Dr Zongo Tongnoma, Chargé de recherche et spécialiste des questions minières à l’institut des Sciences des Sociétés (INSS) du CNRST
L’IMPACT DES ATTAQUES DES GROUPES TERRORISTES SUR LE SECTEUR MINIER BURKINABÉ
Résumé
Ce document de vulgarisation tiré de l’article scientifique intitulé « Politique publique de formalisation de la mine artisanale et bureaucratisation au Burkina Faso : une cohabitation difficile ? publiée par le Laboratoire de Recherche sur la Dynamique des Milieux et des Sociétés (LARDYMES) du Département de Géographie, Faculté des Sciences de l’Homme et de la Société, Université de Lomé. Juin 2024 ISSN 1993-3134 analyse les effets des attaques des groupes terroristes sur le secteur minier, mais aussi aux facteurs qui produisent ou aggravent l’insécurité dans ce secteur. Elle analyse les nouvelles dynamiques qui se développent dans le domaine. En plus d’être confrontées quotidiennement aux insécurités multiples, les mines industrielles et artisanales sont des sources possibles de financement du terrorisme. Cette situation peut installer le pays durablement dans une situation d’insécurité. Notre étude a permis de comprendre que l’extraction minière industrielle comme artisanale, est désormais engagée dans une logique de restriction des espaces, une absence de sérénité dans l’activité, une menace permanente des groupes armées terroristes. Il y a donc une nécessité de repenser la gouvernance dans ce secteur important pour l’économie nationale et en termes d’employabilité des jeunes. Les attaques des groupes terroristes contribuent fortement à la baisse de la production de l’or à cause de la fermeture de plusieurs sociétés minières industrielles mais à la vente de l’or extrait des mines artisanales dans des circuits clandestins plutôt qu’aux comptoirs officiels. Les politiques de promotion d’une exploitation responsable de l’or dans le secteur de la mine artisanale tant prôné par le ministère des mines et des partenaires techniques et financiers du Burkina Faso connaissent aussi des difficultés dans sa mise en œuvre à cause des attaques des groupes terroristes dans les zones à fortes minerais. Les données collectées sur le terrain ont permis aussi de comprendre que des capacités résilientes se construisent par les acteurs du domaine dans la poursuite de leurs activités. En effet, certaines mines artisanales développent une forme de « sécurité par le bas » dans certains sites d’orpaillage au Burkina Faso, tandis que d’autres ont fait le choix de coopérer avec les groupes armés dans les zones minières ou l’autorité de l’Etat n’existe pas afin de pouvoir poursuivre leur activité. La problématique du financement du terrorisme est donc patente. Au niveau des mines industrielles, les dépenses de sécurité sont importantes et le chômage technique est récurent. Désormais, plus de discrimination dans le transport des travailleurs d’une mine industrielle au Burkina Faso car l’avion qui était réservé aux travailleurs et travailleuses étrangers ou étrangères d’une mine industrielle est devenu le moyen de transport de tous les travailleurs des mines industrielles.
Mots-clés : Artisanal, industrielle, mine, orpaillage, or, groupes armés terroristes, insécurité, Burkina Faso
Introduction
Les attaques des groupes armés sur l’ensemble du territoire Burkinabè ont créé un nouvel environnement dans l’intervention des acteurs du monde minier en général et celui de l’exploitation aurifère en particulier. Vu le caractère important de ce métal sur le plan économique national et mondial il y a lieu de regarder cette nouvelle réalité avec perspicacité afin de trouver des solutions idoines. Ce nouvel environnement a inévitablement une influence sur les mécanismes d’interventions habituelles des sociétés minières industrielles et artisanales au Burkina Faso. Dans ces conditions, l’installation des groupes armés dans une bonne partie des sites miniers et la récurrence des attaques sur les axes routiers se présentent comme des facteurs qui entrainent des recompositions des interventions des acteurs du domaine, de définition des rapports et de modification des attitudes et comportements dans un secteur stratégique pour l’économie. Cette étude s’appuie par conséquent sur la théorie du changement social et du développement, qui s’intéresse aux dynamiques nouvelles et aux opportunités produites dans des situations sociales complexes. Il s’agit de percevoir que « l’analyse des actions de développement et des réactions populaires ne peut être disjointe de l’étude des dynamismes locaux, des processus endogènes, ou des processus informels de changement » (Olivier de Sardan, 1995).
Au-delà des constats faits, il s’agit d’analyser les changements observables dans les comportements des acteurs du monde minier depuis l’installation de la crise sécuritaire au Burkina Faso. Le changement social est défini comme « toute transformation observable dans le temps, qui affecte, d’une manière qui ne soit pas que provisoire ou éphémère, la structure ou le fonctionnement de l’organisation sociale d’une collectivité donnée et modifie le cours de son histoire » (Rocher Guy 1968 : 22). Les enjeux générés par les attaques des groupes armés terroristes sont les variables sur lesquelles nous nous sommes basés dans cette approche théorique pour analyser les transformations des attitudes des acteurs qui entre « agentivité » (Giddens, 1979) et résilience développent des nouvelles modalités de vie qui permettent à l’activité extractive d’exister malgré tout.
La question fondamentale de notre étude est donc d’analyser les effets des attaques des groupes terroristes sur le secteur minier au Burkina Faso ?
Comment cette insécurité entraine des effets sur l’exploitation artisanale et industrielle de l’or ? Quels sont les principaux facteurs ? Quels sont les stratégies développées par les acteurs du domaine ?
- Méthodologie
La méthodologie de recherche adoptée dans le cadre de cette étude se focalise davantage sur les changements récents intervenus dans le domaine des activités de l’exploitation de l’or dans le contexte actuel des attaques des groupes terroristes. Nous avons donc engagé un dialogue auprès des acteurs du secteur minier avec la volonté de comprendre les mutations qui se construisent dans le secteur depuis l’avènement des attaques des groupes armés terroristes (GAT) . Cela a nécessité une approche participative et inclusive qui a mobilisé certains acteurs clés (les collectivités locales des communes concernées par l’étude, les groupes d’exploitants aurifères, les collectivités territoriales, le ministère des mines) aussi dans la capitale Ouagadougou et dans les zones l’étude. Nonobstant cette attente favorable des acteurs vis-à-vis de notre étude, dans un souci d’équité et de rigueur scientifique, la triangulation de l’information a été utilisée pour consolider les données recueillies. Cette comparaison de l’information suivant différentes sources y compris celles documentaires sur le même sujet nous a permis de vérifier la fiabilité de l’information sur différents sujets.
- Présentation et discussion des résultats
II-1) Réduction constante de la production dans le secteur de l’EMAPE
En 2018, la quantité d’or de production artisanale déclarée par les acteurs à la Direction Générale des Mines et de la Géologie (DGMG) était de cent-vingt (120) Kg. Pour la même année, les exportations déclarées à l’ANEEMAS et à la perception Spécialisée (PS), ont été de trois cent huit (308) Kg. En 2019, les exportations ont été faites uniquement à travers l’ANEEMAS. Elles ont porté sur deux cent cinquante-huit kilogrammes six dixièmes (258,6 Kg) d’or soit une régression de 16,03% par rapport à l’année 2018. En 2020, la quantité d’or de production artisanale déclarée est estimée à deux-cent soixante –sept kilogrammes neuf centièmes (267,09 kg) d’or soit une légère hausse de 3,6% par rapport à l’année 2019. Toutefois, elle reste inférieure à la quantité d’or déclarée en 2018. Le graphique ci-dessous illustre l’évolution des quantités d’or de production artisanale déclarées à l’exportation ou vendues à l’interne.
II-2) Réduction de la production dans le secteur des mines industrielles
La baisse de la production artisanale pourrait s’expliquer par le fait que le secteur est désorganisé et informel en raison de sa gestion difficile. Les autorités du ministère des mines ne peuvent donc pas procéder au contrôle de l’activité de l’orpaillage sur l’étendue du territoire Burkinabè. De plus, l’Etat Burkinabè ne se montre pas dynamique dans l’application des taxes fiscales, facilitant ainsi la contrebande de l’or qui est une source importante de financement du terrorisme.
Le secteur minier est dans l’œil du cyclone. Sur les 17 mines industrielles qui fonctionnaient correctement au Burkina Faso, le pays se retrouve en 2022 avec seulement huit (08) mines en exploitation. Les mines en activité actuellement sont Semafo Mana, Iamgold Essakane, Bissa Gold, Wahgnion Gold Operations, Roxgold Gold, Hounde Gold, Semafo Boungou et Somisa. Les autres mines industrielles ont été fermées pour cause d’insécurité.
La mine de Ouaré de la société Avesoro a été attaquée le 30 janvier 2022. Pourtant c’est le minerai de cette mine qui devait alimenter l’usine de Youga dont le minerai est arrivé à expiration. Youga était en attente de ce minerai et celui de Nietiana en construction (mine souterraine). Suite à l’attaque de Ouaré, Avesoro a décidé de suspendre les activités des 3 permis miniers.
Nordgold a suspendu l’exploitation de sa mine de Taparko/Bouroum en avril 2022. Nordgold justifie cette suspension par les incursions terroristes sur le site et les problèmes d’accès au site. En début octobre 2022, Bouroum, un site satellite de Taparko a connu une attaque ayant entrainé la mort de 4 personnes. La mine de Riverstone Karma a été attaquée le 9 juin 2022. Deux personnes ont été tuées au cours de l’attaque. Les responsables de la mine ont suspendu l’exploitation. Karma a connu 2 autres attaques en octobre 2020. A titre d’exemple, la production était de 43,651 tonnes en janvier et septembre 2022 contre 50,126 tonnes la même période en 2019.
II-3) Orpailleurs ballotés entre GAT et FDS
Les politiques de sécurisation du territoire mises en œuvre depuis les attaques des groupes armés au Burkina Faso restent en deçà des attentes des populations. Cette situation tient à une faible présence des forces de l’ordre sur les zones de fortes insécurités, toute chose qui s’oppose à une croissance rapide des groupes armés dans presque toutes les régions du pays. La persistance de la pauvreté et le souhait de devenir rapidement riche a amené beaucoup de Burkinabé à adhérer aux messages ou être de connivence avec les groupes armés.
Les groupes armés prennent possession des sites d’orpaillage ou l’autorité de l’Etat n’existe pas, ils profitent asseoir leur autorité auprès des orpailleurs et dans les dites communes (IGC, 2019). Cette situation permet aux groupes armés dans la province du Sanmatenga et un peu partout sur les territoires conquis de continuer les attaques et rendre la crise plus longue au Burkina Faso. Parallèlement, tout individu capable d’aller et de venir dans ces zones est considéré par les forces régaliennes, comme étant un « suspect sérieux » et traité comme tel.
ZZ, orpailleur de la province du Sanmatenga nous donne encore la raison de son choix de travailler dans les sites d’orpaillage occupés par les groupes armés : « ce sont nos autorités qui poussent bon nombre d’orpailleurs à adhérer aux idéologies des groupes armés. Je vous explique si vous avez des autorités qui vous traitent comme des ennemis on n’a pas le choix que d’aller vers ceux qui nous aident à défendre nos droits »
SS, un autre orpailleur nous explique également les difficultés qu’il a connues dans le métier de l’orpaillage : « Dans le site de Kari, un site d’orpaillage de la commune de Houndé, j’étais sur le point de récolter les fruits de mon trou, mais les autorités du ministère des mines et les responsables de la société minière Houndé Gold sont venus nous chasser alors que j’avais dépensé plus de 20 millions dans le trou et comme ça je sors le gros perdant. Si les autorités ne changent pas de politique envers les orpailleurs le terrorisme ne pourra jamais finir au Burkina Faso » (SS…)
Ces récits confirment bien la considération d’un bon nombre d’orpailleurs vis-à-vis des groupes armés. Afin de pouvoir continuer à mener leurs activités d’orpaillage, les orpailleurs des sites occupés par les groupes armés optent de respecter à la lettre les principes de fonctionnement du site dictés par les terroristes et acceptent également de leur vendre leur or. Ceux qui ne veulent pas adhérer décident de migrer ailleurs comme nous l’avions montré plus haut.
Les orpailleurs vivent constamment entre la peur des forces de défense et de sécurité et celle des groupes armés terroristes. Le moindre mal est donc la collaboration avec les groupes armés terroristes lorsqu’on n’est pas sûr de celle de l’Etat.
II-4 Violation des droits humains
L’architecture mise en place dans la régulation du secteur minier devrait permettre d’instaurer un dialogue plus facile en vue de lutter contre la violation des droits humains. Cependant, les données recueillies sur le terrain permettent d’affirmer que les violations des droits humains au niveau du secteur minier industriel comme artisanal sont très criardes au Burkina Faso. Les attentes de voir les communautés vivant autour des projets miniers tirer profit de ces opportunités se volatilisent. Or les projets miniers ont des effets induits, directs et indirects sur le cadre de vie des communautés riveraines, notamment en ce qui concerne l’éducation, l’emploi, la santé, l’environnement et les sources de substance. Cette situation pourra trouver une justification du fait de la présence d’une asymétrie des textes juridiques créant ainsi un déséquilibre quasi fondamental entre le secteur des mines et les autres secteurs vitaux des populations notamment le foncier et le secteur agricole. Pourtant, la révision du code minier de 2015 n’a pas pris les amendements sur les lacunes sus évoquées afin de lutter efficacement contre la violation des droits humains dans le secteur minier au Burkina Faso. C’est à ce titre qu’un agent de la mairie de Dassa avance en ces mots : « l’exclusion des institutions locales dans la gestion du secteur contre une forte concentration d’attributions au niveau central ne peut qu’accentuer les violations des droits humains »
Un traitement acceptable des orpailleurs dans ce contexte d’insécurité s’avère indispensable. En réalité, il est nécessaire de mentionner que la principale source de la mauvaise gouvernance au niveau du secteur de l’EMAPE, facteur d’atteinte aux droits humains provient des agents publics qui utilisent leur pouvoir politique et même financier pour exercer de nombreuses pressions sur les acteurs de l’EMAPE.
Conclusion
En Afrique, les lieux des mines industrielles et d’orpaillage ont souvent été des lieux d’insécurité mais, il convient de mentionner que ces types d’insécurités n’avaient pas d’impact sur la production minière. Cependant, il convient de mentionner que les attaques des groupes terroristes que le Burkina Faso connait de nos jours jouent négativement sur le secteur minier. Ces attaques ont des conséquences sur la sécurité humaine et aussi sur l’économie nationale. Pour faire face à cette situation, les acteurs du monde minier développent des capacités résilientes pour pouvoir continuer l’exploitation de la ressource.
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Bibliographie
Olivier De Sardan J-P., 1995, « La politique du terrain. Sur la production des données en anthropologie » In revue ENQUÊTE [En ligne], no 1, pp. 71-109. Numéro intitulé: “Les terrains de l’enquête.”
Zongo T., 2019, Orpaillage et dynamiques territoriales dans la province du Sanmatenga « le pays de l’or » au Burkina Faso, Thèse de Doctorat en géographie, Université Paris1 Sorbonne Panthéon et l’Université Joseph Ki Zerbo de Ouagadougou, 268 p.
Fritz, B, Zongo, T. 2023, Salafist violence and artisanal mining: Evidence from Burkina Faso.17p Journal of Rural Studies. JOURNAL homepage: www.elsevier.com/locate/jrustud