Ceci est une Tribune signée de l’enseignant chercheur, Jérémie Yisso Bationo. Lisez !
Dans le combat engagé contre le terrorisme, le renseignement est une arme stratégique déterminante. Les services de renseignement dont l’Agence Nationale de Renseignement (ANR) est la charnière centrale, s’ils restent évidemment discrets sur leurs activités, ont vu l’intérêt qui leur est porté croître avec la multiplication des attaques et menaces terroristes sur notre pays. Grâce au travail des fins limiers, de nombreux coups sont déjoués au jour le jour. Pour le bien du pays, le renseignement éclaire aussi la prise de décisions stratégiques. Sur le théâtre des opérations, le renseignement contribue pour beaucoup dans la neutralisation de l’ennemi. Les plus hautes autorités ont compris que nous devons nous adapter pour protéger notre territoire et nos concitoyens. C’est en cela qu’il faut saluer la création du Conseil Supérieur de la Défense Nationale et l’élaboration d’une politique de sécurité nationale dont le processus a été lancé en juin 2019. Le contexte actuel n’autorise aucun atermoiement. Il faut une approche stratégique et intégrée des questions sécuritaires.
Le Burkina Faso s’est doté d’une politique de défense en 2004. En 2010, la stratégie nationale de sécurité intérieure a été élaborée pour la décennie 2011-2020. Si les 02 documents existaient sur papier, leur opérationnalisation, s’est apparentée à un serpent de mer en raison du manque de cohérence entre les deux documents et de nombreuses autres incongruités. La politique de défense nationale n’a jamais été mise en place. Le processus de conception de ce document a été en effet très exclusif. Il ne fut rédigé que par des experts militaires du ministère de la Défense sans la participation des autres ministères de souveraineté (sécurité intérieure, administration, finances, affaires étrangères,…), de la société civile, des universitaires,… La vision étroite des deux documents a littéralement fragmenté l’approche stratégique que la complexité de la question sécuritaire exigeait pourtant. Les menaces internes et externes ont été traitées séparément alors que les menaces qui pèsent sur le pays ont une dimension transnationale et transfrontalière. Pour finir, les deux documents n’ont prévu ni plan d’action ni mécanisme de suivi-évaluation. C’est comme si le pays avait navigué à vue pendant de nombreuses décennies. Après l’insurrection, la transition, le coup d’Etat de Gilbert Diendéré, les attaques terroristes se sont accentuées au Burkina Faso. Le pays s’est immédiatement retrouvé vulnérable car les mesures appropriées n’avaient pas été suffisamment prévues en amont. Le système de renseignement, lui, était totalement sclérosé. Dès lors, il fallait reformer l’ensemble du secteur de la sécurité. C’est ainsi que le forum national sur la sécurité a été organisé en 2017. Au terme de ses travaux, le forum recommandait entre autres l’élaboration d’une politique de sécurité nationale, d’une stratégie de sécurité nationale, de stratégies sectorielles et de plans d’exécution. En lançant officiellement les travaux de la commission d’élaboration de la politique de sécurité nationale le 17 juin 2019, le Président Roch KABORE donnait forme à une des recommandations du forum. Il traduisait surtout l’engagement du gouvernement à doter le Burkina Faso d’un référentiel à même d’offrir les moyens à l’Etat d’assurer la protection des Burkinabè et du territoire national. Constituée d’une centaine de personnalités, la commission est pluridisciplinaire. L’approche holistique devrait permettre d’aboutir à des propositions réalistes, ciblées et adaptées. Le renseignement s’inscrit dans cette vision globale de sécurité et de défense.
Chaque burkinabè doit être une sentinelle
En matière de renseignement justement, le Président du Faso a promulgué la loi N° 026-2018/AN du 1er juin 2018 portant règlementation générale du renseignement au Burkina Faso. Cette loi donne de nombreuses prérogatives à l’Agence Nationale de Renseignement 5ANR). Elle est ainsi chargée de centraliser et analyser la production de toutes les structures spécialisées du renseignement et ce, au profit du Président du Faso et des institutions publiques pour une orientation efficace de l(‘action de l’Etat, coordonner les activités des structures chargées du renseignement intérieur et extérieur , quelle que soit la nature du renseignement. Il lui revient aussi de veiller à la mise en œuvre du plan national d’orientation du renseignement et de rechercher le renseignement. Ces missions sont si délicates dans le contexte actuel où le mimétisme ne peut prospérer. La démarche doit nécessairement être cohérente et appropriée. Pourquoi ? D’abord parce que la menace sur notre pays n’a jamais été aussi forte. Le Burkina Faso est constamment dans l’œil du cyclone. Pour assurer la sécurité des Burkinabè, il est devenu impératif de mieux connaître la menace. L’importance du renseignement se justifie aussi par le constant changement de la menace terroriste. Cette menace exige, si nous voulons garder toujours un temps d’avance sur les groupes terroristes, que nous adaptions en permanence nos outils et notre dispositif. Les efforts doivent être déployées sur des priorités opérationnelles comme la prévention du terrorisme, l’indépendance nationale, l’intégrité du territoire et la défense nationale, les intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs du Burkina Faso, la prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions, des actions tendant au maintien ou à la reconstitution de groupements dissous et des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique, la prévention de la criminalité et de la délinquance organisées, la prévention de la prolifération des armes de destruction massive. Tous les modes de recueil de renseignement (humain, technique, opérationnel et partenarial) doivent être explorés pour parvenir à un pays où les citoyens et les collectivités sont en mesure de résister aux idéologies extrémistes violentes, et où la société est résiliente face au terrorisme. L’approche peut reposer sur quatre volets qui se renforcent les uns les autres : empêcher, déceler, priver et intervenir.
Les activités liées au volet empêcher portent sur la motivation des personnes qui participent ou qui pourraient participer à des activités terroristes au Burkina Faso ou à l’étranger. La mise en place d’une doctrine de communication publique s’inscrit dans cette logique. Toute défaillance en matière de communication publique face au terrorisme se paie d’un prix fort dans le court et dans le long terme. Le volet empêcher peut donc être axé sur la diffusion de messages alternatifs positifs qui mettent l’accent sur l’ouverture d’esprit, sur la diversité et sur la nature inclusive de la société burkinabè en vue favoriser pour tous un sentiment accru d’identité et d’appartenance à la collectivité nationale.
Le volet déceler aura pour objectif de déceler les terroristes, les organisations terroristes, leurs capacités, la nature de leurs plans ainsi que ceux qui les appuient. De solides capacités en matière de renseignement et une bonne compréhension du contexte changeant de la menace s’avèrent primordiales. Ceci nécessite une collaboration étroite et un vaste échange d’information avec les partenaires au pays et à l’étranger. Le Burkina Faso le fait déjà avec les pays de la sous région. C’est ainsi que certains d’entre eux ont pu appréhender des terroristes ou déjouer des attaques terroristes sur leurs territoires. A l’heure où le terrorisme ne connaît plus de frontière aussi bien concernant ses cibles que ses implantations, la collecte du renseignement, mais surtout la coopération entre les services concernés, que ce soit à l’intérieur de l’Etat ou entre les Etats eux-mêmes, est devenue une absolue nécessité et une priorité. Les services de renseignement peuvent priver les terroristes des moyens et des occasions de mener leurs activités terroristes. Il s’agit d’atténuer les vulnérabilités, de perturber activement la planification d’actes terroristes, y compris en poursuivant les individus impliqués dans des activités criminelles liées au terrorisme, et de faire du Burkina Faso une cible plus difficile pour les terroristes potentiels. Des attaques terroristes sont constamment perpétrées au Burkina Faso. Le dernier volet de la démarche vise à renforcer la capacité du Burkina Faso d’intervenir de façon rapide, proportionnelle et organisée en cas d’activités terroristes et d’en atténuer les effets. Ce volet renvoie aussi à l’importance d’assurer un retour rapide à la normale et de réduire les conséquences et la gravité des activités terroristes. Toutes ces interventions doivent se faire dans le respect du droit et des conventions internationales que le Burkina Faso a ratifiées.
Au finish, la lutte contre le terrorisme au Burkina Faso et sahel se gagnera d’abord par une posture de vigilance au quotidien. Déjouer concrètement les risques d’attentats implique une mobilisation de tous et de tous les instants et une culture de la « détection précoce ». Chaque burkinabè doit être une sentinelle. Un rempart contre le terrorisme qui ne doit point céder. Dans le combat contre le terrorisme, notre meilleure arme ce sont nos principes démocratiques. La tolérance, le respect des libertés publiques, le respect des identités que notre pays a toujours su défendre font notre force .Renoncer à ces valeurs, ce serait faire le jeu des terroristes. Céder à la tentation de l’exception, ce serait commencer à perdre la bataille .Alors soyons fidèles à nos valeurs : elles sont notre meilleur atout contre les obscurantistes.
Jérémie Yisso BATIONO
Enseignant chercheur
Ouagadougou