mardi 5 novembre 2024
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Articles de vulgarisation : Analyse sur la question de « l’élevage et les attaques des groupes terroristes dans la province du Sanmatenga »

 Dr Zongo Tongnoma, Chargé de recherche et spécialiste des questions minières à l’institut des Sciences des Sociétés (INSS) du CNRST

L’élevage et les attaques des groupes terroristes dans la province du Sanmatenga

Résumé

Ce document de vulgarisation est tiré de l’article intitulé « attaques des groupes armés, activités agricoles et exploitation artisanale de l’or dans la province du Sanmatenga au Burkina Faso » publié dans la revue de Géographie de l’Université de Ouagadougou, Num. spécial, Vol. 4, Actes du colloque d’hommage au Prof. TPZ, janv. 2023 analyse les effets des attaques des groupes terroristes sur le secteur de l’élevage. Deuxième secteur économique après l’agriculture dans les milieux ruraux du Burkina Faso, l’élevage constitue un secteur stratégique de lutte contre la pauvreté dans ce pays. Il contribue à la sécurité alimentaire et occupe une place importante dans les recettes d’exportation du pays. Cependant, il convient de souligner que ce secteur qui est exigeant en main d’œuvre, doit faire face à la prolifération des activités d’orpaillage de nos jours. L’orpaillage attirait déjà la frange la plus jeune et la plus dynamique de la population. C’est dans ce contexte de compétition de la main d’œuvre rurale qui existait déjà entre l’élevage et l’orpaillage que s’est faite l’apparition des groupes armés terroristes dans les zones rurales de la province du Sanmatenga. Cet article analyse à partir des données recueillies sur le terrain et d’une revue de littérature les interactions entre l’orpaillage, élevage et les groupes armés terroristes dans la province du Sanmatenga. Les résultats de la recherche montrent bien que l’orpaillage favorisait la restriction des espaces de pâtures des animaux et la fuite de la main d’œuvre de l’élevage au profit des sites d’orpaillage.  Les attaques des groupes armés bouleversent totalement les dynamiques qui existaient dans cette partie du Burkina Faso. Les résultats de notre recherche montrent aussi que les attaques des groupes terroristes ont des effets néfastes sur l’orpaillage et l’élevage dans le Sanmatenga. 

Mots clefs : Burkina Faso, Élevage, Orpaillage, Sanmatenga, Terroriste

Introduction

Traditionnellement, l’économie de la province du Sanmatenga dans le Centre Nord du Burkina Faso repose sur l’agriculture et l’élevage. Cependant, ces dernières années, le système rural de cette province connait des mutations socio-économiques. Les attaques des groupes armés que le Burkina Faso connait de nos jours a des incidences sévères sur le secteur de l’élevage. En effet, le système de l’élevage traditionnel basé sur une forte mobilité intra-terroir villageois est remis en cause. En effet, les stratégies adoptées par le passé par les éleveurs qui étaient l’éloignement des troupeaux du territoire villageois pendant des périodes plus ou moins longues par des pratiques de transhumance saisonnière vers des régions moins peuplées et disposant d’avantage des ressources fourragères n’est plus possible dans d’autres communes de la province du Sanmatenga à cause des attaques des groupes djihadistes. Les zones qui étaient réservées au pâturage sont occupées par les terroristes. L’instabilité de la situation sécuritaire a de grave répercussions sur l’économie pastorale. Or la pratique d’élevage dans sa majorité est en grande partie mobile et basée sur des pâturages ou des parcours pastoraux (Anicey véronique, 1997, P.7). La mobilité des troupeaux de ruminants permet d’adapter l’alimentation des animaux aux variations importantes intra-annuelles de la disponibilité en ressources fourragères locale (Le Guen, Tanguy, 2004, P.12). Cette mobilité en question est remise en cause depuis l’arrivée des groupes terroristes dans la province du Sanmatenga. Dans le cadre de cette étude, nous tenterons de répondre à la question suivante : Comment les attaques des groupes djihadistes impactent-ils les systèmes d’élevage et de l’orpaillage pratiqués par les ménages de la province du Sanmatenga ? Quelles sont les conséquences socio-économiques des attaques des groupes djihadistes sur le secteur de l’élevage et de l’orpaillage dans la province du Sanmatenga ?

Méthodologie

Notre méthodologie associe une revue de littérature et la collecte des données qualitative sur le terrain. Les enquêtés ont été choisis de façon aléatoire selon leur disponibilité. Nos entretiens gravitaient autour de l’impact des attaques des groupes djihadistes sur le secteur de l’élevage, les stratégies mises en place par les éleveurs, le contexte de sécurité difficile dans la province du Sanmatenga, les difficultés de la filière etc. Même si, d’un point de vue ethnologique, une pratique peut être étudiée isolement, dans le cadre de cette étude le point de vue de l’acteur, son histoire et les conditions de son environnement de production pour dévoiler les logiques de la pratique qu’il convient d’expliquer nous semble indispensable. Pour cette raison, la logique productive, la motivation des acteurs et le contexte de la production doit être interrogé dans un premier temps pour cerner les diverses catégories d’élevage. Ensuite, questionner dans un second temps les rapports et les interactions entre les différents acteurs qui produisent dans les mêmes espaces afin de découvrir les déterminants des dynamiques en cours dans ce contexte de sécurité difficile dans la province du Sanmatenga.  Cette approche nous permettra de repérer les transformations opérées dans le système en question et les parties qui ont occasionné les mutations. Pour atteindre les objectifs de notre étude, Nous avons mené des entretiens semi-structurés et de focus groups auprès de 30 éleveurs de la province, les agents de la direction générale de l’élevage de la province. Aussi, pour mieux cerner les interactions entre les éleveurs et les orpailleurs dans ce contexte de sécurité difficile, nous avons mené aussi des entretiens auprès de 20 orpailleurs de la province, les associations des orpailleurs. Dans la capitale Ouagadougou, nous avons mené aussi des entretiens auprès des acteurs du ministère des mines et de l’énergie, de la direction générale des mines et auprès de quelques travailleurs de la Société Nationale des Substances Précieuses (SONASP). Des outils de collecte de données (guides d’entretiens individuels et de groupe, etc.) ont été élaborés en tenant compte de la spécificité de chaque groupe cible.

  1. Présentation et discussion des résultats

I.1. Le ralentissement de la pratique de l’élevage et de l’orpaillage provoque une insécurité alimentaire dans la province du Sanmatenga

La plupart des personnes enquêtées dans la province du Sanmatenga avance que l’insécurité alimentaire a gagnée du terrain depuis l’avènement des groupes djihadistes. En effet les principales activités du système rural de la province du Sanmatenga que sont l’agriculture, l’élevage et l’orpaillage sont sous une menace terrible. Les données de l’enquête avancent que la plupart des ménages sont dans une situation d’insécurité alimentaire dans la province du Sanmatenga. Ce résultat corrobore les résultats du rapport OCHA (2022) sur la situation humanitaire au Burkina Faso qui mentionne qu’au moins 3,4 millions de personnes sont en situation d’insécurité alimentaire. Un autre rapport dénommé Food Security Cluster (2022) mentionne que le nombre de personnes en insécurité alimentaire au Burkina Faso est estimé à 3,45 millions de personnes. Cette situation trouve sa justification à cause des attaques des groupes djihadistes qui ont entrainé la baisse des superficies agricole emblavés, la restriction des zones de pâtures et les zones d’orpaillage dans le Sanmatenga.  Cette thèse rejoigne les données des statistiques de la direction de la région du Centre Nord qui avancent que l’insécurité a entrainé une réduction de l’espace agricole, avec environ 2 000 ha non emblavés pour la campagne agricole 2021/2022 en mars 2022. Par ailleurs, le rapport de ‘Food Security Cluster’ (2022) indique une réduction de 10 % de la production nationale de céréale par rapport à la moyenne des cinq années précédentes. C’est dans ce même d’ordre d’idée qu’un agent de la mairie nous laisse entendre que : « si rien n’est fait rapidement pour en finir avec cette guerre au Burkina Faso, la population risque de mourir de faim un jour car nous ne cultivons plus et nous ne pratiquons plus l’élevage à cause des déplacements forcés ».

Un autre interlocuteur de la direction régionale de l’agriculture nous laisse entendre à travers ces mots suivants : « la situation commence à me faire peur sur le plan de l’autosuffisance alimentaire au Burkina Faso. On n’avait des problèmes pour que chaque Burkinabè puisse manger les trois repas par jour avant les attaques des groupes terroristes et mais maintenant avec ces déplacements massifs nous risquons de payer un sac de maïs à 50000 FCFA »

I.2. Les conflits et l’élevage

 Les conflits impactant les activités des éleveurs ont augmenté dans certaines régions de l’Afrique de l’Ouest et du Sahel, mettant en mal la conduite de l’activité de l’élevage. Ces conflits découlent souvent surtout de la compétition pour l’accès à la terre, à l’eau et à la nourriture, mais des facteurs politiques et socioéconomiques y sont aussi associés. La manière dont sont gérées les ressources naturelles en est aussi une cause fondamentale des conflits. C’est dans ce même ordre d’idée que Jacky Bouju (2020) dans son article questionne l’enchevêtrement des causes de conflit pour l’accès aux ressources agro-pastorales dans les plaines transfrontalières sous-administrées du Centre- Mali et du nord du Burkina Faso. Comme résultat il avance que dans un contexte de saturation foncière, l’aggravation des conflits entre pasteurs transhumants et propriétaires fonciers a conduit à une contestation violente de l’inégalité des droits d’accès aux ressources agropastorales au sein de la société peule.  D’autres chercheurs comme (Dugué et al., 2004 ; Le Guen Tanguiy, 2004 ; Kolhagen, 2002) avancent que la lutte accrue pour le contrôle de la terre et des points d’eau entraîne des compétitions entre éleveurs et agriculteurs autour du foncier.  L’affaiblissement brutal de l’Etat à résoudre souvent le problème ouvre la porte à des affrontements entre les différents acteurs concernés. Les éleveurs sont à la fois victimes et acteurs de ces conflits, qui peuvent éclater entre leurs propres groupes, ou entre éleveurs et agriculteurs et souvent éleveurs et orpailleurs ou orpailleurs et agriculteurs. Toutefois, dans de nombreuses autres zones, les agriculteurs et les éleveurs gèrent pacifiquement leurs relations, sur fond d’échanges économiques et d’une bonne coopération. 

Conclusion

Au Burkina Faso, l’élevage et l’orpaillage ont longtemps été au centre du fonctionnement de l’économie rural du pays lors des aléas climatiques. Cependant, il convient de mentionner que l’orpaillage et l’élevage qui sont des stratégies de subsistance fondamentalement concurrentes, voire incompatible sont aujourd’hui sous la menace des groupes terroristes. L’élevage et l’orpaillage qui alimentaient le système économique de la province du Sanmatenga se trouve dans des difficultés énormes à cause des attaques des groupes terroristes. Les déplacements des troupeaux qui se faisaient en fonction de l’existence de pâturages, de l’accès à l’eau n’est plus possible dans d’autres zones de la province du Sanamatenga. Ces changements constatés actuellement dans le système rural sont sources de fragilisation de l’économie rurale de la province. Aujourd’hui les enjeux de l’élevage au Burkina Faso se posent dans un contexte de volatilité extrême des prix des intrants, de paupérisation de larges franges de la population. 

Bibliographie

Ancey, Véronique, 1997, « Les Peuls Transhumants du Nord de la Côte-d’Ivoire entre l’Etat et les Paysans : la mobilité en réponse aux crises. » In Le modèle ivoirien en questions: crises, ajustements, recompositions, edited by Contamin Bernard and Memel-Fotê Harris, 669-687. Paris: Karthala; Orstom.

DE Bruijn Mirjam et Both Jonna, 2017, “Youth Between State and Rebel (Dis) Orders: Contesting Legitimacy from Below in Sub-Sahara Africa,

Gonin Alexis, 2018, Concurrences spatiales, libre accès et insécurité foncière des éleveurs (sud-ouest du Burkina Faso), Les Cahiers du Pôle foncier, n° 20

Jacky Bouju, 2020, La rébellion peule et la “ guerre pour la terre ”. Revue internationale des études du développement legitimacy from Below in Sub-Sahara Africa” Small Wars & Insurgencies, 28. 4-5: 779–798

Kolhagen, Dominik, 2002, “Gestion Foncière et Conflits entre Agriculteurs et Eleveurs, Autochtones et Etrangers dans la Région de Korhogo (Côte d’Ivoire).” Rapport de mission dans le cadre du programme de recherche « vers de nouvelles dynamique entre loi et coutume? ». CIRAD.

 Le Guen, Tanguy, 2004, “Le Développement Agricole et Pastoral du Nord de la Côte d’Ivoire: Problèmes de Coexistence.” Les Cahiers d’Outre-Mer 57 (226–227): 259–288.

Narbone Aude., Ronchi Bruno., Lacetera Nicolas., Maria Stella Ranieri., Bernabucci Umberto., 2010. Effects of climate changes on animal production and sustaina- bility of livestock systems. Livest. Sci., 130, 57-69

Rapport OCHA,2022, la situation humanitaire au Burkina Faso.

Rapport food security cluster, 2022, Cadre Harmonisé d’analyse et d’identification des zones à risque et d’estimation des populations en insécurité alimentaire au Sahel et en Afrique de l’Ouest

Sangaré Boukary, 2016, « Le Centre du Mali : épicentre du jihadisme ? 

Tina Goin Lou Virginie Tra 2018, Si nos bœufs pouvaient voler’. Gouvernance des conflits d’usage autour des espaces agro-pastoraux à Tienko, Côte d’Ivoire

Zongo Tongnoma, 2019, Orpaillage et dynamiques territoriales dans la province du Sanmatenga « le pays de l’or au Burkina Faso » Thèse de doctorat en cotutelle, Univ Paris1 Sorbonne Panthéon et Univ Joseph Ki Zerbo.

Zongo Tongnoma, 2023. Attaques des groupes armes, activités agricoles et exploitation artisanale de l’or dans la province du Sanmatenga au Burkina Faso. Revue de Géographie de l’Université de Ouagadougou, Num. spécial, Vol. 4, Actes du colloque d’hommage au Prof. TPZ, janv. 2023

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