On a coutume de le dire. La Côte d’Ivoire et le Burkina Faso sont liés par l’histoire et la géographie. Les intérêts des deux peuples sont si imbriqués qu’une situation mal gérée dans l’un des pays peut avoir des répercussions sur l’autre. Le Burkina Faso et les Burkinabè l’ont appris à leurs dépens pendant la crise ivoirienne de 2001 à 2011. Les questions politiques, économiques et maintenant de terrorisme figurent parmi celles que les dirigeants des deux Etats doivent traiter avec le maximum de soin et de doigté. L’année 2020 est une année charnière pour les deux pays avec l’élection présidentielle ivoirienne en octobre suivie de celle burkinabè en novembre. Dans le même temps, ces deux pays doivent gérer la menace terroriste à leurs frontières. Du côté de la lagune Ebrié, la tension monte de plus en plus dans le landerneau politique avec ce qu’il est convenu d’appeler « l’affaire Guillaume Soro ».
La vigilance doit être de mise pour éviter de réveiller les vieux démons qui pourraient précipiter l’embrasement de la Côte d’Ivoire et de la sous-région.
La frontière entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire est une frontière terrestre internationale continue longue de 584 kilomètres. En 2002, cette frontière avait été fermée à cause de la crise ivoirienne. Elle a ouvert de nouveau fin 2004. La frontière entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire est aujourd’hui considérée comme dangereuse. La menace terroriste y est très forte. En décembre 2019, le ministère français des Affaires étrangères, a du reste placé cette frontière dans les zones rouges de sa carte de conseil aux voyageurs. Cette région forestière a toujours été un couloir de trafics, d’orpaillage et de braconnage. Les terroristes profiteraient aussi de sa porosité pour passer d’un côté à l’autre de la frontière. Pour se protéger de la contagion terroriste, la Côte d’Ivoire a lancé l’opération « Frontière étanche » après l’assassinat d’un guide et l’enlèvement de deux touristes français dans le parc de la Pendjari, au Bénin. Dans le cadre de cette opération, la Côte d’Ivoire a déployé 300 militaires pour prêter main-forte à la police et à la douane afin de sécuriser les 1 116 km de frontières qui séparent le pays du Mali et du Burkina. Depuis le début de la crise sécuritaire au Sahel, la Côte d’Ivoire a connu un seul attentat terroriste. C’était le 13 mars 2016, dans la ville balnéaire de Grand-Bassam, à quelques kilomètres d’Abidjan. Il avait fait 19 morts et 33 blessés. Selon certaines sources, des attaques auraient été déjouées en juin 2019 à Abidjan, notamment contre le Novotel, propriété du groupe Accor, ou encore contre le camp Gallieni, quartier général des forces armées nationales de Côte d’Ivoire (FANCI).
Agir intelligemment ensemble
A quelques mois de la présidentielle ivoirienne, l’inquiétude gagne les esprits. Le pays a connu plusieurs mutineries. Certains ex-rebelles estiment n’avoir pas été rétribués comme il se doit par le pouvoir en place. Aux récriminations militaires, viennent se greffer des problèmes politiques par rapport aux candidatures à la présidentielle de 2020. Guillaume Soro prête à Alassane Ouattara des velléités de briguer un 3è mandat d’où toute cette « machination » contre lui. C’est dire que les nuages s’amoncèlent dans le ciel ivoirien. Les ex-combattants pourraient-ils être tentés par des actions de destabilisation les poussant à pactiser avec des groupes terroristes pour frapper la Côte d’Ivoire ? Rien n’est moins sûr. Il y a donc lieu d’ouvrir l’œil et le bon car les terroristes profitent toujours de l’instabilité politique pour s’emparer des pays. La situation politique de la Côte d’Ivoire intéresse au plus haut point le Burkina Faso dans la mesure où c’est le pays qui accueille le plus grand nombre de burkinabè résidant à l’étranger. Pour la première fois, ceux-ci sont autorisés à voter. L’enjeu est politiquement important pour le Burkina Faso.
Sur le plan militaire, la frontière entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire doit être mieux sécurisée. Du côté du Burkina Faso, les FDS y mènent régulièrement des opérations. Les dernières en date remontent à octobre 2019 et au 04 janvier 2020. En octobre 2019, la forêt burkinabé de Dida, à la frontière ivoirienne, a été pilonnée. L’objectif de l’opération du 04 janvier était de démanteler une cellule terroriste, cachée dans les forêts. Quelques jours après cette opération, le Général Lassina Doumbia, chef d’Etat major général des armées ivoiriennes a été reçu par son homologue le Général Moise Minoungou et par le Président du Faso, Roch Kaboré le 09 janvier 2020. Il a catégoriquement démenti la rumeur qui faisait état d’une supposée violation du territoire ivoirien par l’armée burkinabè lors de l’opération anti-terroriste de 04 janvier. Le général Lassina Doumbia est venu échanger avec les autorités burkinabè sur la simplification des procédures de communication et l’établissement de mécanismes de coopération en vue de mener des opérations conjointes en cas de nécessité. L’élection présidentielle de novembre 2020 doit se tenir à bonne date et dans les meilleures conditions de sécurité. L’exploit de 2015 où le Burkina Faso a offert au monde l’une des élections les plus démocratiques et transparentes de son histoire politique doit être réédité. Il faut dès maintenant apprêter le dispositif sécuritaire qui sied. Il y va de la consolidation de la démocratie burkinabè. On ne peut lutter efficacement contre le terrorisme que grâce à une bonne légitimité populaire.
Aujourd’hui, les terroristes ne s’imposent aucune limite.
La côte d’Ivoire et le Burkina Faso font face à une situation assez préoccupante. Les 02 Etats doivent alors avoir l’intelligence de renforcer la coopération militaire, de partager le renseignement tactique et opérationnel, de jouer franc jeu simplement. Un pays ne doit, comme cela a été constaté de par le passé, servir de base arrière pour la déstabilisation de l’autre.
Jérémie Yisso BATIONO
Enseignant chercheur
Ouagadougou