vendredi 22 novembre 2024
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Burkina : « Nous sommes tous responsables de ce qui arrive à ce pays » (Dr. Moumouni Zoungrana)

Le Burkina Faso fait face à une grande crise sécuritaire qui a causé plusieurs morts, plusieurs blessés, et le déplacement de plus de deux millions de personnes, selon le dernier bilan du Secrétariat permanent du Conseil National de Secours d’Urgence et de Réhabilitation (SP/CONASUR). Les populations se rejettent la faute, mais pour le docteur Moumouni Zoungrana, Maitre de conférences en littérature orale à l’Université Joseph Ki-Zerbo, « nous sommes tous responsables de ce qui arrive à ce pays ». Dans cette interview qu’il a accordée à Minute.bf, le 23 décembre 2023, il répond à plusieurs questions liées surtout à l’actualité nationale. Ce responsable du master « Littérature et culture africaine » et responsable de la cellule de recherche et d’études sur les textes oraux du laboratoire Langue, discours et Pratiques artistiques (LADIPA), salue le travail « formidable » qui est fait dans la lutte contre le terrorisme, et appelle à l’union des  Burkinabè autour des forces combattantes pour bouter l’hydre terroriste hors des frontières du pays.

Minute.bf : Dans une des interviews avec la presse, le capitaine Ibrahim Traoré a annoncé pour bientôt le retour des tribunaux coutumiers. Que faut-il entendre par tribunal coutumier ?

Dr. Moumouni Zoungrana : Je pense que ça doit être une forme de justice locale, à l’échelon inférieur, qui permet à nos populations de faire recours aux coutumiers au niveau de nos villages, pour pouvoir demander des réparations, peut-être pour les délits mineurs. Il s’agit, en quelque sorte, de rendre justice, carrément à l’échelon inférieur, à l’échelle de nos villages. C’est un travail qui avait été confié aux coutumiers avant l’arrivée de l’Etat moderne. Je pense que c’est comme la justice moderne mais à l’échelle inférieure. 

Minute.bf : Quel sera le rôle conféré à ces tribunaux ? Quelle sera leur importance dans notre contexte actuel ?

Dr. Moumouni Zoungrana : Il n’y a pas eu beaucoup de développement sur la question. Il n’y a pas de texte d’abord qui l’encadre. Mais, il y a un certain nombre de délits ou de griefs, où on n’a pas besoin d’aller jusqu’à l’échelon supérieur pour régler le problème. Sur ces questions, les coutumiers, par leur histoire et leur mission, sont les plus adaptés à rendre justice, parce qu’il s’agit de leur milieu et de leurs populations. Cela va permettre de régler certaines questions entre agriculteurs et éleveurs, les rapts de femmes, les larcins, etc. Mieux, c’est une justice qui sera très proche de la population. 

La justice moderne rend le droit mais ne favorise pas la réconciliation. Il faut dire aussi que nos tribunaux ont eu des difficultés à s’acclimater. Mais cette forme de justice va renforcer l’unité nationale, parce que le but de la justice est de rendre la société encore plus vivable ; une société où il n’y a pas d’injustice et où il y a une certaine cohésion. Malheureusement, la justice moderne, à son niveau, n’est pas arrivée à actionner des mécanismes qui favoriseront la cohésion sociale après le jugement rendu. A la fin, il y a un qui a raison et celui qui a tort est puni. Il y a la réparation mais il n’y a pas de réconciliation. Mais l’arrivée des tribunaux coutumiers, à mon avis, va renforcer la cohésion sociale. 

Dans nos tribunaux actuellement, il y a beaucoup de dossiers, du fait du manque de moyens, d’infrastructures, etc. Alors qu’il y a des petits délits qu’on pouvait ramener à l’échelon inférieur pour qu’on puisse élaguer cela et décongestionner la justice pour qu’elle puisse s’occuper des gros dossiers. Vous remarquerez que des gens qui ont volé des téléphones portables, des seaux, en gros, qui ont commis des larcins, se retrouvent être condamnés et transférés dans des maisons d’arrêt et de correction où il y a de grands bandits. En ce moment, au lieu d’être une maison d’arrêt et de correction pour ces voleurs, cela devient un centre de stage pour criminel. Une personne qui a volé un seau et qui se retrouve avec de grands criminels dans la même prison, son cœur va s’endurcir et il ressortira grand criminel. Pour moi, le mieux est de ressourdre les petites situations au niveau inférieur. 

Au niveau coutumier, les gens se connaissent. La justice traditionnelle va mettre l’accent sur la réparation mais surtout sur la réconciliation, pour que celui qui aurait commis la faute puisse retourner dans la société et continuer ses occupations. Ce n’est pas comme dans la justice moderne où il y a forcément un vainqueur et un vaincu, où après il n’y a point de réconciliation. Et comme la justice traditionnelle est beaucoup connue par les populations, je me dis qu’elle pourra aider la justice moderne. 

Là où il ne faut pas avoir peur, dans les autres pays où cette justice est pratiquée, lorsqu’il y a un litige de ce genre, une fois que ces tribunaux tranchent, il y a un procès-verbal de conciliation ou de non-conciliation qui est envoyé à l’échelon supérieur pour que ceux qui ont fait le droit puissent avoir un droit de regard de sorte qu’il n’y ait pas d’abus. Il est vrai qu’il ne faut pas devancer l’iguane dans l’eau, mais je pense que si ces tribunaux coutumiers sont installés, on fera de telle sorte qu’il n’y ait pas d’abus.

« La justice traditionnelle va mettre l’accent sur la réparation mais surtout sur la réconciliation… »

Minute.bf : Quelle place occupera désormais la justice moderne ?

Dr Moumouni Zoungrana : La justice moderne va continuer à jouer son rôle habituel. En réalité, avec les tribunaux coutumiers, c’était comme si on ajoutait un échelon inférieur à la justice moderne. Pour les cas de petits délits, on peut se limiter au village. En exemple, pour quelqu’un qui a fui avec la fille du voisin, on peut résoudre le problème au niveau local pour qu’il n’y ait pas une déchirure au niveau du village ou entre deux familles. Pour quelqu’un qui a volé le poulet de son voisin, le problème n’a pas besoin de venir déranger la justice moderne alors qu’on peut trouver une solution au niveau local. Dans nos traditions, dès qu’on dit qu’il y a une plainte qui a été déposée pour telle ou telle situation, et que vous vous retrouvez devant les tribunaux, c’est comme si la réconciliation n’est plus possible. Il y a ces genres de délits qu’on peut résoudre au niveau inférieur et garder en même temps le tissus social intact. L’important, cela va donner plus de fluidité à la justice classique pour qu’elle puisse s’occuper des dossiers complexes. 

Même avec ce que nous appelons petits délits, si nous ne trouvons pas de solution à l’échelle inférieure, le problème peut être transféré à l’échelle supérieure, pour que les protagonistes se sentent dans leur jugement afin que tout le monde puisse se retrouver dans ce qui sera rendu comme jugement. Il n’y a pas une opposition entre ces deux justices. Au contraire, il y a une certaine complémentarité. C’est dire que la justice classique aura toujours sa place. 

Minute.bf : Vous aviez été Directeur des affaires religieuses et coutumières au ministère des Affaires religieuses et coutumières (MAREC). On reproche souvent à nos chefs coutumiers d’être politisés. Pensez-vous qu’ils sont aujourd’hui des références en termes de probité pour conduire des jugements équitables et justes ?

Effectivement, j’ai été directeur de cabinet du président de l’Université Joseph Ki-Zerbo et en son temps, lorsqu’on a créé le ministère des affaires religieuses et coutumières, il y avait une direction générale chargée des affaires religieuses et coutumières. Au regard de mon profil de spécialiste de littérature orale et une personne ayant beaucoup travaillé dans le domaine de la tradition et sur la chefferie en particulier, j’ai été sollicité pour occuper ce poste de directeur général, avec beaucoup de plaisir. Mais avec le changement de gouvernement, c’est un ministère qui n’a pas été reconduit, bien que les attributions soient réaffectées au niveau du ministère chargé de l’administration territoriale. Mon bref passage à ce ministère m’a permis de travailler avec beaucoup de chefs coutumiers (les rois, les émirs, les rois supérieurs, les chefs de village, les chefs de quartier, etc.). Vous me poser la question de savoir s’ils ont la probité morale nécessaire pour assurer cette mission. Je voudrais seulement que les gens comprennent une chose. Il ne faudrait pas confondre l’institution « chefferie » au chef qui est une personne. Il ne faut pas confondre l’institution aux personnes. L’institution n’a aucun problème. Mais naturellement, dans tout regroupement, il y a souvent certaines personnes, qui sont peut-être très minoritaires par rapport à l’ensemble, et qui par leur comportement vont semer une certaine suspicion. Sinon, la chefferie a son rôle à jouer, parce que cette mission était la sienne bien avant l’arrivée du colonisateur. Les chefs coutumiers ont bien joué ce rôle, de telle sorte que quand le colon arrivait, c’était des Etats qui existaient.

N’oubliez pas que lorsqu’on supprimait la Haute-Volta en 1932, il n’y avait pas de parti politique. Ce sont les chefs qui se sont organisés, qui ont pris le leadership pour organiser à leur tour les syndicats, les hauts-fonctionnaires et tous les religieux pour qu’en commun accord, une lutte soit engagée pour que la Haute Volta soit reconstituée en 1947. Dans notre histoire récente, en 2015 (pendant le putsch manqué du général Gilbert Diendéré, ndlr.), si la chefferie n’avait pas agi, on aurait peut-être assisté à un carnage à Ouagadougou ici. Même en 2022 à côté (coup d’Etat du capitaine Traoré, ndlr.), si la chefferie n’était pas là, peut-être que la situation allait être autrement. A chaque fois et à toutes les étapes importantes de l’histoire de ce pays, les chefs coutumiers jouent un rôle prépondérant et très utile pour qu’il y ait la cohésion sociale. Ce n’est pas aujourd’hui que nous allons leur jeter la pierre en généralisant le comportement peu catholique de quelques personnes à toute l’institution. Dans tous les corps de métier, ces genres de personnes existent. Pour ma part, je pense que les chefs coutumiers peuvent bien jouer ce rôle.

Minute.bf : Nous sommes à une période où les intellectuels sont tancés de ne pas apporter leur pierre à la reconquête de la souveraineté nationale. D’aucuns les accusent même d’être à la base de la situation que nous vivons aujourd’hui. Quelle appréciation faites-vous de ces opinions ?

« Vous ne pouvez pas remporter une guerre contre un ennemi quelconque si vous êtes divisés »

Minute.bf : Dans le projet de révision de la constitution initié par le gouvernement, il est prévu de conférer aux langues nationales, le statut de langue officielle. Le français sera uniquement la langue de travail. Que pensez-vous de cette mesure ?

Je pense que c’est une mesure salvatrice. Moi qui vous parle, ma thèse de doctorat a porté sur « la contribution des genres oraux à la formation des écoliers ». La problématique de la thèse était : comment réactiver les connaissances endogènes qui existaient avant l’arrivée du colonisateur et les exploiter dans l’école moderne ? C’était d’arriver à exploiter, dans l’école moderne, nos textes traditionnelles (contes, mythes, légendes, proverbes, devinettes, etc.), cette connaissance endogène, qui existait avant l’arrivée du colonisateur, qui était utilisée pour la formation de nos enfants ; une éducation qui ne connaissait pas des échecs scolaires.

J’ai enseigné à l’école primaire pendant 15 ans ; j’ai également fait 3 ans au secondaire avant d’aller à l’université. C’est ce capital de connaissances que j’ai cumulé pendant 18 ans au niveau du Ministère de l’Education nationale, de l’Alphabétisation et la Promotion des Langues nationales, que j’ai voulu mettre à contribution pour réorienter le système éducatif burkinabè. J’ai effectivement constaté que ces textes pouvaient être utilisés au mieux dans l’enseignement supérieur. En 2012, j’avais déjà proposé que ces langues soient prises en compte dans l’éducation. Voici un cas simple que j’avais proposé : lorsque vous avez un diplôme qui ne peut pas être utilisé, qui jaunit au fond des jarres, ce diplôme ne va pas vous servir. J’avais donc proposé qu’au niveau des mairies, en fonction des bassins linguistiques, dans le recrutement des agents par exemple, qu’à compétences égales, on privilégie celui qui justifie d’un diplôme lié aux langues nationales parlées en majorité dans cette zone. Par exemple, si c’est à Bobo Dioulasso que l’on doit recruter un agent à la mairie avec un niveau BEPC, je propose qu’à compétence égale, on prend celui-là qui sait lire et écrire en langue dioula, parce que la personne qui sera appelée à travailler avec les populations sera à cheval entre ceux qui parlent le français et ceux qui parlent le dioula. La langue étant le véhicule par excellence de la culture, celui qui parle la langue connait mieux la culture. La langue donnant aussi la vision du monde de celui qui parle, cela permettra également aux agents de mieux comprendre la mentalité de ces populations. Il est démontré par tous les experts linguistes que la langue véhicule la mentalité et la vision du monde de celui qui parle. Un homme se définit dans sa langue.  Si nous avons eu des difficultés à un certain moment, c’était comme si notre développement se construisait en dehors de notre culture, alors que c’est la langue qui est l’élément porteur de la culture. Si on revient à nos langues, je pense que c’est un retour aux fondamentaux. Cette loi donne désormais un statut et une fonction à nos langues, de telle sorte que ces langues puissent être utilisées, soit dans l’éducation, soit dans les notes officielles, etc. Supposons que vous voyagez à travers le pays et vous trouvez que les noms de nos villages sur les plaques sont écrits dans nos langues, ce sera merveilleux. Le plus important dans l’éducation, ce n’est pas langue d’éducation, mais permettre à la personne formée d’être suffisamment éclairée, capable de raisonner et de concevoir. Que vous réfléchissiez en anglais, en chinois ou en français, le plus important c’est de permettre à la personne de pouvoir capitaliser tous ce qui s’est fait intellectuellement et arriver à produire. 

Nos enfants que nous envoyons à l’école, dès les petites classes, on leur apprend d’abord à dire bonjour ou bonsoir, à prononcer certains termes comme la fenêtre, la porte, etc. Si l’éducation se faisais dans nos langues, ce sont des choses sur lesquelles nous allons passer pour aller vite. L’expérience qu’on a vécue au Burkina Faso avec l’enseignement bilingue, est qu’un enfant, au lieu de passer 6 ans pour avoir son certificat, décroche ce parchemin en 5 ans. Nous l’avons expérimenté et c’était concluant. Il est vrai qu’il y avait un projet qui l’avait financé, mais une fois le projet terminé, l’enseignement bilingue s’est également arrêté. On aurait pu le poursuivre nous-mêmes, mais cela n’a pas été fait. Avec la nouvelle mesure sur les langues nationales, je pense que les choses évolueront positivement. Un exemple, dès les premiers instants, l’enfant est encadré dans sa langue à 90% et 10% en français. Au fur et à mesure qu’on évolue, on diminue le pourcentage dans sa langue maternelle et on augmente celui du français. C’est comme cela, et ça marche. On ne peut pas parler de développement endogène lorsqu’on s’exprime seulement dans d’autres langues. Là où c’est intelligent, on a laissé le français comme la langue du travail. Le français sera donc le trait d’union entre les différentes langues, de telle sorte que tout le monde puisse se sentir à l’aise.

Minute.bf : Dans la nouvelle constitution qui sera bientôt adoptée, le président du Faso va désormais nommer les procureurs du Faso et des magistrats au sein du Conseil supérieur de la magistrature. Quelle lecture faites-vous de cette mesure ? Est-ce que les personnes qui seront nommées par le Président du Faso pourront avoir un devoir d’ingratitude ?

Les réponses dans cette vidéo ⤵️

Minute.bf : Nous sommes à plus d’une année de l’arrivée au pouvoir du Capitaine Ibrahim Traoré. Quelle appréciation faites-vous de sa gestion ?

Dr Moumouni Zoungrana : Je ne peux pas apprécier un homme mais je peux apprécier les actions d’un homme. Je suis originaire du Centre-nord. Dans cette région, nous sommes dans l’œil du cyclone, comme on peut le dire. Cette région est beaucoup impactée par le terrorisme. Mais, quand je me fie à ce que je vois sur le terrain, parce que l’élément numéro un qui a suscité l’arrivée du pouvoir actuel, c’est la lutte contre l’insécurité. Donc, si on veut apprécier ce gouvernement, le baromètre c’est surtout au niveau de la sécurité. Et en tant que produit de la région du Centre-nord, de ce que j’ai constaté sur le terrain, au regard du nombre de villages qui se sont réinstallés, au regard du nombre de villages qui ne déménagent plus, au regard des espaces qu’on peut fréquenter sans avoir peur, je pense qu’il y a un travail formidable qui a été fait. Et mieux, la création des 25 BIR (Bataillon d’intervention rapide, ndlr.) vient faciliter le maillage sécuritaire qui était depuis un certain temps le tendon d’Achille de notre sécurité. Mieux encore, avec l’équipement de l’armée, en ce moment, je pense que c’est positif.

Je vous donne un exemple. Il y a deux jours de cela, lorsque les militaires sont allés ravitailler la ville de Djibo (Région du Sahel, ndlr) et de Bourzanga (Région du Centre-nord, ndlr), il y a eu un cordon d’accueil de Kongoussi jusqu’à Sabcé, environ 15 kilomètres, pour réserver un accueil chaleureux à ces Forces combattantes. Un peu partout dans le pays, les gens sont contents du travail qui est fait sur le terrain. Ce n’est pas Ibrahim Traoré qu’ils aiment ; ils apprécient le travail formidable qui est en train d’être fait sur le terrain pour la reconquête du territoire national.

Si je fais le point de la gestion du capitaine Traoré, côté sécuritaire, je pense que pour être honnête, notre armée monte en puissance. Ce n’est plus la même armée qu’on connaissait. C’est une armée qui se professionnalise et qui a envie de s’assumer en toute responsabilité. Et c’est vraiment positif.

Minute.bf : Le chef de l’Etat, dans son adresse à la nation à l’occasion du 63e anniversaire de l’accession du Burkina Faso à l’indépendance, a invité les Burkinabè à se mobiliser davantage pour soutenir l’effort de paix à travers diverses contributions. Plusieurs taxes avaient déjà été instaurées dans ce sens. Quelle analyse faites-vous de ce nouvel appel ?

Dr Moumouni Zoungrana : Nous sommes dans un tournant décisif pour notre nation. Dans un match de football, quand vous menez par 1 but à zéro, si vous êtes intelligents, c’est à ce moment-là qu’il faut redoubler d’efforts. Il ne faut pas dormir sur vos lauriers. À mon avis, à cette étape-là, la guerre tend vers son apogée. Il faut que les moyens accompagnent cette guerre, si nous voulons la gagner. A cette étape, si on n’arrive pas à avoir des munitions, des armes nécessaires pour que l’armée continue de monter en puissance, la situation risque de ne pas nous être beaucoup favorable. Du coup, il faut qu’on soit équipé, il faut qu’on encourage ceux qui sont au front, il faut que maintenant que nous avons commencé à prendre de l’ascendant sur l’ennemi, on redouble d’efforts. Cela suppose forcément des moyens. Où il faut les avoir, si on ne peut plus tendre la main à l’extérieur ? Il faut qu’à l’intérieur on s’assume, puisque c’est notre guerre. Cette guerre n’est pas une guerre idéologique seulement, c’est une guerre d’existence. Et là, je pense que l’enjeu est tel qu’il n’y a pas de sacrifice de trop. 

Nous qui sommes en ville, on nous demande une contribution ; qu’est-ce qu’on va dire de ceux-là qui ont perdu la vie ? Il y en a qui sont allés sur le terrain, qui savaient qu’ils ne reviendront pas mais ils sont partis. Le pays nous appartient tous. Donc, si des gens peuvent être dans le froid, y dormir, faire des jours sans manger ni boire, sans se laver pour que ce pays-là puisse rester dans les limites que nos grands-parents nous ont léguées, je pense qu’il n’y a pas de sacrifice de trop.

J’estime qu’on peut faire une contribution supplémentaire. Je pense par exemple à nos mines, aux téléphonies mobiles, à nos brasseries et même les travailleurs. Il s’agira de contributions exceptionnelles. Je n’ai pas dit d’étaler des taxes sur eux mais ce qu’il faut faire, c’est de demander à ce que les gens contribuent en étalant cela dans le temps de manière claire et limpide, de telle sorte que chaque travailleur qui contribue sait combien il donne et pour combien de temps. Il ne faut pas faire comme ce qui s’est passé au niveau de l’IUTS (Impôt unique sur les traitements et salaires, ndlr) où on a fait une proposition pertinente, malheureusement à l’application, c’était irresponsable, parce qu’une contribution qui devait s’arrêter à un temps donné est devenue éternelle, de telle sorte que la parole donnée n’a pas été respectée. Si fait que les gens avaient peur de contribuer encore, surtout que cette contribution doit sortir au niveau des bulletins et passer par la solde. Les gens ont eu peur parce qu’ils ne maîtrisent pas les tenants et les aboutissants de ces nouvelles contributions qui leur avaient été demandées. Mais, si on rassure les uns et les autres que ce sont des choses qui peuvent être programmées, on fait un programme pour 1 an. Arrivée à échéance, le logiciel programmé met fin à la ponction opérée sur les salaires. J’estime qu’une nouvelle contribution ne sera pas de trop, d’autant plus que c’est notre guerre à nous. Si nous voulons être autonomes et souverains, c’est à nous d’apporter les éléments qui vont renforcer notre souveraineté.

L’élément le plus important, et ce qui serait dommage, c’est ma conviction profonde, c’est qu’à la fin de cette guerre, des Burkinabè se battent pour que ce pays puisse retrouver sa souveraineté et sa liberté et toi, un fils ou une fille du Burkina Faso, tu n’as pas apporté ta contribution. Tu te sentirais mal. Il faudrait qu’à la fin de cette guerre, chacun puisse dire à la face du monde : voilà ce que j’ai fait. Sinon, même si on ne t’a pas indexé, ta conscience doit te gronder, parce que c’est une maison commune, un bien commun que des gens ont décidé de défendre et là, si tu te mets en retrait, je pense qu’à la fin tu dois te sentir mal. C’est comme si ta famille est attaquée, tes frères sont attaqués, ta maman est attaquée, ton père est attaqué et toi tu t’éclipses pour laisser tes autres frères se battre pour que la famille soit sauvée. À la fin du combat, si tu n’as pas apporté ta contribution, au moment où on fêtera la victoire, tu dois te sentir mal, parce que même si quelqu’un ne t’a rien dit, tu sais que tu n’as rien fait.

Minute.bf : La question des réquisitions fait beaucoup jaser au Burkina Faso. Quelle analyse en faites-vous ?

La réponse dans la vidéo ci-dessous ⤵️

« Si on veut gagner cette guerre, il faut forcément qu’il y ait l’unité nationale »

Minute.bf : Le Burkina Faso, le Niger, le Mali ont décidé de se mettre ensemble pour créer l’Alliance des Etats du Sahel. Quel impact pourrait avoir cette alliance dans la lutte contre le terrorisme au sahel ?

Dr Moumouni Zoungrana : Depuis qu’on a créé l’Alliance, le résultat tangible et visible qui est indiscutable, c’est l’instauration de l’exécutif du NIGER. Si l’Alliance n’existait pas, il y a longtemps qu’on aurait balayé le Niger. Ça, c’est un des éléments tangibles. Vous voyez également que la guerre se mène dans la zone des trois frontières.  Les trois frontières regroupent une partie du Mali, du Niger et trois ou quatre provinces du Burkina Faso. Le problème, c’est que lorsque les terroristes sont pourchassés au Burkina Faso, ils logent tranquillement au Niger ou au Mali et vice versa.  Quand le Mali les pourchasse, ils viennent au Burkina Faso. Ça fait qu’on a des difficultés pour surveiller leur mobilité, pour les stopper. Mais avec l’Alliance, nous devenons comme un seul Etat, de telle sorte que nos militaires ont la possibilité de les poursuivre quel que soit l’endroit où ils sont. Si on devient un seul Etat pour lutter contre le terrorisme, on peut mutualiser nos efforts, on peut mutualiser nos forces, on peut mutualiser nos armes. Donc je trouve que c’est la bonne chose. C’est ce qui devrait être fait depuis longtemps, parce que depuis la nuit des temps, avec les accords qu’on a signés, des gens se sont permis de dire qu’ils vont garantir notre sécurité, mais on a vu les résultats. Il y a eu beaucoup de forces qui se sont installées au Sahel :  Barkhane, MINUSMA, Sabre, G5 sahel, mais le terrorisme s’est renforcé, au contraire. Si on n’arrêtait pas le massacre, peut-être que nos capitales n’allaient plus exister.  C’est pourquoi je salue l’initiative de créer l’Alliance des Etats du Sahel.  Ma prière est qu’on parte encore plus loin que cela, pour pouvoir renforcer nos rapports, parce que déjà, on voit des résultats concrets. Aujourd’hui, ce sont les terroristes qui sont terrorisés et quand vous suivez la chaîne nationale, vous constatez qu’aujourd’hui, nous ne sommes plus sur la défensive, nous sommes à l’offensive. Je pense comme le président l’a dit, il faut que les terroristes déposent les armes parce qu’il y aura un temps où il ne sera plus possible de le faire. 

« Il faut que les terroristes déposent les armes parce qu’il y aura un temps où il ne sera plus possible de le faire… »

Minute.bf :  Avec la création de l’AES, il y a des voies qui s’élèvent un peu partout pour dire aux chefs des trois Etats de quitter la CEDEAO, est-ce que quitter la CEDAO n’aura pas un impact sur le développement de ces pays et sur les populations elles-mêmes ?

Dr Moumouni Zoungrana : Il ne faut pas tomber dans le piège. Dans les textes de la CEDEAO, il n’y a pas des dispositions qui interdisent que des pays s’unissent pour créer des confédérations. Il y a la CEDEAO, il y a l’UEMOA qui est là. Donc ce n’est pas interdit. Et comme ce n’est pas interdit, nous n’avons pas à quitter la CEDEAO. Ce que les gens n’ont pas compris, est que l’Alliance du Sahel en ce moment, c’est comme l’arête dans la gorge de la CEDEAO. Ils veulent cracher mais ils ne savent pas comment faire. En ce moment, ce que ces trois pays ont pris comme décision dans la lutte contre le terrorisme, dans la dénonciation des accords par exemple, il n’y a pas dans la CEDEAO, ce pays qui ne veut pas cela, surtout les pays francophones. Il n’y a pas ces pays-là qui n’aspirent pas à ces actions.  La lutte engagée contre l’impérialisme, la lutte engagée pour la souveraineté de ces Etats, il n’y a pas ce pays qui n’aspire pas à cela. Mais, nous avons souvent des présidents qui ont des mains et des pieds liés et qui ne peuvent pas aller vers cela. Mais leurs populations suivent, et leur prière aujourd’hui est que les trois pays qui ont eu le courage de s’assumer en toute responsabilité, réussissent pour qu’eux aussi empruntent la voie. 

Par conséquent, si la CEDEAO décide d’expulser ces trois pays de leur espace, de leurs instances, en prenant des sanctions sévères et inhumaines, c’est leurs populations, l’opinion publique même de ces pays qui vont se lever contre eux. Parce que même s’ils ne sont pas avec nous, ils sont de cœur avec nous. Maintenant, si ce sont les trois pays qui décident de quitter l’organisation, là on ne peut pas les défendre. Et c’est en ce moment-là que ces pays vont tenter d’étouffer ces trois pays. N’oublions pas aussi que nous avons nos compatriotes un peu partout. Si on instaure des titres de séjour par exemple, si on dit par exemple que pour la mobilité du citoyen, on exige des passeports, parce nous ne sommes plus dans le même espace, il y a beaucoup de paramètres qui peuvent porter atteinte à la vie même de nos populations qui sont ailleurs.  Mais si ce sont les trois pays qui ont décidé de quitter, ils sont libres d’appliquer n’importe quelle sanction et personne n’aura à se plaindre parce que c’est nous qui avons choisi de partir. A contrario, si c’est eux qui nous disent de quitter, ce n’est pas nous qui allons faire la bagarre, c’est leur opinion publique, puisque les gens ne sont pas des moutons, ils savent que la voie empruntée par ces trois pays est une voie qu’on aurait dû emprunter depuis 1960. Mais il n’y a pas eu de dirigeants courageux qui ont décidé de s’assumer. Ils nous observent et leur prière est que si on réussit, ils prendront la même voie.

Minute.bf : Les trois Etats qui composent l’AES ont déjà claqué la porte du G5 Sahel, quel commentaire avez-vous à faire sur cette décision ?

Dr Moumouni Zoungrana : Je pense qu’il en était temps. Le G5 sahel n’a jamais existé. Ce n’est que sur du papier. On a créé le G5 Sahel mais le terrorisme s’est renforcé. Au contraire, ça nous a berné, on était assis en comptant sur eux mais rien.  Regardez par exemple quand vous partez en Europe, que ce soit au niveau des frontières, en Europe, aux Etats-Unis ou bien en Asie, si vous avez un corps vivant de la taille d’un margouillat qui traverse la frontière, on le détecte. Et ici, on a des centaines, des milliers de terroristes avec des engins lourds qui se déplacent mais ces forces qui étaient présentent sur nos territoires ne les détectent pas, lorsqu’elles assuraient notre sécurité. Il y a un problème, moi je pense qu’il était temps qu’on s’assume en toute responsabilité. Depuis que nous avons décidé de prendre les choses entre nos mains, voilà que la guerre a changé de physionomie. 

Ce G5 Sahel, c’est de la poudre de perlimpinpin et c’est pour cette raison que moi je pense que le fait de claquer la porte à cette institution est une bonne chose. Ce qui doit nous importer aujourd’hui, c’est de nous concentrer pour l’Alliance du Sahel. C’est déjà suffisant, on s’assume en toute responsabilité, nous finançons notre guerre nous-mêmes. En fait, on n’est pas contre quelqu’un, nous ne sommes pas là pour vivre en autarcie. Nous sommes là pour dire que désormais, voici la route que nous avons empruntée. Respectez la voie que nous suivons, nous aussi nous allons respecter votre voie, ça ne dépasse pas ça. On ne va pas nous enlever ça qu’à même.

Minute.bf : Nous sommes dans une période de transition. Ne faut-il pas craindre une remise en cause de toutes ces grandes décisions qui sont en train d’être prises à l’après transition ? 

Dr. Moumouni Zoungrana : Votre inquiétude est réellement fondée. C’est pour cette raison que nous appelons de tous nos vœux que ces sillons qui sont en train d’être tracés, soient des sillons indélébiles, de telles sorte que, la mentalité même des populations change. Au point que celui qui viendra, s’il y a des institutions fortes, quel que soit alpha, qu’il n’y ait pas de remise en cause. Vous savez, dès 1983, quand feu, le capitaine Thomas Sankara arrivait au pouvoir, le peuple d’alors n’est pas le même que nous avons actuellement. Tout ce qui est en train d’arriver aujourd’hui avec les insurrections, les chamboulements politiques que nous connaissons, c’est parce qu’il y a eu une certaine mentalité qui a été installée de telle sorte que le Burkinabè qui a existé en 1983, quel que soit ce que vous allez faire, vous ne pouvez plus étouffer ce type de Burkinabè. C’est pourquoi il a d’ailleurs dit : « Tuez-moi et mille Sankara naîtront ». Aujourd’hui, moi, ma prière est qu’on élargisse l’AES pour que les gens comprennent que notre intérêt n’est plus dans la division. Notre intérêt n’est plus dans le fait de vivre en révolte contre qui que ce soit. Si cela est compris, celui qui va arriver au pouvoir, à travers les élections déjà, si dans ton programme on constate que tu veux nous ramener en arrière, c’est en toute démocratie que tu ne passeras pas. Je pense qu’il ne faut pas avoir peur. Il ne faut pas idéaliser cette situation. Il faudrait accompagner ce qui est en train d’être fait en ce moment, pour que les sillons se tracent parce que parmi tous les leaders qui viendront, il n’y a pas un seul qui veut s’inscrire dans la logique d’être contre sa population. Tous les leaders qui viennent, ce sont des patriotes, ce sont des gens qui veulent le développement de ce pays. 

Minute.bf : Si vous aviez aujourd’hui le capitaine Ibrahim Traoré en face de vous, que lui diriez-vous pour améliorer certains points de sa gestion ?

Dr. Moumouni Zoungrana : Si j’ai le président capitaine Ibrahim Traoré en face, mes premiers mots, seront des félicitations et un Merci. Ce que je vais ajouter, parce que toute œuvre humaine pouvant être améliorée, je demanderais à ce que dans sa gestion, il prenne en main certains secteurs régaliens. Il y a des secteurs qui sont vraiment régaliens. Au niveau économique, quand je prends par exemple le secteur de la téléphonie mobile, c’est des secteurs de souveraineté qu’on ne peut pas laisser uniquement entre les mains des investisseurs étrangers. Ça, il faut l’améliorer. Le secteur des Mines, c’est des secteurs de souveraineté, il n’y a pas un pays qui peut être autonome, souverain, tant que ce pays n’a pas une base économique solide. Il faudrait, en tout cas, trouver de mécanismes pour que les ressources naturelles du pays profitent au maximum au pays, non pas parce qu’il faut rejeter l’étranger, mais qu’on sente que ces richesses-là profitent d’abord aux nationaux qui sont dans ces instances, pour nous garantir une certaine souveraineté. Au niveau international, je souhaite qu’à l’AES, on renforce la création des organes institutionnels pour pouvoir tracer des sillons indélébiles pour que quelqu’un d’autre ne vienne pas remettre ça en cause. Je souhaite aussi sur la question des changements monétaires notamment la question du Franc CFA, qu’on ait le courage d’essayer autre chose. Parce que depuis 1960, nous sommes dans une logique et cette logique ne nous a amenés nulle part. Si nous sommes des hommes intelligents, on doit avoir le courage d’essayer d’autres voies, c’est pourquoi au niveau de l’AES, ils doivent tout faire pour que la question du Franc CFA soit posée en toute responsabilité. En toute lisibilité aussi, ils doivent mener une diplomatie courageuse, une diplomatie de vision pour que l’AES puisse s’élargir à d’autres pays, parce que dans ma conviction profonde, nous tenons le bon bout. 

Mibute.bf : Votre mot de fin ?

Dr. Moumouni Zoungrana : Mon mot de fin, comme nous sommes à l’orée de la nouvelle année, c’est très honnêtement de souhaiter une très bonne fête de Noël à tous les Chrétiens du monde et du Burkina Faso et aussi une très Bonne année à tous les Burkinabè. C’est aussi de prier Dieu pour que 2024 voit la fin, le silence total des armes, pour que ce soit l’euphorie, que ce soit du développement, pour qu’un Burkina Faso nouveau renaisse. Je souhaite que ce soit vraiment une année de réussite pour nous, une année de paix, une année de sécurité pour qu’enfin un Burkina Faso nouveau puisse émerger.                               

Interview à réaliser par Armand Kinda

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