jeudi 21 novembre 2024
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Burkina : Les semences améliorées, une porte d’entrée à l’autosuffisance alimentaire

Le Burkina Faso, pays sahélien confronté à des défis climatiques et agricoles importants, cherche depuis des décennies, des solutions pour augmenter la productivité agricole tout en s’adaptant aux contraintes environnementales. Dans cette quête, l’utilisation des semences améliorées issues des recherches biotechnologiques s’impose comme une approche prometteuse pour améliorer les rendements, assurer la sécurité alimentaire et lutter contre la pauvreté.

Au Burkina Faso, 86 % de la population dépend de l’agriculture de subsistance. Malheureusement, selon l’analyse du cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (Integrated Phase Classification – IPC) de novembre 2023, environ 3,5 millions de personnes, soit près 20 % de la population, sont confrontées à une insécurité alimentaire. Cette situation, imputable à la crise sécuritaire que vit le pays depuis près d’une dizaine d’années, n’est pas sans conséquence sur la lutte pour l’atteinte de l’autosuffisance alimentaire. Des espaces cultivables ont été abandonnés par les populations qui ont fui les zones touchées par l’insécurité. Pour combler ce vide dans un contexte où les aléas climatiques jouent un rôle nuisible sur les productions agricoles, les biotechnologies agricoles développées par les chercheurs burkinabè, apportent une bouffée d’oxygène aux producteurs agricoles.

Il convient de rappeler que face aux aléas climatiques desquels découlent les caprices pluviométriques, les semences traditionnelles ont montré des limites dans leur capacité à résister aux parasites, à la sécheresse et aux conditions climatiques extrêmes. Il devient donc nécessaire d’adopter des innovations pour améliorer la production agricole, et l’une des solutions repose sur les biotechnologies agricoles, les semences améliorées.

Les semences améliorées peuvent jouer un rôle crucial dans les cultures vivrières comme le maïs, le mil, le sorgho, le niébé et le riz, qui sont la base de l’alimentation burkinabè. Ces semences, développées grâce à des méthodes de sélection assistée par des marqueurs génétiques, sont plus résistantes à la sécheresse et peuvent donner des rendements supérieurs, même dans des conditions souvent difficiles.

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Romain W. Soalla, ingénieur agricole, au Laboratoire de Phytopathologie à l’INERA

Pour mieux comprendre la question des biotechnologies, nous sommes allés à la rencontre de Romain W. Soalla, chercheur au département des Productions végétales, au Laboratoire de Phytopathologie, de l’Institut de l’Environnement et de Recherches Agricoles (INERA) de Kamboinsin, un institut sis à la périphérie nord de Ouagadougou, sur la Route nationale 22.

Le 6 septembre 2024, nous avons rendez-vous avec M. Soalla à 15h. C’est sous une fine pluie que nous arrivons à cet institut. Notre chercheur nous y attendait déjà. Il y était depuis la matinée pour ses recherches. « J’aime travailler les weekends parce que c’est calme et ça permet de se concentrer », nous fait-il savoir, après l’accueil et les salamalecs d’usage. Nous allons droit au but dans nos échanges. L’objectif premier est de comprendre la question des biotechnologies, au cœur des travaux de nos chercheurs de l’INERA. Dans la vidéo qui suit, M. Soalla apporte une définition à cette notion de biotechnologie et relève son importance dans le domaine agricole.

Vidéo- Romain Soalla explique ce qu’est la biotechnologie

Dans son laboratoire, il nous explique comment les choses se passent, de la collecte et la préparation de l’échantillon à l’évaluation de la qualité nutritionnelle en passant par l’évaluation morphologique et physique, le test de germination, l’analyse génétique, le test de pureté génétique, l’analyse pathogène, etc. L’un des objectifs des chercheurs, confie-t-il, est d’avoir des variétés qui ont des cycles courts avec de grands rendements. « Nous avons de plus en plus des saisons courtes. Il faudra aussi trouver des variétés qui soient courtes, et résistantes aux principales pathologies qui attaquent souvent les plantes », relève M. Soalla. Le « criblage » est donc fait dans ce sens, en mettant le pathogène en contact avec l’ôte, en vue de voir la réaction de la plante. « Si le pathogène ne provoque pas la maladie, c’est dire que la variété est résistante. S’il provoque la maladie, on déduit que la variété est sensible. Mais elle peut provoquer la maladie sans pouvoir empêcher la plante de se développer. On dira donc que la variété est tolérante », a expliqué le Phytopathologiste de l’INERA de Kamboinsin.

Mais pour lutter contre un ravageur, il faut d’abord le connaitre. Pour cela, il faut l’étudier, connaître son origine. Si l’origine est identifiée, la biotechnologie permettra d’aller plus vite dans les analyses. « Par exemple, si on trouve que c’est un ravageur qui est venu d’un pays donné, il y a certainement des solutions qui ont été trouvées dans ce pays contre ce ravageur. On peut s’inspirer de ces solutions dans nos analyses pour aller vite. Tout cela est possible grâce à la biotechnologie. En effet, les biotechnologies ont l’avantage d’être précises dans l’étude de ces ravageurs, ce, dans un temps relativement court », soutient-il, avant de préciser que c’est après connaissance de ces ravageurs que l’on peut bâtir une stratégie de lutte contre les maladies ou dégâts qu’ils sont susceptibles de causer.

Si toutes ces analyses sont concluantes, poursuit-il, la semence peut être utilisée dans la production. Nous aurons donc des semences améliorées avec des cycles relativement courts et qui résistent à certaines pathologies ou ravageurs.

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A Gampela, Franceline Noba porte l’agriculture burkinabè vers l’avenir

Le secteur agricole burkinabè, faut-il le dire, est en pleine mutation, avec des acteurs passionnés qui s’engagent pour relever les défis liés à la sécurité alimentaire. Parmi eux, Franceline Noba, 34 ans, entrepreneure agricole et productrice semencière, incarne cette nouvelle génération d’agriculteurs engagés.

Mardi, 10 septembre 2024. A 10h, nous avons rendez-vous avec elle, pour aller visiter son champ. Formée en ingénierie du bâtiment et des travaux publics, elle a choisi de suivre une voie différente, celle de la production semencière, avec pour ambition de contribuer à la modernisation de l’agriculture burkinabè. Ce tournant, motivé par son amour pour la terre et son désir d’avoir un impact concret sur la sécurité alimentaire, l’a poussée à investir dans les semences améliorées pour booster ses rendements agricoles. Son champ de 5 hectares est situé à Gampèla, à la sortie Est de la capitale Burkinabè.

Comment Franceline Noba est arrivée dans l’agriculture ? Elle l’explique dans cette vidéo ci-dessous.

Vidéo – Franceline Noba raconte comment elle est devenue productrice semencière

Franceline Noba a grandi dans un environnement où l’agriculture tenait une place centrale. Son père, à travers son travail agricole, a non seulement assuré la subsistance de la famille, mais a également financé les études de sa fille, aînée d’une fratrie de 3 enfants. C’est grâce à cela que Franceline a pu suivre une formation en ingénierie du bâtiment et des travaux publics, une voie qui semblait initialement l’éloigner des champs. Cependant, la passion pour la terre, héritée de son père, l’a rattrapée. À la retraite de ce dernier, elle a décidé de prendre en main l’exploitation familiale, mais avec une vision nouvelle. Franceline s’est orientée vers l’innovation en se lançant dans la production de semences, notamment du maïs « Barka », un maïs reconnu pour ses rendements exceptionnels. Cette variété a été spécialement développée par des chercheurs burkinabè pour booster la productivité agricole. Elle a été conçue pour répondre aux besoins des agriculteurs en matière de rendement et de résistance aux conditions climatiques difficiles.

Le maïs « Barka », en particulier, est reconnu pour son adaptabilité et sa capacité à offrir des rendements élevés, même en zones vulnérables à la sécheresse. Cette variété de maïs résistante à la sécheresse et à maturation rapide, adaptée aux cycles pluviométriques de plus en plus courts, a été introduite dans certaines régions du pays depuis plusieurs années. Ces semences permettent non seulement d’augmenter la productivité, mais aussi de renforcer la résilience des agriculteurs face aux aléas climatiques.

Grâce à cette variété, Franceline Noba obtient un rendement impressionnant d’environ 4 tonnes par hectare, un chiffre qui dépasse largement la moyenne nationale pour le maïs traditionnel. Ce succès est non seulement une démonstration de l’efficacité des semences améliorées, mais aussi du potentiel qu’elles offrent pour améliorer la productivité agricole au Burkina Faso. Chaque saison, son activité lui offre plus de 12,5 millions de FCFA de revenu.

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Franceline Noba est une productrice semencière du maïs Barka, dans la zone de Gampela

« Mon père nous a toujours dit que depuis que nous sommes nés, notre mère n’a jamais acheté des céréales au marché. C’est déjà un avantage d’épanouissement de l’agriculture. Cela est déjà un poids délesté de nos charges familiales. Si une famille produit des céréales, elle n’a plus besoin d’aller chercher le grain au marché », confie-t-elle toute souriante, heureuse de ne jamais manquer de grain à moudre pour la consommation familiale. Mais, à l’entendre, sa famille n’a même pas encore atteint le niveau de production dont elle ambitionne. « Nous voulons être mieux dotés d’équipements agricoles en vue d’aller vers une agriculture totalement mécanisée. Les outils rudimentaires ne peuvent plus rien faire. Nous n’avons plus la main d’œuvre conséquente pour pouvoir produire. Il faut aller complètement vers la mécanisation. Nous devrons aller chercher les équipements qui peuvent nous aider à pouvoir augmenter notre rendement sur le terrain. Le temps de la daba est révolu. », soutient-elle.

Dans cette ambition, avec son père Raymond Noba, Franceline a lancé, en 2012, l’Entreprise et Promoteur des produits Agricoles Modernes (EPAM). L’entreprise évolue dans la production et dans la commercialisation des semences maraîchères et céréalières. EPAM assure aussi des formations avec des particuliers, des projets et des programmes. EPAM est aussi dans la commercialisation des équipements agricoles comme les semoirs, les pulvérisateurs, tout ce qui peut faciliter dans le domaine de l’agriculture. Directrice Générale, Franceline collabore avec 12 employés permanents et 60 employés contractuels, dont une vingtaine de femmes.

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Atteindre l’autosuffisance alimentaire par les semences améliorées

L’utilisation des semences améliorées dans le domaine agricole au Burkina Faso représente une opportunité stratégique pour répondre aux défis de la productivité et de la sécurité alimentaire, selon Romain W. Soalla, de l’INERA. Pour cet ingénieur agricole, l’utilisation des biotechnologies agricoles peut être un levier pour le développement du Burkina Faso, et surtout, pour l’atteinte de l’autosuffisance alimentaire.

La crise sécuritaire avec son corolaire d’insécurité alimentaire que traverse le Burkina Faso, soulève des défis majeurs quant à l’autosuffisance alimentaire dans ce pays où l’agriculture de subsistance représente une part importante de la production alimentaire. Avec le déplacement des agriculteurs, les surfaces cultivées diminuent et la capacité du pays à produire suffisamment pour nourrir sa population est compromise. Cela met en péril la sécurité alimentaire nationale, en particulier dans un contexte où les pressions démographiques et climatiques s’ajoutent aux difficultés.

Dans ce contexte, les semences améliorées peuvent être une solution clé pour combler ce vide laissé par les agriculteurs déplacés et contribuer à l’autosuffisance alimentaire. En effet, bien que la crise sécuritaire pose des défis énormes, l’adoption des semences améliorées constitue une solution stratégique pour maintenir et accroître la production agricole au Burkina Faso. Elles peuvent jouer un rôle déterminant pour atteindre l’autosuffisance alimentaire malgré les perturbations provoquées par la crise. C’est l’avis de Franceline Noba. Elle le fait savoir dans la vidéo ci-dessous.

Vidéo – Pour Franceline Noba, les semences améliorées peuvent contribuer à l’atteinte de l’autosuffisance alimentaire

Mais, l’atteinte de l’autosuffisance alimentaire est un processus qui implique les chercheurs, les autorités politiques et les producteurs. Pour ce faire, Franceline Noba invite les populations, en plus d’adopter la semence améliorée, à écouter les conseils des techniciens agricoles en vue d’aller vers une production à grands rendements.

Aux autorités burkinabè, elle les invite à « faire plus d’efforts, parce que l’agriculture a besoin de moyens, de financements ». Elle les invite donc à accompagner les producteurs. « Un pays, pour évoluer, a besoin des entreprises, des hommes leaders et forts, pour pouvoir l’accompagner avec des idées. Il faut accompagner nos braves chercheurs qui ont besoin de financement pour qu’ils puissent trouver de nouvelles variétés. Beaucoup ont la connaissance mais ils n’ont pas les moyens. On reconnait les efforts déjà fournis par les autorités dans le domaine de la recherche. Mais nous demandons à ce qu’on fasse encore plus pour que les chercheurs soient autonomes », interpelle-t-elle.

Dans cette dynamique, le chercheur Romain Soalla, pour qui le développement du Burkina Faso doit inéluctablement passer par le développement de l’agriculture, a invité les autorités à investir dans la recherche. Dans cette vidéo ci-dessous, il lance son appel aux autorités afin que le financement de la recherche soit en grande majorité fourni par le Burkina Faso.

Vidéo – L’ingénieur agricole Romain W. Soalla invite le Burkina Faso à « s’approprier sa recherche »

Pour maximiser les bénéfices des semences améliorées par les biotechnologies, plusieurs actions peuvent être envisagées au Burkina Faso. Il s’agira d’investir davantage dans la recherche locale pour développer des variétés adaptées aux conditions spécifiques du pays ; accompagner les producteurs en les formant à l’utilisation des nouvelles technologies agricoles et en leur offrant un accès facilité à ces innovations, etc.

La biotechnologie, pour information, est une recherche scientifique qui utilise des organismes vivants, des systèmes biologiques ou des dérivés de ceux-ci pour développer ou créer différents produits ou technologies utiles à l’humanité. Elle combine des disciplines comme la biologie, la chimie, la physique, et l’ingénierie pour exploiter des processus biologiques dans divers secteurs. Dans le domaine de l’agriculture, elle permet l’amélioration des cultures grâce à des modifications génétiques pour les rendre résistantes aux parasites ou aux conditions climatiques difficiles, et elles boostent les rendements.

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Armand Kinda

Minute.bf

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