Dans un entretien accordé à votre journal www.minute.bf,
Abdoul Moumini Nassouri, porte-parole du comité de l’accès aux emplois et de la
lutte contre les fraudes dans les concours, dénonce la mauvaise organisation
des concours directs de recrutement de l’Etat en cours depuis le 18 septembre
2019. « La session la plus mal
organisée » selon lui, est celle de 2019. Il dénonce le désordre et le
dysfonctionnement dans l’organisation des concours session 2019. Sur la
question de l’accès à l’emploi décent des jeunes, M. Nassouri a estimé, au
regard du chômage croissant des jeunes et de la réduction, cette année, du
nombre de poste à pourvoir au concours directs, que le pouvoir en place est « une véritable déception pour la
jeunesse ». Lisez plutôt !
Minute.bf : Dites-nous qu’est-ce qui a bien motivé la création de votre comité ?
Abdoul Moumini Nassouri (AMS) : Le comité a été créé suite aux fraudes décelées pendant l’organisation des concours de la fonction publique, session 2015. Ce comité a été créé par un groupe de candidats qui avait formé un noyau de cinq personnes pour qu’il y ait toute la lumière sur ces fraudes. Par la suite, nous nous sommes rendu compte qu’il y a un vide en ce qui concerne les luttes spécifiques pour l’accès aux emplois pour jeunes. Nous avons donc convenu de maintenir le comité et de se battre conséquemment pour mettre la pression d’abord sur les autorités afin qu’elles créent beaucoup d’emplois décents pour la jeunesse, mais aussi, qu’il y ait surtout la transparence dans les recrutements de la fonction publique.
Nous avions aussi remarqué qu’il n’y avait pas beaucoup de structures qui se prononçaient sur la question des emplois alors que c’est un problème crucial dans notre pays et très important pour la jeunesse. Il faut dire que la jeunesse a été le fer de lance de l’insurrection populaire et de la résistance contre le putsch de septembre 2015. Mais quand on regarde aujourd’hui les préoccupations de cette même jeunesse, notamment la question de l’emploi, nous constatons que cette question ne semble pas être une priorité pour les autorités actuelles. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de maintenir le comité afin de travailler à organiser l’ensemble de la jeunesse au sein du comité, afin de pouvoir se battre pour défendre le droit à l’accès aux emplois décents pour la jeunesse.
Depuis la création de votre comité en 2015 jusqu’à ce jour, est-ce que vous avez pu atteindre vos objectifs à quelque niveau que ce soit ?
Si nos objectifs avaient été atteints, nous n’aurions plus notre raison d’être. Nous aurions dissout le comité pour vaquer à d’autres occupations. Nos objectifs n’ont pas été atteints. Notre premier objectif est la création d’emplois décents en nombre conséquent pour la jeunesse. Mais cet objectif est loin d’être atteint aujourd’hui. L’autre objectif est la transparence dans le recrutement de l’Etat. Est-ce qu’aujourd’hui on peut parler de transparence? Je répondrai non. Je pense que chaque année il y a des informations sur des fraudes qui ressortent. Est-ce que la question de l’emploi, ou, le problème du chômage est une préoccupation réelle pour nos dirigeants aujourd’hui ? Je dirai que ce n’est pas le cas. C’est vous dire que nos objectifs ne sont pas encore atteints et nous travaillons à nous organiser davantage pour l’atteinte de ces objectifs. D’abord, nous avons pour ambition de formaliser notre comité et, ensuite, de lutter conséquemment pour la création d’emplois décents pour la jeunesse.
Est-ce que votre lutte contre la fraude aux concours de recrutement de l’Etat vous a permis un jour de déceler des cas avérés de fraude dans l’organisation des concours?
En 2015, lorsque nous avons eu des informations sur des cas de fraude, nous avons travaillé à ce qu’il y ait toute la lumière sur ces cas. Il y a eu un procès à l’époque qui a même conduit à des peines d’emprisonnement ferme pour certains auteurs. Je dirai que c’est un acquis pour le comité. Chaque année que Dieu fait, il y a des fraudes. Mais ce n’est qu’en 2015 que nous avons réussi à avoir des sanctions contre les auteurs. Nous avions mis la pression aux autorités à l’époque pour qu’il y ait une réorganisation des concours dans lesquels il y a eu des fraudes. Malheureusement, nous n’avons pas eu gain de cause. Nous nous sommes plutôt heurtés à un dilatoire des dirigeants. Nous avons aussi lutté pour que les candidats qui étaient frappés par la limite d’âge en 2015 puissent avoir la possibilité de composer en 2016.
Outre tous ces faits cités ci-dessus, nous nous sommes prononcés sur un certain nombre de points, notamment le Programme jeunes pour l’éducation nationale (PJEN). A l’époque, nous avons dit qu’il était anormal de recruter des gens sans formation ni mesure d’accompagnement. Nous avons dénoncé cette situation parce que nous estimons qu’un enseignant affecté dans une province sans mesure d’accompagnement et qui ne reçoit que cent mille francs comme salaire, n’est pas dans de bonnes conditions pour dispenser le savoir aux enfants. Nous avons, à l’époque, dit que cette mesure viendra encore baisser le niveau de l’éducation.
Aussi, en ce qui concerne la fraude, il faut dire que chaque année, des candidats nous rapportent des informations liées à différents cas qu’ils ont pu constater dans leurs centres de composition. Nous travaillons ainsi à contacter les institutions adéquates pour gérer ces cas de fraude, notamment le Réseau national de Lutte anti-corruption (REN-LAC), qui travaille souvent à saisir le procureur sur certains cas de fraude, même si, le plus souvent, les choses n’avancent pas au niveau de la justice. Il va donc falloir que la jeunesse se mobilise pour dire non aux fraudes dans le recrutement de l’Etat afin qu’il y ait l’égalité des chances entre les candidats.
De 2015 à aujourd’hui, combien de cas de fraude avez-vous attaqué en justice ?
Je ne peux pas donner un nombre mais le plus récent concerne le recrutement au niveau du centre national de transfusion sanguine (CNTS). Nous avons été contactés pour des cas de fraude. C’était en effet un cabinet privé qui avait été contacté pour l’organisation dudit recrutement au CNTS. Il ressortait que certains candidats ont reçu des messages leur demandant certaines choses, surtout à des filles. Cela tendait à montrer qu’il y a eu des fraudes dans ce concours. Nous avons donc amené le dossier au REN-LAC et avec cette institution, nous avons saisi le procureur. Pour le moment, l’affaire est dans les mains de la justice même si ça avance lentement.
Vous avez une Assemblée générale (AG) ce samedi à 16h à l’Université Pr. Joseph Ki Zerbo. Quels seront les grands points qui y seront abordés ?
Comme vous l’aurez remarqué sur les réseaux sociaux, plusieurs publications font cas de mauvaise organisation des concours session de 2019. Ainsi, ce soir avec les étudiants, il s’agira d’abord de recenser les différentes difficultés que les candidats rencontrent au niveau des concours et voir comment nous allons travailler à résoudre cela. Il faut que la question de l’égalité des chances entre les candidats soit préservée. Dans le cas contraire, il va falloir reprendre les concours. J’ai même lu une publication de www.minute.bf qui faisait cas de nouvelles mesures prises par le ministère concernant la composition à mi-parcours des concours. Je pense qu’il y a certains éléments (de fraudes) qui font que ces mesures ont été prises au cours de la composition. Si ce sont des cas de fraude déjà avérés, il va falloir qu’on reprenne tous les concours pour maintenir l’égalité des chances entre les candidats. Il y a également des photos postées sur les réseaux sociaux tendant à faire penser à des fraudes. Mais ce sont des velléités. Pour le moment, il n’y a pas d’authenticité. Il faudra qu’on puisse démontrer leur authenticité. C’est pourquoi nous avons convoqué cette AG pour recueillir les vraies informations.
Quels genres de problèmes rencontrent, selon vous, les candidats cette année aux différents concours?
Du peu d’informations que j’ai sur les problèmes que les candidats ont rencontrés, c’est la question du retard criard dans la composition. Je pense que la composition est prévue pour débuter à 7h30mn. Mais s’il y a des concours dont la composition a débuté à 11h, ce n’est pas normal. Je ne sais pas ce qui se passe mais si certains candidats composent avant d’autres, puisque la composition est décentralisée, ils auront la possibilité de communiquer à d’autres candidats. En ce moment, l’égalité des chances n’est pas préservée. En plus de cela, nous constatons également qu’il y a des changements de sites de composition de dernière minute que les candidats ne constatent qu’une fois sur le terrain. Alors, il se peut que certains n’arrivent pas à composer à cause de ces problèmes. En ce moment, nous préconisons que ces concours concernés soient repris parce que, ce n’est pas la faute du candidat s’il n’a pas pu composer.
C’est un certain nombre de dysfonctionnements que nous constatons et nous voulons des informations pour pouvoir nous prononcer clairement et conséquemment sur l’organisation des concours de la session 2019.
Vous avez parlé de nouvelles règles employées à mi-parcours dans la composition des concours session 2019, et vous estimez peut-être qu’il y a anguille sous roche. Ne pensez-vous pas que ces nouvelles mesures ont peut-être été employées pour renforcer la sécurité afin d’éviter les fraudes cette année ?
Si c’était pour renforcer la sécurité, je ne pense pas que ces mesures allaient être employées à mi-parcours de la composition. C’est bien avant qu’on devrait prendre des mesures conséquentes pour qu’il n’y ait pas de fraude. Il y a particulièrement une mesure avec laquelle je ne suis pas parfaitement d’accord, celle selon laquelle un candidat n’a droit qu’à une seule feuille de composition et que cela soit un critère de sélection. Nous allons travailler à protester vigoureusement contre cette mesure qui n’est pas objective, en ce sens qu’il y a des gens qui sont recrutés et payés pour surveiller afin d’éviter la fraude. Si malgré cela, il y a des problèmes, ce n’est pas la faute aux candidats. On ne peut donc pas dire qu’un candidat n’a droit qu’à une seule feuille de composition et que s’il y a des ratures, il est éliminé d’office. Cette mesure ne vient pas pour renforcer la sécurité, elle vient plutôt pour durcir. Nous pensons qu’il y a des choses qui se sont passées pour qu’on prenne aujourd’hui ces mesures.
Ne pensez-vous pas qu’il sied ici de durcir les mesures quand on sait qu’il y a plus d’un million de candidats pour quelque cinq mille places ?
Je ne pense pas que n’avoir droit qu’à une seule feuille de composition soit un critère objectif ou sécuritaire. S’il y a des ratures sur ta feuille, tu dois avoir la possibilité de la changer et il revient au surveillant de retirer la première feuille et de te remettre une nouvelle. Je ne pense pas que cela puisse occasionner des fraudes. Au-delà, quand vous prenez 1 300 000 candidats pour 5 892 postes, je pense que c’est largement dérisoire et c’est ce qui pousse les gens à s’adonner à la fraude, même si ce n’est pas la meilleure formule à employer en tant que candidat. Je pense qu’il y a un effort que le gouvernement doit faire en ce qui concerne le recrutement des agents de la fonction publique pour résorber la question du chômage. Je pense que l’Etat est le principal pourvoyeur d’emploi et si aujourd’hui on diminue drastiquement le nombre de postes à pourvoir au niveau de la fonction publique, c’est dire que l’on rejette une grande partie de la jeunesse dans le chômage, dans la misère. Avec la situation sécuritaire préoccupante de nos jours, nous pensons que laisser une grande partie de la jeunesse dans le chômage, c’est courir le risque qu’elle se fasse recruter par les réseaux djihadistes. Nous avons, donc tous, intérêt à ce que la question du chômage soit résorbée dans notre pays. En plus, nous affirmons qu’après une insurrection populaire et une résistance contre le putsch du général Diendéré, avec cette mal gouvernance que nous constatons, ce pouvoir en place est une véritable déception pour la jeunesse. Après l’insurrection, c’était l’espoir pour nous qu’avec une bonne gestion, l’on allait créer suffisamment d’emplois pour la jeunesse comme cela avait été dit par les différents candidats aux élections présidentielles de 2015. Le pouvoir en place avait même précisé qu’il allait créer cinquante mille emplois par an, ce qui n’est pas le cas actuellement où il travaille, au contraire, à détruire certains emplois. Et Nous dénonçons cela.
Par rapport aux fraudes, des rumeurs font état de l’existence cette année de candidats-surveillants, c’est-à-dire, des candidats qui, certains jours partent composer, et d’autres jours, partent surveiller ? Avez-vous constaté ces faits ?
Pour le moment nous n’avons pas eu vent de cela. Mais nous prenons acte à notre niveau. C’est une information que nous allons travailler à analyser au sein de notre comité pour comprendre davantage. Aussi, nous tenons à vous informer en même temps que nous avons introduit une demande au niveau du ministère de la fonction publique qui est chargé de l’organisation des concours de recrutement de l’Etat pour comprendre davantage ce qu’il se passe. C’est un véritable désastre, l’organisation de ces concours. J’ai participé à beaucoup de concours. Je pense que c’est la session la plus mal organisée de toutes les sessions passées.
Encore, selon des rumeurs, cette année, il y a certaines enveloppes qui contiennent 48 feuilles de composition au lieu de 50. Est-ce que vous confirmez ?
Le problème fondamental de cette session, c’est qu’il y a beaucoup dysfonctionnements que nous avons constatés qui tendent à faire croire que nos autorités n’ont pas mis du sérieux dans l’organisation de ces concours. Pourtant, c’est l’avenir des gens qu’elles mettent en péril. Et là, nous ne serons jamais d’accord. Comme je l’ai dit, avec cette AG, nous allons travailler à avoir toutes les informations et aussi travailler à analyser au sein du comité, en vue de trouver la réaction qui sied de mener pour rétablir l’égalité des chances entre les candidats. Par rapport au nombre de feuilles de composition, dans ma propre salle, nous avons dû constater que le nombre de feuilles de sujet de composition n’était pas au nombre tel qu’indiqué sur l’enveloppe.
Nous sommes à termes de notre entretien. Quel est votre dernier mot ?
Comme dernier mot, c’est un appel que je lance à l’ensemble de la jeunesse, à travailler à s’organiser et à intégrer les structures de lutte. Je pense que c’est de cette manière-là que nous allons pouvoir donner à ce pays un avenir. On dit souvent que l’avenir du pays c’est la jeunesse. Mais si le pays ne constitue pas un avenir pour la jeunesse, la jeunesse ne pourra pas constituer un avenir pour ce pays. Par rapport au pouvoir en place, je le répète, c’est une véritable déception parce que nous constatons que les préoccupations de la jeunesse en ce qui concerne la question des emplois n’est pas sa priorité. Ce qui est suffisamment déplorable parce que la jeunesse a contribué, au côté de notre peuple, à préserver ce minimum de démocratie dans notre pays et qui a permis à ce pouvoir d’être là aujourd’hui. Si des gens l’ont oublié, ils doivent se rappeler. Au-delà, s’ils veulent résoudre le minimum de problème dans notre pays, nous pensons que la première des choses à résoudre, c’est la question de l’emploi, parce que sans emploi, on ne peut contribuer efficacement à l’édification de sa nation. Ce que nous jeunes, nous demandons, c’est pouvoir contribuer à l’édification de notre pays en apportant aussi notre pierre.
Propos recueillis par Armand Kinda
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