Dans la guerre que les forces du mal lui opposent depuis près de huit ans maintenant, le Burkina Faso peut compter sur l’esprit de résilience et de solidarité de son peuple. Depuis le début de la crise humanitaire, des milliers de Burkinabè se sont mobilisés à travers le pays, pour venir en aide à leurs compatriotes contraints de fuir leurs localités. Pendant que certains se sont volontairement proposés pour les accueillir chez eux, d’autres continuent de se mobiliser pour offrir à ces personnes devenues vulnérables, le minimum à même de leur permettre de vivre dignement en attendant le retour de la paix. Jeanne Lompo fait partie des bonnes âmes qui alimentent cette chaîne de solidarité au pays des hommes intègres. Depuis plusieurs années maintenant, elle œuvre à redonner de l’espoir aux femmes déplacées internes (FDI), en les initiant à ce qu’elle sait faire de mieux : le tissage. Par ses actions, plusieurs centaines de femmes déplacées internes se sont déjà relevées. Rencontre !
Sur le site des déplacés internes de Pazanni, son nom résonne presque sur toutes les lèvres. Les traces qu’elle y a laissées en mars 2023, resteront gravées pour toujours, dans les coeurs de la soixantaine de femmes déplacées internes à qui elle a redonné une raison d’espérer à nouveau. C’est d’ailleurs sur ce site qui abrite quelques 1 000 déplacés internes, que nous avons entendu pour la première fois son nom : Jeanne Lompo.
Alors que nous y réalisions un reportage avec des femmes déplacées internes modèles, en juillet 2023, le nom de Jeanne Lompo ne cessait de revenir dans nos échanges. Les témoignages de ses œuvres avec. C’est donc naturellement qu’au sortir de cette mission, nous décidions d’aller à la découverte de cette bonne samaritaine que les déplacées du site de Pazanni appellent affectueusement « Tantie Jeanne ». Ce sont elles d’ailleurs qui nous facilitent la mise en contact.
Vendredi 25 août 2023, il est 09h quand nous prenons la direction du quartier Sanyiri dans l’arrondissement N°11 de Ouagadougou. C’est là que nous a indiqué dame Lompo. Après une vingtaine de minutes à tracer minutieusement la localisation qu’elle a pris le soin de nous transmettre via WhatsApp la veille, nous débouchons sur une boutique de vente de vêtements à l’enseigne « Faso Beautex ». Pendant que nous sortons notre téléphone pour informer notre interlocutrice de notre présence, nous sommes accostés par une dame, la soixantaine révolue, vêtue de pagne Faso Dan Fani. Nulle doute ! C’est bien celle que nous sommes venus rencontrer. Visage accueillant, sourire aux lèvres, l’allure sûre, Jeanne Lompo fait partie des personnes qui vous marquent positivement dès le premier contact. Après les présentations d’usage, elle nous conduit dans sa boutique, un magasin de vente de tissus Faso Dan Fani.
« Nous allons continuer au Centre », nous propose-t-elle quelques minutes après. Chemin faisant, elle va nous confier que c’est dans ce centre qu’elle accueille et forme ses « enfants » (pour parler des déplacés internes, ndlr).
Un centre, une famille!
Après quelques pas, faits de discussions sur la question des déplacés internes, nous débouchons sur un hangar entièrement clôturé. Une dizaine de métiers à tisser disposés de part et d’autres se laissent percevoir à l’intérieur de la vaste salle. Quand nous approchons du lieu, c’est le bistanclaque des métiers à tisser qui nous accueille. Un atelier de tissage tout fait ! Dans la salle, une quinzaine de filles sont à l’œuvre. Pendant que certaines, perchées sur leurs métiers à tisser, actionnent frénétiquement les pédales de la machine, d’autres sont occupées à tendre des fils dressés de part et d’autres de la salle. L’une d’elles est à la cuisine. Notre irruption sur les lieux suscite les regards. Toutes accourent pour dire Bonjour à leur « tantie ».
A peine faisons-nous notre entrée dans l’atelier que Jeanne Lompo est en mode supervision. Le temps de sortir notre matériel, elle est à l’autre bout de la salle, en plein débat avec l’une des filles. « Il faut bien tendre les fils pour que ça soit droit sinon les motifs ne seront pas jolis. Rassemble les fils à chaque fois avant de faire passer la navette. Je t’ai toujours dit ça. », réprimande-t-elle la fillette, un air d’agacement dans la voix. Nous assistons là, à une séance d’enseignement entre la maîtresse des lieux et ses « filleules ».
Nous comprenons vite qu’ici, les relations sont loin d’être de celles que l’on rencontre dans les centres de formation ordinaires. Le climat est convivial, la relation, mère – enfants. Tantôt taquine, tantôt sérieuse, Mme Lompo sait se montrer rigoureuse quand il s’agit de l’apprentissage. Les jeunes filles le prennent plutôt bien et assimilent les leçons de leur « maman », l’air concentrées.
Depuis 2015, c’est dans ce centre que Mme Lompo joue sa partition à l’effort de paix pour la reconquête du territoire national. Avec son association dénommée Newlife ou encore « Nouvelle vie, Nouveau départ », elle accueille les femmes et filles ayant été contraintes d’abandonner leurs villages et les initie au métier du tissage. Voilà donc près de 8 ans qu’elle s’est engagée à inculquer à ces personnes vulnérables, les rudiments du tissage.
Vidéo – Une vue du Centre de Jeanne Lompo
Aujourd’hui, ce sont plus d’une centaine de femmes vulnérables qui ont retrouvé le sourire grâce à ses actions. Au nombre d’une quinzaine, les filles actuellement en formation sont toutes venues de la province du Bam, plus précisément de Kongoussi. D’un âge compris entre 13 et 20 ans, elles sont pour la plupart des élèves qui, en raison du phénomène sécuritaire, ont dû abandonner les salles de classe. Pour les arracher aux mains de l’oisiveté, et surtout, éviter qu’elles ne deviennent des proies qui iront grandir le nombre des groupes armés, Jeanne Lompo leur a ouvert ses portes, prenant sur elle de les initier au métier du tissage en attendant la réouverture des classes dans leurs villages.
Avec celle qu’elles ont désormais adoptée comme « mère », ces filles apprennent donc le métier. De la teinture à la filature en passant par l’ourdissage, le filage ou le choix de la texture, elles s’essaient à tout le processus. Foi de la maîtresse des lieux, c’est parfaitement aguerries qu’elles sortiront du centre.
C’est cela aussi tout l’espoir d’Adeline Ouédraogo, l’une des jeunes filles en formation dans le centre. Agée de 16 ans, elle était en classe de 6e quand les « gens de la brousse » ont fait irruption dans son village. Ils ont intimé l’ordre aux enseignants de fermer l’école, sans quoi, ils feront un carnage à leur prochaine visite. Après cet incident, les enseignants sont partis du village, emportant avec eux, une partie du rêve de devenir « infirmière » de la jeune fille.
C’est donc en quête d’une nouvelle destinée qu’elle est arrivée dans ce centre. Aujourdhui, après trois mois de formation, Adeline s’en sort assez bien avec les différentes techniques du tissage. Elle dit s’en réjouir. « Tantie nous a appris que pour tisser, il faut d’abord teindre la laine et après la faire sécher. Ensuite, on sépare les fils et on les tend avant de commencer à tisser. J’ai beaucoup appris depuis que je suis arrivée et je remercie beaucoup tantie (Jeanne Lompo, ndlr.)», nous confie-t-elle, sourire aux lèvres.
Si Adeline est si heureuse, c’est parce qu’elle est consciente de la situation difficile que vivent ses parents, eux-aussi déplacés internes à Kongoussi. Elle dit fonder l’espoir que ce métier auquel elle s’initie, lui permettra de leur porter secours une fois de retour dans son village. « Avec ce que j’ai appris, si je repars à Kongoussi, je vais moi-aussi m’installer pour commencer à tisser et pouvoir m’occuper de mes parents. Ça va beaucoup m’aider. Comme ça, même si l’école reprend, j’aurai déjà quelque chose que je sais faire de mes doigts », jubile la jeune fille, un brin de fierté dans les yeux.
Vidéo – Le témoignage d’Adéline Ouédraogo
Nous laissons la petite Adeline à son occupation et nous dirigeons vers Poko, une autre jeune fille postée au fond de l’atelier. Elle semble un peu plus âgée que la première. Nous tentons d’engager la conversation avec elle, mais, visiblement, elle n’est pas très bavarde. Alors que nous nous lançons dans un pourparler pour lui arracher un mot, une petite voix se fait entendre à l’arrière. « Mãm n’a gomame », (« Moi je vais parler », en langue Mooré, ndlr). C’est sa voisine qui se jette à l’eau.
Elle se nomme Laurencia Ouédraogo et est venue de Kongoussi pour apprendre à tisser le pagne traditionnel burkinabè. Installée sur sa machine, elle a presque déjà fini de tisser une bonne partie de ses fils. Le résultat de son travail est là, visible devant elle. Une boule de tissu Faso Danfani rayé de noir, bleu et blanc est soigneusement enroulée sur ses jambes. « C’est moi qui l’ai tissé! » s’empresse-t-elle de nous dire. Comme Adeline, Laurencia a dû, elle aussi, abandonner l’école sur injonction d’un groupe armé terroriste. Ayant été contrainte de quitter son village, elle perçoit cette activité qu’elle apprend, comme une bouée de sauvetage qui lui évitera de perdre doublement dans cette crise dont elle ignore tout.
Malgré son jeune âge, la jeune fille a les idées bien vives. Elle dit avoir beaucoup appris depuis qu’elle est arrivée et confie ne pas avoir les mots pour traduire sa reconnaissance à sa bienfaitrice. « Je suis très heureuse. Le bien que tantie nous a fait, c’est une chose que nous ne pouvons pas lui rendre. Avec ce qu’elle nous a appris, quand moi-aussi je vais repartir dans mon village, je vais aussi commencer à entreprendre. Avec la situation actuelle, ça va beaucoup m’aider, moi et mes parents » , nous laisse entendre la fillette de 15 ans, avant de reprendre son travail, plus déterminée que jamais.
Après ce moment d’entretien avec les pensionnaires du centre, nous retournons à la maîtresse des lieux en plein cours avec une autre fille à qui elle donne des consignes. Sa supervision terminée, elle nous propose de repartir à la boutique, plus calme, pour qu’elle nous explique le sens de ses actions.
Leçons d’un parcours difficile…
Jeanne Lompo a décidé d’accueillir et de former des femmes et filles vulnérables, parce qu’elle est elle-même, passée par une situation de vulnérabilité. Adolescente, elle a été retirée très tôt de l’école et donnée en mariage. Les difficultés de la vie conjugale l’ont contrainte à se lancer dans diverses activités comme la restauration, l’aide – ménage et bien d’autres. C’est dans cette période de débrouille qu’elle s’intéresse au tissage et à la teinture. Elle apprend le métier sur le tas.
Grâce à une connaissance, elle réussit à créer en 1987, une entreprise qu’elle baptise « Faso Beautex », qui propose des tissus Faso Danfani haut de gamme, des objets de décorations d’intérieurs faits à base de pagnes tissés, et, des vêtements. De fil en aiguille et à force d’abnégation, elle se professionnalise dans le domaine, étendant l’écoulement de ses produits à tout le marché national et même international.
À la survenue de la crise en 2016, Jeanne Lompo, désireuse d’apporter sa pierre à la réduction de la vulnérabilité des personnes déplacées, décide de mettre son entreprise « Faso Beautex » au service des couches vulnérables. Elle crée donc une association qu’elle dénomme Newlife, avec pour principale mission de redonner un nouvel espoir aux femmes et filles qui ont tout perdu.
« Depuis le début de la crise sécuritaire, il y a beaucoup de femmes et de filles qui sont laissées à elles-mêmes dans les villages où règne l’insécurité et aussi sur les sites des déplacés internes. Moi, ce que j’ai toujours appris à faire c’est tisser et c’est au tissage que je dois ce que je suis devenue aujourd’hui. Donc, avec la crise sécuritaire, je me suis demandée ce que je peux faire pour venir en aide à mes compatriotes qui souffrent. C’est là qu’il m’est venue l’idée d’apporter ma part de contribution à travers ce que je maîtrise qui est le tissage. Je me suis dit que si par le tissage j’ai pu avoir une nouvelle vie, mes sœurs et mes filles aussi méritent d’avoir une nouvelle vie après, ce par quoi elles sont passées », nous explique la self-made woman. Dans cet élan de solidarité, elle va bénéficier en 2021, d’un appui de l’ambassade de France au Burkina Faso à travers un projet dénommé PISCCA pour former 60 femmes déplacées internes au métier du tissage et de la teinture. Avec cet appui, elle initie plusieurs femmes déplacées internes venues de toutes les régions du pays, au tissage et à la teinture. A l’issue de la formation, chaque femme formée repart avec un métier à tisser et d’autres matériels pour son installation. Sur le site PDI du quartier Pazanni de Ouagadougou, les résultats du travail de Mme Lompo sont implacables.
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Mais comment procède Jeanne Lompo pour entrer en contact avec ces femmes ? La méthode est bien simple selon celle qui a décidé de se rendre utile. Les filles sont recueillies depuis les sites des personnes déplacées internes à travers le pays. En accord avec leurs parents, elles sont convoyées dans le centre, où, elles restent jusqu’à la fin de leur formation. « Pour la plupart des filles qui sont là, ce sont leurs parents qui m’ont contactée depuis Kongoussi pour que je leur apprenne le métier. J’ai formé tellement de filles qui sont réparties dans leurs villages s’installer et commencer elle-même à entreprendre. Cela inspire d’autres parents, surtout les mamans qui m’appellent pour me dire qu’elle demandent à ce que leurs filles viennent chez moi pour apprendre à tisser au lieu de rester là-bas à ne rien faire et un matin on va les prendre pour donner en mariage à bas âge », explique l’humanitaire, qui dit vouloir à travers son acte, contribuer à sa manière à la réduction des effets du terrorisme sur les personnes déplacées internes.
De ce qu’elle nous relate, c’est de l’activité des femmes et filles déplacées internes en cours d’apprentissage dans le centre, que se dégagent les moyens de leur prise en charge alimentaire, vestimentaire et sanitaire. Les produits du tissage qu’elles apprennent et mettent en pratique dans le centre, sont aussitôt entreposés dans la boutique « Faso Beautex » et commercialisés. Les bénéfices de ces pagnes et autres produits issus de leurs mains, servent non seulement à les prendre en charge, mais également, permettront d’offrir à chacune d’entre elles, un métier à tisser au terme de sa formation. Et aux dires de la tisseuse, chacune des femmes qui est passée par son centre est repartie avec un métier à tisser pour sa propre installation. Il en sera de même pour cette vague de filles, promet-elle.
Selon les confidences de Dame Lompo, plus d’une centaine de femmes ont déjà bénéficié de ces formations. Et parmi ces femmes, figurent plusieurs successtories qui ont réussi à remonter la pente et à s’imposer en modèles dans leurs communautés respectives. « Actuellement, pour les filles seulement qui ont été formées et qui sont réparties, elles valent 100. Il y a des femmes déplacées aujourd’hui qui après leur formation, sont allées créer leur propres entreprises de tissage et qui s’en sortent très bien. Ça, c’est ma plus grande satisfaction! », nous confie l’intendante du centre.
Vidéo – Jeanne Lompo se dit satisfaite des résultats de la formation des femmes déplacées internes…
Parmi les femmes déplacées qui sont passées par le centre de Jeanne Lompo, il y a Alizeta Guira. A maintes reprises, nous essayons de caler un rendez-vous avec elle, en vain. Après plusieurs tentatives, c’est finalement le 19 décembre 2023 qu’elle nous propose une date. En fait, la jeune déplacée n’a pas le temps. Cela, nous le comprenons très vite quand nous rallions le marché de Somgandé, dans l’arrondissement N⁰4 de la ville de Ouagadougou où elle exerce. « Si vous venez devant la Sonapost du marché, demandez juste d’après Alizata la tisseuse », c’est le repère qu’elle nous donne pour retrouver son lieu de travail. C’est aussi « cette phrase » qui nous permettra de la retrouver quand nous débarquons sur les lieux.
« J’ai un sérieux problème pour honorer mes commandes. C’est trop! »
Au marché de Somgandé, en effet, ils sont rares, les commerçants qui ne connaissent pas Alizeta, tant elle s’y est fait une bonne réputation. C’est donc sans grandes difficultés que nous retrouvons son atelier. Nous la trouvons en pleine activité. A notre vue, elle arrête sa manœuvre et vient à notre rencontre, le sourire aux lèvres. « Aujourd’hui seulement on s’est eu », nous lance-t-elle dans un fou rire, comme pour ironiser de nos différents rendez-vous manqués.
« Désolée, ce n’est pas de ma faute. J’ai un sérieux problème pour honorer mes commandes. C’est trop. Donc quand je me lève du matin au soir, le téléphone même souvent je n’y touche pas ! », se justifie la jeune femme. Elle nous confie que c’est en 2021 qu’elle a rejoint le centre de Jeanne Lompo, après près de deux années de disette. Originaire de Déou, dans l’Oudalan, Alizeta Guira a été contrainte, avec son époux et ses enfants, il y a quelques années, de fuir son village pour échapper aux actions des hommes armés.
A leur arrivée à Ouagadougou, l’époux, auparavant grand commerçant à Déou, n’a pas digéré l’idée de repartir à Zéro. Il a vite fait de l’abandonner pour rallier la Côte d’Ivoire où il séjourne jusqu’à présent. Livrée à elle-même dans le tumulte de la ville de Ouagadougou, la jeune femme confie avoir sauté sur l’occasion, quand elle a appris courant 2021, qu’un centre organisait des formations en teinture et tissage de pagnes traditionnels au profit des femmes déplacées internes. C’était son bout du tunnel!
« Quand nous sommes parties, on ne savait rien du tissage. On ne savait même pas ce qu’est un motif. On ne savait même pas manipuler les fils. On était bleu bleu. Mais, elle (Jeanne Lompo ndlr) nous a tout montrées. Elle a pris son temps pour nous apprendre tout ce qu’on devait savoir sur la teinture et du tissage. On était 60 femmes dans le centre. Mais elle a beaucoup misé sur chacune de nous. Et en moins de 28 jours, on a fait 5 pagnes traditionnels. C’était incroyable ! », se remémore Mme Guira.
Aujourd’hui, installée à son propre compte, la déplacée est passée maîtresse dans l’art de tisser. Dans le marché de Somgandé, elle a réussi à se faire une bonne réputation dans le secteur, à telle enseigne qu’aujourd’hui, les commandes affluent de toutes parts. D’ailleurs, pour s’aider dans la tâche, elle a initié sa sœur cadette d’une dizaine d’année au métier.
« Grâce à Mme Lompo et cette formation, aujourd’hui je peux dire que ça va. Voyez vous-même, voilà ce que j’ai tissé actuellement. Tout ça c’est déjà commandé. Et avec les fêtes de décembre qui approchent, je n’ai vraiment pas le temps tellement les commandes affluent. Quand les gens arrivent et qu’ils voient que le pagne que vous tissez est de qualité, ils commandent et c’est eux-mêmes qui s’en vont dire à leurs amis que dans le quartier, il y a une dame qui tisse bien. Donc les gens viennent. Souvent même je n’arrive pas à tout prendre parce que je suis débordée », confie-t-elle, le sourire toujours scotché aux lèvres.
Si Alizeta Guira est si heureuse, c’est parce que l’activité qu’elle exerce lui a rendue une joie de vivre qu’elle avait cru avoir définitivement perdue. De ses dires, la formation lui a rendue trois éléments majeurs : « la Joie de vivre, l’autonomie et surtout, l’Espoir ». « A Déou, nous étions commerçants. Les choses allaient bien chez nous. Donc quand on a quitté la ville et vu la manière dont on a été contraints de fuir, ça nous a carrément bouleversé. On a tout perdu du jour au lendemain. Ça n’a pas été facile. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle mon mari est allé en Côte d’Ivoire. Il ne pouvait pas supporter. Mais aujourd’hui, quand vous-même vous me regardez, si je vous dis que je suis passée par tout ça, est-ce que vous allez me croire ? C’est parce que le tissage que je fais m’a ramené ma joie de vivre. Je m’en sors très bien. Je ne dis pas que je suis millionnaire mais grâce à Dieu, je ne me plains pas », nous dit la jeune dame, débordante de positivité.
Cette positivité, elle dit la devoir à cette activité qui la rend autonome, mais aussi, au suivi psychologique dont elle a bénéficié avec les autres femmes, au cours de leur formation dans le centre de l’association Newlife. Selon Alizeta Guira, durant les premiers jours de la formation, le centre a convoqué un psychologue qui les a entretenues et conseillées. Cela leur a permis de « se vider » et de « reprendre des énergies positives ». « Les premiers jours, ça n’a pas été simple. Ils ont fait venir des gens pour causer avec nous. Je vous dis que ce jour là on n’a pas pu travailler de toute la journée. D’autres femmes ont pleuré ce jour-là. C’était totalement le découragement. Une telle dit qu’elle a perdu son père dans cette crise, une telle dit qu’elle a perdu son père et son frère le même jour. Il y a une même qui a dit qu’on a égorgé son petit frère. Ce jour-là, toi aussi tu dis que tu es découragée mais quand tu écoutes d’autres raconter leur vécu, tu laisses pour toi. Vraiment ça nous a beaucoup apaisé. Et puis le fait même qu’on se côtoyait entre femmes qui ont vécu la même situation, ça nous a fait oublier beaucoup de choses. Tantie Lompo nous a beaucoup soutenu. Elle nous a dit que rien n’est tard et qu’il faut se battre », relève le jeune femme.
Vidéo – Alizeta Guira rend hommmage à Jeanne Lompo
C’est donc avec optimisme que Mme Guira aborde désormais la vie. Tenez! Elle ambitionne d’ailleurs de s’acheter d’autres métiers à tisser pour agrandir son atelier. Elle projette également de récruter et d’initier des filles déplacées internes au métier du tissage, une manière pour elle, de perpétuer la chaîne de solidarité de sa « Tantie »: Jeanne Lompo.
Oumarou KONATE
Minute.bf