«Terrorisme et stabilité constitutionnelle : faut-il désespérer quant à la capacité des régimes démocratiques à y faire face ? », c’est le thème défendu par le constitutionnaliste et enseignant-chercheur Abdoul Karim Saidou à travers un panel initié par le Centre pour la gouvernance démocratique ( CGD). C’était à l’occasion de la journée internationale de la démocratie le 15 septembre 2022 à Ouagadougou.
Au cours dudit panel, le politologue a développé son thème autour de «la cohabitation démocratie et insécurité » dans ces périodes de crise securitaire généralisée en Afrique de l’Ouest.
D’abord, Abdoul Karim Saidou est parti sur la base que cette cohabitation entre démocratie et insécurité est «possible» mais elle est « tumultueuse ». Pour lui, « la démocratie a une capacité de domestication de la guerre ». Il a pris le cas du Sénégal, vu dans la sous région comme un exemple en matière de gouvernance démocratique en domestiquant le plus vieux conflit en l’occurrence la guerre en Casamance.
M. Saidou estime que « ce conflit n’a pas ébranlé la démocratie sénégalaise ». D’autres exemples ont été dévélopés notamment sur le Nigeria avec sa guerre contre Boko haram, le Niger avec le terrorisme et aussi Boko haram. Ces pays ont été cités comme étant arrivés à domestiquer l’insécurité dans la démocratie.
Aussi, l’Enseignant de droit est-il parti sur le principe que « la démocratie peut être une solution à l’insécurité » en ce sens que « la démocratie permet aux citoyens de se prononcer sur l’insécurité et ces débats d’idée participent à des propositions de sorties de crises ». Pour illustrer ses propos, Abdoul Karim Saidou prendra l’exemple sur l’organisation de la journée nationale de la sécurité en 2017 au Burkina Faso.
Egalement, le constitutionnaliste a indiqué que « les élections peuvent être une solution à l’insécurité » en s’appuyant sur l’élection de l’actuel président nigerian Muhammudu Buhari en 2015 qui, selon lui, « a permis de porter un coup dur à Boko Haram ». « Le Burkina est un contre-exemple en la matière », a reconnu Pr. Abdoul Karim Saidou.
« La façon dont la CEDEAO gère les transitions, c’est du tatonnement »
Après l’intervention du paneliste, place maintenant aux préoccupations des participants à ce panel. À la question de comprendre pourquoi les putschs sont de plus en plus fréquents dans la sous-région, Pr Abdoul Karim Saidou repondra que « face à la contre-performance des autorités civiles, l’armée devient une alternative crédible ».
Mais pourquoi aller aux elections après les transitions tout en sachant que le président qui sera démocratiquement élu pourrait subir encore un coup d’Etat ? À cette interrogation, le spécialiste des questions de démocratie répond tout simplement qu’ « il n’y a pas d’alternative aux élections » et que même au niveau de la CEDEAO, aucune disposition n’est prévue pour la gouvernance des États en dehors des urnes.
Toujours parlant des putschs, l’Enseignant-chercheur dira que la CEDEAO gère les Coups d’Etat avec du « tâtonnement ». Une manière qui porte aujourd’hui atteinte à « sa crédibilité ». « Aujourd’hui si vous voyez la façon dont la CEDEAO gère les transitions c’est du tonnement, il n’y a pas de texte, c’est du cas par cas. Par exemple, en 2015 (après la chute de Blaise Compaoré, ndlr), elle disait que le président doit être civil. Pourquoi en 2022, il ne doit pas être civil?», s’interroge-t-il. « Au Mali, le premier coup d’Etat, la CEDEAO a dit que le président doit être civil, au deuxième coup d’Etat elle n’est plus revenue. Ces tâtonnements portent atteinte à sa crédibilité », a-t-il regretté.
«Au Burkina Faso, la consitution n’empêche pas la nomination de ministre militaire »
Un autre phénomène qu’on observe dans les transitions issues des putschs dans la sous région, c’est la nomination des militaires aux postes ministériels et institutionnels. Un phénomène decrié par une partie de l’opinion défavorable à cette pratique. A ce niveau, le constitutionnaliste est clair : « La constitution n’empêche pas la nomination des ministres militaires ». « Les textes interdisent aux militaires d’être candidats. Si vous voulez être candidat vous devez démissionner (de la fonction militaire, ndlr) », a-t-il précisé.
Mais pourquoi l’ex Président Roch Kaboré avait refusé l’entrée des militaires dans son gouvernement avant de faire recours à Barthélémy Simporé à la dernière minute?, a voulu comprendre un participant. «C’est son droit en tant que président du Faso », rétorque Pr. Abdoul Karim Saidou.
Revant sur la vie démocratique après la transition, Pr. Saidou dira que « toute transition n’aboutit pas à une démocratisation, elle peut aboutir à un régime hybride », c’est-à- dire un régime à un double visage, un visage démocratique et un régime autoritaire. D’ailleurs, il affirme qu’il n’y a pas un pays où « la démocratie est parfaite ». La démocratie, a-t-il expliqué, est une «construction de longue haleine ».
Pour information, Pr. Abdoul Karim Saidou est aussi écrivain. Il est notamment l’auteur du livre «Conflit armé et démocratisation en Afrique : Cas du Niger » paru en février 2015 aux Editions Universitaires Européennes.
Mouni Ouédraogo
Minute.bf