Après plus de trois décennies consacrées à la recherche scientifique au Burkina Faso, le Pr Alou Kéita, enseignant-chercheur en sciences du langage à l’université Joseph Ki-Zerbo, s’apprête à prendre sa retraite. Pour lui rendre hommage, le Laboratoire de recherche et de formation en sciences du langage (LAREFOS) a organisé, du 24 au 26 octobre 2024, un colloque scientifique international en son honneur. La cérémonie de clôture, qui s’est tenue dans l’enceinte de l’université à Ouagadougou, ce samedi 26 octobre, a rassemblé nombre de ses collègues, étudiants et amis venus saluer son parcours exemplaire.
C’est en 1993 que le Pr Alou Kéita fait ses premiers pas dans le monde de la recherche scientifique. Après l’obtention de son doctorat en linguistique à Nice, il revient au Burkina Faso en janvier et est recruté comme assistant au département de linguistique de l’Université de Ouagadougou. Depuis lors, il s’est consacré à la formation des élites, aussi bien dans les universités burkinabè que dans celles de plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest. Sa contribution est telle que nombre de ses étudiants sont aujourd’hui devenus spécialistes en linguistique.
Au sein du département, il a enrichi l’offre d’enseignement en introduisant divers domaines tels que la lexicologie/lexicographie, la terminologie/terminographie, la sémantique discursive, la deixis et l’énonciation, ainsi que la transcription orthographique des langues du Burkina Faso. En juillet 1996, il accède au grade académique de maître-assistant, devient maître de conférences en 2005, puis est promu professeur titulaire en 2014.
Un pédagogue reconnu
Au-delà de son rôle d’enseignant, le Pr Kéita s’est impliqué dans l’encadrement de nombreux étudiants. Entre 2012 et aujourd’hui, il a dirigé et codirigé 18 thèses de doctorat au Burkina Faso et dans la sous-région. Il a également encadré 95 mémoires de maîtrise, DEA et master, dont six en attente de soutenance. Parmi ses anciens étudiants, neuf sont aujourd’hui des chercheurs et enseignants-chercheurs, occupant divers grades dans le milieu universitaire.
En parallèle de ses activités académiques, il a également exercé des responsabilités administratives importantes : de 2017 à 2020, il a été vice-président chargé de la professionnalisation et des relations Université-Entreprises à l’université Joseph Ki-Zerbo, puis président de l’université de Dédougou (aujourd’hui université Daniel Ouezzin Coulibaly ndlr) de 2020 à 2022. Son mandat y a été marqué par une gestion exemplaire, avec un classement en 2022 en tête des établissements publics burkinabè en matière de gouvernance et de résultats académiques.
C’est le parcours de ce grand homme que le laboratoire de recherche et de formation en Sciences du langage a célébré les 24, 25 et 26 octobre derniers. Pendant trois jours, enseignants-chercheurs, chercheurs et doctorants venus du Burkina Faso, de la sous-région, mais aussi de pays comme la France, les États-Unis et le Maroc, ont participé à un colloque scientifique portant sur le thème « Discours et néologie en Afrique : terrains, méthodes et analyses ». Ce sujet, choisi en hommage au Pr Kéita, pionnier de la lexicologie et de la lexicographie au Burkina Faso, a permis de mettre en lumière les interactions entre discours, pouvoir et idéologies, ainsi que les relations entre les pratiques langagières et les contextes d’expression.
Un hommage mérité
Prenant la parole à la cérémonie d’ouverture, le Pr Abou Napon, responsable du LAREFOS, a rendu un vibrant hommage au Pr Keita, qu’il a décrit comme un vaillant serviteur de l’État, un homme d’un savoir immense et d’une sagesse exemplaire, qui a consacré sa vie à la formation de milliers d’étudiants à travers le Burkina Faso et au-delà.
« Vous êtes une figure éminente du monde universitaire, non seulement en raison des fonctions académiques et administratives que vous avez occupées aux niveaux national et international, mais aussi grâce à l’impact durable que vous avez eu sur les chercheurs et enseignants-chercheurs que vous avez formés, et qui influencent aujourd’hui positivement en Afrique, en Europe et aux États-Unis. Cher Professeur Keita, vous laissez derrière vous un héritage humain : des enseignants-chercheurs œuvrant dans diverses institutions universitaires et centres de recherche du Burkina Faso, d’Afrique et du monde entier. », a-t-il témoigné. Il a exhorté la jeune génération à s’inspirer de l’œuvre et du parcours de ce nouveau retraité, qu’il a présenté comme une véritable boussole pour guider les futurs chercheurs et universitaires dans leur propre cheminement.
Représentant le président de l’université Joseph Ki-Zerbo, le Pr Adama Sanou, vice-président chargé de la recherche et de la coopération internationale, a, lui aussi, loué les nombreuses années de services rendus par le Professeur Alou Kéita à la Nation. Selon lui, l’organisation de ce colloque va bien au-delà d’un simple geste symbolique ; elle représente un devoir de reconnaissance envers un homme dont la contribution scientifique est inestimable.
« Des décennies durant, il s’est consacré à l’enseignement, à la formation et à la recherche au sein des universités, particulièrement à l’Université Joseph Ki-Zerbo. Il a travaillé avec rigueur et abnégation jusqu’à son départ à la retraite. Malgré les multiples défis inhérents à la profession d’enseignant, le Pr Kéita a su donner le meilleur de lui-même, au service de l’enseignement, de la recherche et du développement au Burkina Faso et bien au-delà de nos frontières. Il a été, en somme, un Bon Professeur, cette bougie qui se consume pour illuminer le chemin des autres. Nous ne pouvions que lui rendre hommage en cette occasion où il s’apprête à prendre sa retraite », a-t-il déclaré.
Le Pr Sanou a, en outre, exhorté le nouveau retraité à « toujours garder sa porte ouverte », car, dit-il, l’université continuera d’avoir besoin de son expertise et de son accompagnement.
Parrain de la cérémonie, le Larlé Naaba Tigré, s’est dit honoré d’avoir été choisi pour parainer cet événement qui rend hommage à une personnalité de la trempe du professeur Alou Keita. Selon lui, le Pr Keita est de ces personnes qui ont été et qui continuent d’être des figures utiles pour leur société et leur nation.
Le Larlé Naaba Tigré a particulièrement salué l’engagement de l’homme pour l’instrumentation des langues nationales au Burkina Faso, en particulier la langue jula, dont la promotion lui tient à cœur. « Dans la vie, il y a trois choses essentielles à savoir faire, ou du moins une seule de ces trois : soit parler pour être utile, donner pour être utile, ou travailler pour être utile. Le professeur Alou Kéita a su faire les trois : il a parlé pour être utile, il a donné pour être utile, et il a travaillé pour être utile, tant pour sa famille que pour la nation toute entière et pour l’Afrique », a-t-il félicité.
Témoignages et émotions
Le Pr Rabiou Cissé, ancien président de l’Université Joseph Ki-Zerbo, a, lui aussi, partagé un témoignage ému après quatre années de collaboration avec le Pr Alou Kéita à la tête de cette institution. Il a salué « un grand scientifique » et un « humain » dans toute l’ampleur du terme. Selon ses propos, le Pr Kéita est un homme qui a toujours su placer l’intérêt des autres avant le sien. À la présidence de l’Université Joseph Ki-Zerbo, à l’en croire, le Pr Kéita a été un précieux soutien dans la gestion des ressources humaines.
« Il m’a beaucoup aidé dans la gestion de l’université Joseph Ki-Zerbo. Dans les moments difficiles, avec le soutien des autres vice-présidents, le Pr Alou Keita a contribué à ramener la paix. J’ai découvert en lui une sagesse rare. C’est un homme très sage. Au-delà de ses compétences scientifiques, il est profondément humain, toujours attentif aux autres avant de penser à lui-même. », a-t-il dit.
Le Pr Cissé a également souligné une qualité unique du Pr Keita : son souci constant d’éviter toute frustration chez ses collaborateurs. « S’il sent qu’un mot ou un geste a pu vous heurter, il reviendra toujours vers vous pour s’excuser. C’est ce qui le rend si exceptionnel, » a-t-il ajouté.
Ému et honoré par cet hommage, le Pr Alou Kéita a exprimé sa gratitude envers tous ceux qui ont contribué à son parcours et l’ont soutenu durant sa carrière. « C’est un grand jour pour moi. Un jour de joie, mais aussi de grande émotion. Tout cet honneur qu’on me fait, je me demande même si je le mérite autant. Je ne peux qu’exprimer toute ma reconnaissance, d’abord à l’État, car si nous avons pu atteindre ce niveau, c’est grâce aux programmes de bourses qui nous ont soutenus depuis le collège, le lycée, l’université et jusqu’au doctorat. J’exprime donc toute ma gratitude envers l’État qui nous a permis de devenir ce que nous sommes. », a-t-il déclaré.
Il a également remercié les autorités ministérielles passées et présentes pour leur soutien constant, avec une mention spéciale pour le Larlé Naaba et la chefferie traditionnelle, dont il s’est dit particulièrement reconnaissant. « Je remercie tous mes collègues, mes étudiants et l’ensemble de la communauté universitaire pour tout ce qu’ils m’ont apporté, » a-t-il ajouté tout ému. Avant de conclure, il a promis de rester disponible pour la communauté universitaire, prêt à apporter son appui chaque fois que de besoin.
À titre d’information, le Pr Alou Kéita a été distingué à plusieurs reprises au cours de sa carrière en reconnaissance de ses contributions académiques. Le 5 octobre 2015, il a été élevé au rang de Chevalier de l’Ordre des Palmes académiques du Burkina Faso. Puis, le 20 octobre 2022, il a accédé au grade d’Officier de l’Ordre des Palmes académiques du Burkina. Plus récemment, le 9 novembre 2023, il a été honoré en devenant Chevalier de l’Ordre International des Palmes académiques du CAMES.
Oumarou KONATE
Minute.bf
Encadré de quelques publications du Pr Alou Keita
- « Variantes terminologiques dans les domaines scientifiques et techniques : typologie, traitement et exploitation » en 2024,
- « Questionnaire anthroponymique », en 2024,
- « Enseignement-apprentissage du vocabulaire de L1 et de L2 dans les écoles bilingues : pratiques et difficultés », en 2024,
- «Time Deixis in English and Senar : A Contrastive Analysis », en 2023
- « Valeurs lexico-sémantiques des postpositions pures du dioula », en 2023,
- « Archaïsmes ou vestiges linguistiques du dioula», en 2022.
- « Le traitement des emprunts du moore et du dioula au français dans les écoles bilingues du Burkina Faso » en 2020
Auteur, co-auteur, coordonnateur scientifique il a élaboré ou participé à l’élaboration de plus de 15 ouvrages, lexiques et bigrammaires. Parmi lesquels :
• Une Bi-grammaire mandingue-français. Direction de l’Education et de la Formation. Programme d’apprentissage du français en contexte multilingue. OIF. Imprimé par Dupli-Print à Domont (95). 2011
• 4 Lexiques spécialisés de Lecture-Ecriture. A l’usage des enseignants des classes ELAN-Afrique. Français-Bambara, Français-Fongbe, Français-Hausa, Français- Mooré,
• 9 Lexiques spécialisés des mathématiques. A l’usage des enseignants des classes ELAN-Afrique. Langue Bambara ; Langue Fongbè, Langue Hausa, Langue Mooré, Langue Dioula, Langue Ewé, Langue Kabiyè, Langue Malagasi, Langue Ewondo.
• 5 Livres à paraitre bientôt chez Sankofa et Gurli éditions : il s’agit Un Dictionnaire Dioula-Français-Dioula de l’agriculture, A paraître aux Editions Sankofa & Gurli.
• Un Dictionnaire des proverbes et dictons dioula, A paraître aux Editions Sankofa & Gurli.
• Un Lexique Dioula-Français-Dioula de la linguistique suivi des règles orthographiques du dioula, A paraître aux Editions Sankofa & Gurli.
• Un Lexique spécialisé français-dioula du corps humain et des maladies, A paraître aux Editions Sankofa & Gurli.
• Un recueil de Textes de la littérature orale dioula : contes, mythes, devinettes, vannes.
J’ai lu l’article avec passion et intérêt. Le professeur Keita que je connaissais pas avant la lecture de cet article force l’admiration par ses valeurs humaines et académiques. Puisse-t-il inspirer beaucoup de jeunes africains spécialement la jeune génération.
Paisible retraite à lui et en santé.
Merci Oumar Konaté pour ce article agréable à lire.