Le Burkina Faso connaît depuis quelques mois, une rupture de timbres fiscaux sur l’ensemble de son territoire. Un fait qui a entraîné sur le marché une relative augmentation de ces figurines indispensables pour l’exécution de certaines procédures administratives notamment les légalisations, et aussi l’authentification de certains dossiers. Pour comprendre l’impact de cette rupture sur les citoyens, Minute.bf a sillonné certains commissariats et autres lieux d’établissements de dossiers administratifs. Reportage !
C’est par le commissariat de Nongremasson dans l’arrondissement 4 de la ville de Ouagadougou, que nous débutons notre périple. Le choix de ce lieu n’est pas anodin. D’ordinaire, la devanture du commissariat déborde de monde. Revendeurs de timbres, feuilles de demandes et autres paperasses ont coutume de pulluler sur les lieux. Mais particulièrement en cette matinée du 06 avril 2023, l’ambiance contraste d’avec celle de jours ordinaires. A notre approche, contrairement à ce qu’il est donné de voir d’habitude, nous ne sommes accostés par aucun revendeur. « Il n’y pas de timbre », s’empresse d’ailleurs de nous lancer l’un d’entre eux. « Timbrã mãkdame », insiste-t-il en langue Mooré avant de s’en aller. Nous le rattrapons un peu plus loin, à l’écart.
Revendeurs et citoyens mécontents…
Après un bref débrief, le revendeur de timbre s’ouvre à nous. Son nom est Tibapalouhouè Patrice Koumbili, et cela fait plusieurs années qu’il achète et revend des timbres devant ce commissariat. Il confie que depuis plusieurs mois, il rase les murs en raison du manque de timbre dans la ville. Pour lui qui a fait de ce petit métier son gagne-pain, cette situation est des plus préjudiciables. « Il n’y a plus de timbre. On dit ça manque même dans le pays. Là où on commandait même, on ne peut plus avoir. Les choses ne marchent plus », déplore-t-il.
Si Tibapalouhouè Patrice Koumbili manque de timbres, d’autres par contre en disposent, mais, ils les revendent à prix d’or, souvent au double du prix initial. Les citoyens, n’ayant pas d’autres alternatives, se voient alors obligés de se plier aux exigences de ces derniers.
Rodolphe Sawadogo est un citoyen dans le besoin. Venu faire une légalisation au commissariat, il se dit interloqué par le prix que proposent les quelques revendeurs qui disposent encore de timbres. « Je suis venu légaliser mes papiers mais on dit qu’il n’y a pas de timbres. C’est avec les revendeurs qu’on essayait de trouver ça à un prix de 250 FCFA. Mais je viens de voir qu’ils ont augmenté ça à 300. C’est pas simple. Ils disent qu’il y a un manque de timbre. On ne sait pas si c’est d’ordre étatique, ou si c’est eux-mêmes qui créent le manque pour renchérir les prix », se plaint-il avant de se résigner à accepter l’offre du revendeur, le visage fermé.
Pour l’étudiant Thomas Yaméogo, cette « prétendue rupture » est expressément suscitée pour faire des bénéfices. « Actuellement, à vue d’œil, tu ne peux pas voir les timbres comme cela. Ça se vend en « clando » (clandestinement, ndlr). Sincèrement, je ne sais pas ce qui se passe mais partout on dit que ça manque. Ce qui est disponible, ce sont les timbres de 500 qui sont vendus toujours à 500. Mais les timbres de 200, c’est un peu rare. Moi j’ai acheté 3 timbres à 300f l’unité. Mais il y des endroits où j’ai entendu dire que c’est 400. Ça se vend et puis c’est en clando. On ne peut pas continuer à acheter ça à ce prix », fulmine-t-il, invitant les autorités à prendre des mesures pour disponibiliser ces petites figurines.
Devant le Tribunal de Grande Instance Ouaga 1, Tibapalouhouè Patrice Koumbili démarche des usagers à qui il propose des feuilles de demande mais aussi des timbres. De son avis, la rupture des timbres peut être liée à la détérioration des relations entre le Burkina Faso et l’Occident auprès de qui, le pays s’approvisionnerait. « Quand on analyse, on se rend compte que les timbres ne sont pas faits au Burkina Faso. On se pose la question d’où viennent les timbres ? Si ça vient vraiment des pays occidentaux comme on le dit, nous pouvons comprendre facilement pourquoi il y a la rupture. Parce qu’on sait que vous ne pouvez pas haïr quelqu’un tout en voulant son habit ou sa canne », a-t-il avancé.
Son avis est aussi partagé par Rashdine Sienou. Pour cet étudiant en droit, venu se faire établir un casier judiciaire au tribunal, il est inadmissible qu’un grand pays comme le Burkina Faso ait besoin de recourir à des pays occidentaux, pour s’approvisionner en « simples » timbres fiscaux. « Et si nous-mêmes nous fabriquions nos timbres, ça fait quoi? Comment on peut comprendre que même des simples timbres aussi, on a encore besoin d’aller voir d’autres pays. De simples timbres, on ne peut pas en fabriquer ? C’est triste ! », s’est-il indigné tout en appelant le gouvernement burkinabè à œuvrer à ce que le pays produise par lui-même ses propres timbres.
« On peut le faire. Ce n’est pas des simples timbres qu’un pays comme le nôtre ne peut pas produire. Il faut juste de la volonté. Qu’on nous mette en place des usines pour imprimer les timbres et c’est tout. On doit le faire sinon on va toujours continuer à jeter des milliards par la fenêtre dans cette histoire de timbres mais il y aura toujours rupture », a-t-il proposé.
Des alternatives en cours…
Soulignons que cette rupture des timbres fiscaux n’est pas une première au Burkina Faso. Le phénomène est d’une récurrence à faire couper le souffle. Expliquant les causes de cette rupture, le Directeur Général des impôts, Daouda Kirakoya, soutenait lors d’une interview accordée à un média de la place, le 19 mars dernier, que ces ruptures sont liées au fait que le Burkina Faso est dans le registre du commerce. « Lorsqu’on commande les timbres, tout citoyen qui vient pour les acquérir, il n’y a pas une limitation du nombre. Ce qui fait qu’il y a certains qui achètent plus que leurs besoins », avait-il déclaré en susbstance. Il avait aussi reconnu que cette rupture est dûe au fait que les timbres ne sont pas fabriqués sur place au Burkina Faso. « C’est fabriqué sur les mêmes supports que les billets de banque. Ce qui fait que le processus est long », disait-il.
Monsieur Kirakoya avait toutefois laissé entendre qu’il y avait des alternatives à ce phénomène. A en croire ses dires, le gouvernement envisage la dématérialisation du timbre qui va permettre d’avoir des machines à timbrer et aussi d’avoir des comptes pour les utilisateurs comme un portefeuille de monnaie qu’on peut utiliser à chaque fois que l’on est dans le besoin. Il avait clos ses propos en assurant que la réflexion est en cours et que ce problème devrait trouver solution bientôt.
Oumarou KONATE et Jean-François SOME (Stagiaire)
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