Les témoins se succèdent au Tribunal de grande Instance Ouaga II, ce mardi 20 septembre 2022. C’est au tour de Seni Koanda, président de l’Association nationale des Etudiants burkinabè (ANEB) au moment des faits, de livrer ce qu’il sait des circonstances de la mort de Dabo Boukary.
« C’est un jour qu’on attendait depuis fort longtemps, moi-même, la famille Dabo, mes compagnons de lutte… En mai 1990, j’étais le président de l’ANEB », a d’emblée réagi M. Koanda.
De ses explications, l’affaire Dabo Boukary est partie des agissements des Comités révolutionnaires (CR) à l’époque, à l’Université de Ouagadougou. « Les CR s’étaient érigés en échelon administratif… Si on devait adresser quelque chose à l’Université de Ouagadougou, on devrait avoir l’avis du CR avant de déposer au rectorat (…) Normalement, ce n’est pas réglementaire. Ils ont même voulu instaurer la carte CR qui devait être dans les conditions d’obtention de la bourse d’études », a essentiellement décrié l’ancien président de l’ANEB.
Il a renchéri : « de façon systématique, il y avait un rejet de nos activités, mêmes culturelles, par les CR, pour différents motifs. » En effet, M. Koanda a défini les CR comme une branche « politique pour défendre les intérêts du Front populaire [alors au pouvoir] », tandis que l’ANEB, a-t-il soutenu, « n’a jamais cautionné un coup d’État. »
Et pour ces divergences, le témoin Koanda explique que lui et ses camarades sont rentrés en protestation le 15 mai 1990. « La nuit, au journal-parlé, il y a d’abord eu une déclaration du bureau des CR de l’Université de Ouagadougou qui nous traitait d’ « anarcho-fascistes (…). » En clair, M. Koanda a cité la déclaration du délégué CR à leur endroit, qui sonnait comme une menace : « il nous [CR] revient de tout mettre en œuvre pour mettre fin à leurs manœuvres anti-étudiants. » Le ton est donné. Par « tout mettre en œuvre, l’objectif, c’est soit récupérer l’ANEB, soit la détruire », pense M. Koanda qui, s’appuyant sur la suite des événements, a ainsi déduit que « cela a été orchestré. »
À la suite de la déclaration du délégué CR, le témoin se souvient que le journaliste a lu une note faisant cas « d’exclusion d’étudiants » dont lui-même et près d’une dizaine d’autres pour, entre autres, « perturbations des cours. »
« Salifou Diallo a ordonné de charger les étudiants »
« Le 16 mai, nous nous sommes retrouvés à l’UFR/IDS pour protester contre la situation. A l’occasion, Bamba Mamadou était avec un des éléments, je ne sais pas si c’est Clément Sawadogo… Entre temps Bamba a voulu venir vers nous, les étudiants n’ont pas accepté (…) On a décidé de marcher sur le rectorat. On a tenu le meeting, entre temps, on nous a dit que Salifou Diallo était arrivé. On a continué le meeting. Quand j’ai commencé à parler, la sécurité m’a informé que M. Salifou Diallo a ordonné de charger les étudiants (…) J’ai donné le mot d’ordre de grève et la sécurité a créé un passage pour moi… », a relaté l’ancien délégué ANEB.
Et du 16 au 17 mai, il se rappelle qu’ « ils (les militaires, ndlr) ont frappé les étudiants, emmené certains au Conseil de l’Entente, après vérification de leur identité à la Permanence de l’Université. » « Le 17 mai, il y a une liste de 15 noms d’étudiants qui est sortie, ils étaient exclus de l’Université. Le 18 mai, il y a eu une autre liste de 17 noms dont notre camarade Dabo Boukary… », a-t-il poursuivi, avant de lâcher : « il était évident qu’on voulait décimer la Coordination (ANEB, ndlr)… » C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.
« Nous avons décidé de faire un meeting à la Bourse du Travail le 18 mai, parce que nous estimons qu’ils ont décidé de liquider l’ANEB par tous les moyens. Quand les étudiants se dirigeaient sur la Bourse du Travail, on s’est rendu compte que c’était occupé. C’est là que nous avons demandé aux étudiants de replier sur le campus… Nous, nous étions en attente chez le camarade Boubacar Coulibaly, un délégué qui logeait aux 1200 logements… », a-t-il enchaîné. Dans cette situation, le président ANEB de l’époque dit avoir souhaité rencontrer Dabo Boukary, celui-là qu’il a qualifié d’« un élite qui avait une grande expérience dans la lutte », sauf que ses camarades lui ont rétorqué qu’ « il était difficile parce qu’on recherchait les étudiants… »
« C’est là que moi et tous les autres membres du comité exécutif, on a plongé dans la clandestinité totale », se rappelle-t-il avant de révéler : « entre temps, on a entendu des bruits. On disait que c’est moi, président ANEB, qui avais été pris et que j’étais mort. D’autres disaient que c’est Dabo Boukary. » Il s’agissait de Dabo Boukary même si, M. Koanda a fait remarquer que dans un arrêté en septembre 1991, alors qu’eux savaient que leur camarade était mort, son nom était « bel et bien présent » sur une liste de 27 étudiants exclus de l’Université de Ouagadougou.
Retour sur le rôle des CR dans l’arrestation des étudiants de l’ANEB
Parmi les éléments des CR, figurait Mamadou Bamba, qui, à en croire le président ANEB des années 90, servait d’informateur au régime d’alors. Il se souvient que dans leur clandestinité, ils étaient vivement recherchés et même dans leur domicile. « Nous nous sommes demandés comment les militaires pouvaient identifier les militants de l’ANEB des autres étudiants ? A moins que les CR les leur montraient (…) », s’est résolu à croire le témoin Koanda, pour qui « forcément, il y a des gens qui ont dû effectivement donner des noms, les domiciles des militants de l’ANEB, (aux CR). » Pour illustrer, confie-t-il, « ce qui m’a été rapporté, c’est que lorsque je suis rentré en clandestinité, les militaires du CNEC (Centre national d’entraînement Commando, ndlr) sont venus chez moi, me recherchant, accompagnés de Bamba Mamadou. Ils ont pris mon co-locataire, ils ont fait un tour avant de le libérer… »
M. Koanda a poursuivi en indiquant que même après le 19 mai, les arrestations ont continué.
L’audience a été suspendue à 23h 52 alors que les avocats de la partie civile interrogeaient le témoin Koanda. La reprise est annoncée pour ce mercredi 21 septembre à 9h, avec la suite du témoignage de M. Koanda et deux autres témoins en attente.
Franck Michaël KOLA
Minute.bf
Vraiment c’était déplorable, très triste. Le sang est coulé injustement dans ce pays pour les intérêts égoïstes
Très riche, je félicite le rédacteur de ce journal, merci encore, anitché🤝
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Pas facile la vie je me demande comment ses gens vivaient même après avoir commis trop de crimes
À l’époque c’était l’abus du pouvoir
Vivement que la justice soit vite établie pour qu’on change de sujet. Pendant que nous sommes à Ouaga II, le terrorisme avance à pas d’autruches. Que Dieu veille sur le Burkina Faso !