Dr Zongo Tongnoma, Chargé de recherche et spécialiste des questions minières à l’institut des Sciences des Sociétés (INSS) du CNRST
Dr SOME.S. Sabine, Chargée de recherche à l’Institut des Sciences des Sociétés (INSS) du CNRST
Attaques des groupes terroristes et le vécu des enfants déplacés dans la province du Sanmatenga au Burkina Faso
Résumé
Ce document de vulgarisation est tiré de l’article « Intervention des ONG dans la lutte contre le travail des enfants dans les sites d’orpaillage et situation sécuritaire dans la province du sanmatenga : quel bilan ? » publié dans la revue internationale Dônni Volume 2, Numéro 2, décembre 2022 Pages 168-177 ISSN : 1987-1406 /eISSN : 1987-1457 analyse les effets des attaques des groupes terroristes sur le vécu des enfants déplacés.
Depuis 2018, la province du Sanmatenga, dans la région du Centre-Nord du Burkina Faso est marquée par une dégradation continue du tissu social et sécuritaire. La multiplication des attaques des groupes armés dans la province du Sanmatenga, oblige parfois des villages entiers à se vider de leurs populations. Face à une telle situation la vulnérabilité des enfants ne cesse de s’accroître. Cet article questionne les stratégies d’adaptation mises en place par ces enfants victimes pour faire face à leurs nouvelles conditions de vie dans les camps de Personnes Déplacées Internes dans la ville de Kaya (PDI). L’approche méthodologique adoptée dans le cadre de cet article a consisté en une étude qualitative. Les méthodes de collecte de données ont combiné une revue documentaire, des focus groups et des entretiens individuels approfondis auprès d’un échantillon d’enfants (garçons et filles), de responsables des structures d’accueil des PDI, des structures publiques et internationaux en charge de l’humanitaire. Des observations directes ont également été menées afin de mieux cerner le contexte de l’étude et les acteurs clés de la prise en charge des enfants PDI.
Introduction
Au Burkina Faso, la région du Centre-Nord est l’une des régions qui enregistre un grand nombre de personnes déplacées internes (PDI). Elle vient en deuxième position. Le nombre de PDI y est passé à 494 061 le 31 août 2021 avec une proportion d’environ 307 983 (62,33%) enfants parmi ces personnes déplacées (CONASUR, 2021). La ville de Kaya, accueille à elle seule 68 895 enfants sur 110 198 PDI.
Le déplacement contraint d’enfants d’âge scolaire, a un impact négatif sur la scolarisation de ces derniers. Presque tous les pays touchés par le déplacement interne présentent des taux de scolarisation et de réussite plus faibles et des taux d’abandon plus élevés chez les enfants déplacés. Par exemple, à Mogadiscio, en Somalie, seulement 28% des personnes déplacées de cinq ans et plus ont déjà fréquenté l’école, contre 42% dans la communauté d’accueil (IDMC,2020). Les filles sont touchées de manière disproportionnée par les perturbations de l’éducation dues aux déplacements internes. À Mogadiscio, 22% seulement des filles déplacées de plus de 5 ans ont déjà été scolarisées, contre 37% des garçons (IDMC,2020).
Il va sans dire que la situation de PDI qui est très éprouvante pour les adultes l’est encore plus pour les enfants. Lorsqu’ils n’ont pas eu la chance de bénéficier d’une prise en charge humanitaire au lieu d’accueil ou quand cette prise en charge est insuffisante ou comporte des lacunes. Il s’avère que cette frange de la population est contrainte de chercher du travail malgré sa jeunesse pour subvenir à ses propres besoins et à ceux de ses géniteurs et sa fratrie. Au-delà, il apparaît que la politique de prise en charge des PDI mise en place propose des approches souvent centrées sur les adultes, la famille de manière générale et moins sur les enfants [], ce qui limite l’efficacité des réponses possibles en ce qui concerne les enfants.
Les éléments de contexte passés en revue confirment l’intérêt d’appréhender les capacités de résilience des enfants des PDI, évaluer ce qui peut contribuer à améliorer les politiques, les programmes et les interventions en leur faveur. Après l’adoption de plusieurs documents de référence dont le Plan de réponse humanitaire, plusieurs défis sont à relever pour améliorer les programmes et les interventions en faveur de ce groupe vulnérable. Les travaux déjà menés sur la situation générale des enfants des PDI et les causes de leur travail donnent des repères intéressants mais non directement reliés à l’analyse des politiques et des systèmes de prise en charge. L’incapacité des familles déplacées à poursuivre leur activité professionnelle dans leur zone d’accueil peut les obliger à encourager les enfants vers d’autres activités génératrices de revenus. Cet article donne l’occasion de faire ce lien, d’où la question de recherche principale suivante : quelles sont les capacités de résilience des enfants des PDI pour faire face à leurs nouvelles conditions de vie dans la province du Sanmatenga dans la région du Centre-Nord du Burkina Faso ?
- Méthodologie
La méthodologie de recherche adoptée dans le cadre de cette étude se focalise davantage sur les changements récents intervenus dans la vie des enfants dans un contexte d’attaques des groupes terroristes dans la province du Sanmatenga. Nous avons donc engagé un dialogue auprès des acteurs indispensables en charge de la protection de l’enfance dans la ville de Kaya. Pour réussir notre collecte de données nous avons opté de mener une approche participative et inclusive qui a mobilisé certains acteurs clés (la commune de Kaya, la direction régionale de l’action sociale, les camps des déplacés, les parents des enfants déplacés, les enfants etc.)
- Présentation et discussion des résultats
II.1) Groupes armés et vécu quotidien des enfants dans la province de Sanmatenga
L’apparition des groupes armés dans les années 2018 dans la région du Centre-Nord a contraint les enfants de cette région, souvent en compagnie de leurs parents, à se déplacer à la recherche de la quiétude perdue. Ainsi, ils sont amenés à abandonner leur vie de scolaire, d’aide agricole, de berger, … pour une autre plus précaire et quasiment sans loisir. Cette contrainte au déplacement conduit les populations dans le chef-lieu de Région ou toute autre localité, généralement plus paisible, réunissant le minimum de conditions pour leur survie.
Mais une fois sur les sites des PDI, il arrive parfois que la prise en charge proposée par les structures publiques ou les institutions humanitaires internationales (HCR, PAM, UNICEF, Plan Burkina, …) n’arrivent pas à prendre en compte tous les besoins fondamentaux des enfants non scolarisés ou de leurs familles. D’où le besoin ressenti par ces derniers et/ou leurs géniteurs d’aller à la recherche d’activités rémunératrices afin d’être à mesure de contribuer à leur survie.
Les survivances de certains principes anciens d’éducation chez les PDI, à l’instar du reste de la population burkinabé, notamment la « mise au travail précoce » peuvent également favoriser le travail de leurs enfants. Pratique traditionnelle dans la société burkinabè (Gbaane Dabiré, 1983 : 215-216 ; Badini, 1994 : 119-120), la mise au travail précoce des enfants a pour but de réaliser un transfert de connaissances des adultes aux enfants et ainsi de faciliter leur intégration sociale. Dans le contexte économique actuel, et surtout en contexte d’insécurité, le maigre revenu d’un enfant ou l’aide financière et matériel qu’il apporte en famille restent une contribution salutaire à l’amélioration des conditions de vie de ses parents. Cette situation conduit les parents à laisser leurs enfants, souvent mineurs, exercer divers travaux (exploitation agricole, travail dans des mines…), souvent préjudiciables à leur santé. Selon le Rapport d’étude sur la situation des enfants domestiques et la traite des enfants au Burkina Faso réalisé en octobre 2001 par Anti-slavery International /WAO Afrique/Groupe de Recherche-Action pour un Développement Endogène de la Femme Rurale du Burkina (GRADE-FRB), « les enfants âgés de 5 à 14 ans qui exercent des activités économiques représentent 51,05% soit 1 600 000 enfants travailleurs y compris les enfants domestiques » (Plan d’action national de lutte contre le trafic des enfants au Burkina Faso 2005-2009 : 17).
Les principales activités des enfants travailleurs résidant dans les camps des PDI au Burkina Faso sont des tâches domestiques, agricoles, d’exploitation artisanale d’or, dans la restauration ou des activités informelles.
Dans la plupart de ces cas, ce sont les parents, les tuteurs qui placent l’enfant dans un ménage pour des tâches domestiques, la vaisselle dans les restaurants, la vente ambulante, des activités agricoles ou même pour travailler dans des mines. La demande de main-d’œuvre infantile, moins chère que celle des adultes et plus malléable, reste forte. Les femmes salariées ou du secteur informel préfèrent aussi recruter de jeunes enfants « parce qu’ils sont plus obéissants » (Somé, 2006 : 54). C’est pour ces mêmes raisons que les enfants sont recrutés pour les activités agricoles, la vaisselle ou d’autres services dans les restaurants, la vente ambulante d’eau, de fruits, de jus locaux, ou le travail sur des sites aurifères. Les enfants sont supposés également ne pas pouvoir dénoncer les injustices dont ils sont victimes. L’employeur d’enfants réussit ainsi à garder des coûts de fonctionnement peu élevés en contrepartie de longues journées de travail.
Une des conséquences de la mise au travail précoce des enfants des PDI est l’augmentation du risque de les retrouver dans une situation d’exploitation. Tel est le cas de S. qui explique « Mon père m’avais placé chez un monsieur qui possède une fontaine afin que je l’aide à vendre de l’eau. J’ai vendu de l’eau pendant 3 ans mais j’ai arrêté parce que quand j’allais vendre et revenais, le patron ne me donnait pas ma rémunération. Il m’accusait à mon retour des ventes d’eau d’avoir endommagé son matériel (barrique) ou il m’intimidait pour ne rien me donner en fin de compte. Je poussais la barrique en compagnie d’un ami avec qui on s’entraidait. J’ai arrêté parce que je ne gagnais pas grand-chose pour me permettre de prendre en charge certaines dépenses de notre famille. ».
II.2) Inexistence de l’Etat dans l’assistance des enfants : choix ou négligence ?
Le territoire constitue l’assise physique du pouvoir d’Etat décliné comme étant une puissance juridique et institutionnalisée, apportant par la médiatisation de ses mécanismes, une stratégie de cohésion sociale, une capacité de régulation et d’arbitrage » (J. Russ, cité par Nzisabira, 1997). Les liens organiques entre pouvoir et territoire pré positionnent en particulier le pouvoir d’Etat à l’avant-poste des acteurs impliqués dans les actions modulant le territoire. Dans le cadre des personnes déplacées, le positionnement de l’Etat Burkinabé dans l’assistance des enfants déplacés dans la province du Sanmatenga semble être très faible comme l’illustre très bien les propos recueillis sur le terrain. IT, un agent de la mairie de la commune de Kaya avance que « sans les ONG et les institutions internationales les personnes déplacées allaient mourir de faim et même dormir à la belle étoile ». Cette situation conforte la position des personnes déplacées rencontrées dans les camps de la commune de Kaya qui nous laisse entendre que, « leurs survies de vulnérabilité sont détenues par des ONG et les institutions comme UNICEF, HCR, PAM, etc. mais pas nos autorités car d’autres agents de l’état sont capables de voler la nourriture qu’on nous donne ».
Un enfant rétorque : depuis que nous sommes arrivés dans ce camp nous avons reçu beaucoup de promesses. Rien ne se réalise et nous sommes obligés de développer des initiatives pour aider nos parents pour pouvoir avoir de quoi manger »
Alors que le partage des vivres par les agents de l’état Burkinabè devrait permettre d’instaurer un dialogue plus facile en vue de rassurer les personnes déplacées. Les données recueillies sur le terrain permettent d’affirmer que la présence des agents étatiques dans la régulation du cadre de vie des PDI n’est pas forcément appréciée par les personnes concernées. En effet, les revendications ou les rumeurs parlant mal de l’Etat burkinabè vont être de même ordre de la part de la population de la commune de Kaya si les autorités ne changent pas leur manière de traiter les personnes déplacées. Les PDI qui pour la plupart sont des personnes qui vivaient dans de bonnes conditions dans leurs villages d’origine respectifs se révèlent être très exigeants sur les conditions de vie dans les sites des déplacés. C’est dans ce sens qu’un enfant résidant dans un camp de la commune de Kaya avance que : « Avant cette guerre, je vivais dans de bonnes conditions mais depuis que nous sommes ici je passe mon temps à pleurer tous les jours car nous n’avons même pas une bonne douche pour se laver et aussi l’obtention de l’eau de boisson s’avère problématique ». Un traitement acceptable des PDI va être également sollicité. En réalité, il est nécessaire de mentionner que la principale source de la mauvaise gouvernance au niveau des camps des déplacés dans la commune de Kaya provient des agents publics et de leurs acteurs administratifs qui utilisent leur pouvoir politique et même financier pour exercer de nombreuses pressions sur les personnes déplacées de la province du Sanmatenga. Cet échec de l’encadrement des personnes déplacées dans la province du Sanmatenga est aussi dû au manque de planification de l’Etat burkinabé face à cette situation nouvelle.
II.3. Le secours des partenaires techniques et financiers ont-ils essuyé les larmes des enfants dans la province ?
Si les personnes déplacées dans la commune de Kaya sont objectivement une source de préoccupation de par ses conséquences sociales et de par les conditions de vie des enfants sur les camps des déplacés, nous tenons à mettre l’accent dans ce sous point sur la manière dont les partenaires techniques et financiers réagissent face à la situation des enfants dans ce contexte de guerre dans les camps des déplacés de la commune de Kaya. Il est indispensable de comprendre le discours qui se construit autour de l’intervention des partenaires techniques et financiers au niveau des PDI de la commune de Kaya. Pour cela nous avons focalisé notre analyse à partir de plusieurs entretiens recueillis sur le terrain. Le premier constat qui s’impose dans la plupart des entretiens que nous avons réalisés est que beaucoup de PDI apprécient la présence de plusieurs ONG au niveau des camps des déplacés mais la mise en place de leur intervention pêche un peu. C’est dans cette même optique qu’un chef de ménage PDI avance que « malgré les multiples efforts des partenaires techniques et financiers dans le soutien aux personnes déplacées, ils restent sans effets sur les enfants et partant même de leurs parents. Nous n’avons même pas un forage dans le camp alors que depuis des années la plaque de l’ONEA est sur le site mais rien de concret alors que nous savons que les partenaires techniques et financiers et les ONG font beaucoup d’efforts »
En référence aux vulnérabilités des enfants dans les camps, deux dominent : l’arrêt brusque des cursus scolaires des enfants et les conflits entre enfants déplacés. Les entretiens mettent aussi le plus souvent l’accent sur les dégradations environnementales et l’insécurité grandissante dans les camps des déplacés. Malgré la présence des ONG et les institutions dans les camps des déplacés plusieurs enfants surtout les filles interrogées estiment avoir été victimes d’une agression dans leur nouvelle aire d’habitation. En définitive beaucoup reconnaissent les efforts faits par les ONG et les institutions mais souhaitent qu’elles revoient leur politique de mise en œuvre d’assistance de personnes en situation de danger vis-à-vis des bénéficiaires.
Conclusion
L’économie rurale de la province du Sanmatenga est caractérisé par le développement des activités traditionnelles telles que l’agriculture, l’élevage et l’orpaillage. Cependant, les attaques des groupes armés dans la province contraignent bon nombre de personnes dans les villages à se déplacer vers les camps de la ville de Kaya. Cette situation modifie les conditions de vie des enfants. Bon nombre d’entre eux n’ayant plus de choix sont obligés d’aller dans les sites d’orpaillage ou se lancer à la recherche des petits travaux dans la ville de Kaya. Certains enfants de la province du Sanmatenga jouent le rôle de chef de famille car ce sont eux qui s’occupe du volet alimentaire dans leurs familles respectives.
Bibliographie
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Zongo Tongnoma et Somé S Sabine.(2022). Intervention des ong dans la lutte contre le travail des enfants dans les sites d’orpaillage et situation sécuritaire dans la province du sanmatenga : quel bilan ? » publié dans la revue internationale Dônni Volume 2, Numéro 2, décembre 2022 Pages 168-177 ISSN : 1987-1406 /ISSN : 1987-1457