Suite à un élément sonore dans lequel le ministre de la santé, Charlemagne Ouédraogo s’opposait à la décision des évêques qui, dans un document, alertaient sur les dangers des méthodes contraceptives, l’église catholique a réagi. Voici donc la lettre ouverte de l’église au ministre Charlemagne Ouédraogo.
Monsieur le Ministre,
Depuis quelques jours circule dans les réseaux sociaux un audio qui rapporte vos propos sur une conférence de presse tenue par la Commission Episcopale de la Pastorale de la Santé. Cette conférence de presse présentait un livre écrit par des experts catholiques sous la responsabilité de ladite Commission. L’activité citée n’avait pas le but, ni dans son fond ni dans sa forme, de s’opposer au Ministre de la Santé que vous êtes, encore moins de saper la politique de santé publique de notre pays.
Nous avons voulu seulement éveiller la conscience de nos fidèles et des personnes de bonne volonté sur les inconvénients qui échappent souvent dans l’information donnée alors que toutes ces méthodes ne sont pas toujours sans danger. Nous pensons que l’information doit toujours être la plus complète possible. D’où d’ailleurs ce titre de la plaquette dont la publication a donné lieu à ladite conférence presse : « LES DANGERS POUR LA SANTE DES METHODES CONTRACEPTIVES : Une approche scientifique de la question ». Notre conférence de presse semble vous avoir mis dans un état tel que vous avez cru devoir proférer les paroles véhiculées par l’audio et qui ont surpris plus d’un et laissé perplexes et songeurs beaucoup d’autres, même en dehors du monde catholique
Par la présente, nous venons vous dire notre indignation par rapport à de tels propos que nous estimons injustes, voire erronés, tout en vous assurant que l’Eglise Catholique ne recherche nullement l’affrontement avec qui que ce soit. Elle met toutes ses forces et ses énergies au service de tout l’homme et de tout homme sans regarder au prix, surtout en ces temps de crise sécuritaire et sanitaire.
Certes, depuis que l’incident a eu lieu, vous avez accepté de recevoir Mgr Justin KIENTEGA, Evêque de Ouahigouya et Président de la Commission Episcopale de la Santé, puis, récemment, Son Eminence le Cardinal Philippe OUEDRAOGO, Archevêque Métropolitain de Ouagadougou, vous a reçu en audience. Nous louons ces efforts fournis pour réparer un dérapage grave ; mais il faut accepter que des déclarations en cercle restreint, qui contredisent les déclarations publiques, laissent perplexes sur la sincérité des secondes, et ne réparent pas les blessures des déclarations publiques. Cela a conduit Son Eminence à prendre ses distances par rapport à l’article publié par la Direction de la Communication et de la Presse Ministérielle (DCPM) du ministère de la santé sur son site web, en date du 24 octobre 2021. Bien entendu, la Conférence Episcopale Burkina-Niger qui s’adresse à vous ici ne veut guère faire passer un Ministre de notre pays sous les fourches caudines ; il appartient donc à votre sagesse et à votre sens de la responsabilité de vous engager honnêtement et suffisamment pour un apaisement des cœurs et des esprits.
Cela dit, à travers les paroles que vous avez prononcées, dont nous déplorons le ton tantôt léger, tantôt vulgaire, tantôt belliqueux, menaçant et irrespectueux, vous abordez cependant des thèmes importants qui nous intéressent nous aussi et méritent d’être approfondis sereinement pour promouvoir un vivre-ensemble pacifique et fructueux dans notre pays.
- La laïcité.
C’est un concept et une pratique à ne pas considérer comme un prêt-à-porter venu d’un lointain pays. Il s’agit plus d’un beau Faso Dan Fani fait du coton bio produit dans notre savane ensoleillée et patiemment tissé à la quenouille. La laïcité au Burkina Faso sera faite des multiples fils de nos valeurs authentiques ou alors elle nous encombrera, nous mettra fréquemment en conflit et ne nous mènera nulle part. Monsieur le Ministre, laissez-nous vous dire que dans un État laïc, la parole de l’Autorité publique n’enlève aucunement aux citoyens le droit de s’exprimer, de dire ce qu’ils pensent, qu’ils soient religieux ou pas !
Notre État, à ce que nous sachions, n’est pas une dictature ni une citadelle de la pensée unique. Voilà pourquoi, pour être plus complet, nous suggérons bien humblement de parler d’un Etat laïc et démocratique. Car la laïcité se conjugue avec la démocratie, la subsidiarité, la liberté d’expression et la liberté de religion dans le respect du droit et de la morale (bonnes mœurs). Elle requiert de l’État qu’il se tienne à égale distance de toutes les religions. Notre pays s’est engagé à donner un contenu propre à la laïcité et l’Église Catholique participe à ce chantier aux côtés d’autres religions et institutions.
- Les conventions de l’Église avec l’État et les implications financières.
Ce type d’instrument existe dans tous les pays du monde pour promouvoir la collaboration entre l’État et une diversité de partenaires privés dans des secteurs surtout sociaux que l’État arrive rarement à couvrir. Tout le monde le sait, il s’agit de coopérer au bien des populations, surtout les plus pauvres. En conséquence, les exonérations ne sont guère une faveur faite à l’Église mais un service rendu aux populations vulnérables. Cela dit, aucune subvention ne peut conditionner l’Eglise dans ses prises de position en conformité avec sa doctrine qu’elle ne prétend nullement imposer.
Du reste, nos structures paient les impôts lorsqu’elles mènent des activités imposables suivant les lois de la République. C’est pourquoi, cela a été indécent de menacer l’Église de l’envoyer aux guichets des impôts, comme si celle-ci ne les payait pas ou se plaisait à s’y soustraire. Les impôts sont un acte de citoyenneté, de justice et de responsabilité. Il est étrange que vous en fassiez un instrument de menace publiquement proférée.
- La santé sexuelle et reproductive et le dividende démographique.
Voilà un sujet complexe et très controversé qui suscite des positions divergentes. Nous sommes choqués par vos prises de position difficiles à expliquer dans une logique d’éducation aux valeurs. Nous ne comprenons pas pourquoi on ne pourrait pas en débattre et mettre en garde contre les risques et inconvénients des politiques y relatives.
- La santé sexuelle et reproductive en rapport à la jeunesse et aux personnes déplacées internes.
En vous écoutant, votre ton a quelque chose d’irrespectueux et de méprisant pour ces personnes en grande difficulté. Votre échelle des besoins vitaux est particulière. Le bon sens et la science nous disent que l’eau, le pain et le vêtement sont plus indispensables pour la survie humaine qu’autre chose. Votre hiérarchie des besoins humains a donc quelque chose de choquant surtout quand elle est appliquée dans la situation des déplacés internes durement éprouvés et à une jeunesse en quête de repères. Dans cette logique, qu’en est-il de l’éducation aux valeurs, à la maîtrise de soi, au respect de soi et des autres ? Vous comprenez pourquoi l’Église Catholique, et, sans doute beaucoup de parents responsables et attentifs à la dimension éthique de l’éducation sexuelle, ne peuvent pas ne pas être en désaccord avec vous sur ces points susmentionnés.
Sur ces sujets, l’Église Catholique dispose d’une doctrine, d’un magistère qu’elle ne prétend pas imposer aux Autorités publiques ni à quiconque d’ailleurs. Mais elle ne peut renoncer à enseigner par tous moyens licites cette doctrine à ses fidèles et à tout homme de bonne volonté qui écoute sa voix. Monsieur le Ministre, nous pensons que l’Église Catholique peut, dans le jeu démocratique, concourir aux choix que fait notre pays et contribuer à la vérification de leur assortissement à nos valeurs africaines authentiques.
Pour conclure, nous voudrions vous assurer de nos prières et de notre disponibilité à approfondir avec vous les préoccupations que vous avez abordées dans l’audio.
Veuillez agréer, Monsieur le ministre, notre considération distinguée
Monseigneur Laurent B. DABIRE
Président de la Conférence Episcopale