais aussi demandé la démission du président du Faso. Parmi les figures de ces manifestions, il y a Anaïs Drabo, secrétaire à la formation idéologique du mouvement « Sauvons le Burkina ». Elle a été interpellée deux fois par la gendarmerie nationale puis relâchée. www.minute.bf l’a rencontrée. Lisez!
Minute.bf : Vous avez été interpellée deux fois de suite par la gendarmerie nationale, pouvez vous revenir sur les motifs de votre interpellation et les motifs qui ont justifié votre relaxation?
Anaïs Drabo: Ma première interpellation était à la date du 27 novembre 2021, date de la seconde marche de protestation de notre mouvement. J’ai été auditionnée le même jour à la gendarmerie de Paspanga. Après ils m’ont relâchée dans la soirée parce qu’ils n’avaient rien contre moi. Le 04 décembre encore, il y a eu un appel (à manifester) du mouvement citoyen populaire. J’ai répondu à l’appel parce que je voulais crier mon ras-le-bol du fait que mes camarades de lutte du 27 novembre ont été interpellés et déposés à la MACO de façon injuste. On s’était donné rendez-vous vers la Place de la nation. Ce jour là, j’étais arrêtée simplement à la place de la BECEAO et 3 gendarmes de l’autre côté de la route ( c’est-à-dire du côté de la place de la nation) m’interpellent. Je leur ai dit non, je ne vais pas venir parce que la dernière fois vous m’avez appelée comme ça, je suis venue gentiment vers vous et vous m’avez jetée dans votre véhicule pour m’amener à la Gendarmerie. Cette fois-ci, comme vous dites que la Place de la nation ne doit pas être occupée, si j’arrive au niveau de la place de la nation c’est comme si j’enfreignais la loi. Donc, si vous avez besoin de moi, traversez la route et venez me trouver sur la place publique. Ils viennent, de façon agressive tout en me criant dessus : « toi encore, tu nous emmerdes, nous on te dit de venir et tu ne viens pas? ». Je dis, mais la dernière fois vous m’avez joué ce coup. Je finis par leur demander ce qu’il y a, ce qu’ils voulaient. « Qu’est-ce que vous faites ici ? », me rétorquent-ils. Je leur dis que là où je suis c’est une place publique, j’ai le droit de m’arrêter. « Peut-être que je vais prendre un taxi, vous n’en savez rien », ai-je répondu aux gendarmes. C’est alors qu’ils ont dit à leurs collègues d’envoyer le véhicule ils vont m’embarquer. Ils m’ont brutalisée, je vous le dis. Devant tout le monde, il y avait des témoins. Il y a un gendarme, qui « était sur moi », c’est comme si on l’avait « envoyée spécialement sur mon dos ». Il m’a brutalisée, m’a fait rentrer et coincer dans le véhicule. Puis on est arrivé à la Gendarmerie de Paspanga. Je leur ai dit que je ne parlerais qu’en présence de mon avocat. Mon avocat est venu peu après et ils m’ont auditionnée. Je pense qu’ils n’avaient rien contre moi donc ils m’ont relâchée tout simplement.
Minute.bf: Mamadou Drabo, le secrétaire exécutif de votre Mouvement a été arrêté et déféré à la Maison d’Arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO). Que savez-vous des circonstances de son arrestation.
Mamadou Drabo a été arrêté le 29 novembre. Il a d’abord été gardé-à-vue au Service régional de Police judiciaire (SRPJ) de Wemtenga et après, il a été présenté au procureur.
Lors de son arrestation, il était avec des camarades de lutte du 27 novembre, mais ceux-ci n’ont même pas été auditionnés. Par contre, lui Mamadou Drabo et Hervé Ouattara n’ont pas eu cette chance. On se pose beaucoup de questions actuellement. Pourquoi après la marche du 27 novembre, l’interpellation de l’ensemble des membres des OSC qui ont organisé la marche a abouti à l’audition d’une partie des membres de ces OSC qui ont même été déposés à la MACO pendant qu’une autre partie est relâchée? Peut-être qu’il y a des OSC qui dinent avec le pouvoir en place et qui jouissent des privilèges de la justice. On ne sait vraiment pas si c’est le cas.
Ce qui est sûr, Mamadou Drabo, c’est un jeune conscient qui s’est levé pour se battre pour sa survie; nous nous sommes associés pour nous battre pour notre survie et pour la survie de la nation. Et c’est cette jeunesse consciente qui est en train d’être brimée actuellement par nos autorités, cette jeunesse consciente qui est traquée par les Forces de Défense et de Sécurité (FDS) que nous sommes sortis défendre. Mais, il y a un paradoxe que je ne comprends pas. Vous sortez demander de meilleures conditions de vie pour des personnes envoyées à l’abattoir et ce sont les collègues de ces mêmes personnes qui répondent favorablement à l’appel de ce gouvernement pour nous brimer, pour interpeller de façon arbitraire la jeunesse consciente.
Minute.bf: Comment les interpellés vivent-ils leur incarcération ?
Mamadou Drabo, dès son interpellation depuis le lundi, a entamé une grève de la faim. Le vendredi, il a fait un malaise, on me l’a rapporté. La femme de Hervé Ouattara qui est allée voir son mari à la MACO a trouvé que mon grand frère Mamadou Drabo est vraiment mal en point. Son mari qui souffre de la tension allait mal également. Ils sont en train de subir une injustice et je pense que c’est ce qui est en train de jouer sur leur morale. Quand tu ne te sens pas dans une chose que l’on te reproche, je pense que ça joue sur ton morale. C’est ce que mes camarades de lutte sont en train de subir aujourd’hui de façon illégale dans un État dit de droit où la justice fait des faveurs à d’autres personnes et briment d’autres.
Minute.bf: Est-ce que vous avez des perspectives de lutte pour libérer vos camarades?
Ma phrase favorite c’est : « la lutte libère ». Dans une lutte, il y a toujours des sacrifiés, il y a toujours des bénéficiaires, il y a ceux qui vont jouir après de ce sacrifice. Je ne sais pas si on sera les sacrifiés. Mais, que je sois la sacrifiée ou la bénéficiaire de cette lutte, ma lutte continue. Nos camarades, nous n’allons pas les lâcher. Nous sommes là, on va se réorganiser et voir comment mieux lutter.
Nous avons vu Dablo qui s’est vidé il n’y a pas si longtemps. Gassan a été pilonné la dernière fois. Parce que nous sommes à Ouaga ou à Bobo au chaud, nous ne prenons pas conscience qu’au Burkina, il ne reste qu’une seule parcelle. Est-ce que nous allons rester là à ne rien faire jusqu’à ce que cette petite parcelle qui reste soit annexée ou quoi ? C’est une inconscience généralisée où quoi ? Ou bien c’est la peur qui anime les gens ? Il faut le dire, même ma famille a très peur pour moi. Mais je leur ai dit, c’est un choix de vie. Peut-être que je serai sacrifiée, mais je pense que mes enfants vont jouir de ce sacrifice. On me persécute, mais je ne vais pas baisser les bras. Penser qu’éliminer Anaïs va arrêter cette lutte qui a commencé, c’est se tromper. Anaïs n’est qu’une goutte d’eau dans cette mer parce qu’il y a beaucoup de personnes actuellement qui n’ont pas le courage de se révoler, mais plus les choses vont aller de mal en pis, plus elles vont se révolter. Vivement que ce gouvernement prenne conscience que ce n’est pas un groupuscule qui est en train de chauffer le Burkina. Non ! Ce sont des personnes conscientes de la dérive dans laquelle se trouve le Burkina Faso. Nous sommes poussés dans un précipice. Ceux qui se trouvent à côté du président du Faso et qui lui disent que tout va bien, ce sont eux les ennemis du président. De grâce, nous ne sommes pas les ennemis du Burkina, nous sommes des parents, nous sommes la basse classe, nous sommes le bas peuple qui n’a pas d’appartements à Paris, qui n’a pas d’appartements au Sénégal. Si le Burkina brûle aujourd’hui, ce bas peuple va aller où ? Raison pour laquelle, le bas peuple conscient se lève pour se battre pour le petit lopin de terre qui reste au Burkina. Avant, quand ça n’allait pas, on partait au village. Maintenant que nous n’avons plus de village, où irons nous? C’est pour cela que nous allons nous battre pour que Ouagadougou aussi ne sombre pas un jour.
Propos recueillis par Hamadou Ouédraogo
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