Le Rassemblement des intelligences pour la souveraineté de l’Afrique (RISA) a organisé un panel autour du thème « Métier de journalisme en situation de crise », le samedi 13 janvier 2024 à Ouagadougou. Il s’est agi pour cette organisation de poser le débat sur la pratique journalistique dans le contexte de lutte contre le terrorisme au Burkina. Des juristes et des journalistes ont été invités à communiquer sur le sujet.
« Communication et construction des idées dominantes », c’est sur ce thème que le journaliste Moussa Sawadogo a été invité à communiquer.
L’expert en communication et information, Moussa Sawadogo, qui enseigne également dans des écoles de journalisme a fait remarquer que la pratique journalistique au Burkina Faso est harcelée par cette maxime : « on ne peut pas avoir de liberté de presse dans un pays qui n’est pas libre ». Ce, parce que l’on estime que tout ce que le journaliste doit faire « doit tenir compte du contexte ». C’est cela que M. Sawadogo appelle les « idées dominantes ».
« Une idée dominante, définit-il, est l’idée qui est la plus en vogue, la plus partagée par la population. L’idée à laquelle la majorité de la population va s’accrocher comme une vérité, une solution à leur problème. C’est l’idée qui va incarner le plus la représentation subjective d’une réalité. Cette représentation peut être vraie ou fausse en fonction du message qui la porte ».
Comment la population permet-elle de construire des idées dominantes ?
L’enseignant dans les écoles de journalisme conçoit « la communication comme un outil pour construire des idées (la représentation du monde) ». Dans le cas du Burkina Faso, il a soutenu que « la communication sera comme un outil, un laboratoire de fabrication de l’information ».
Pour étayer ses propos, il s’est appuyé sur une étude qui a été faite au Centre d’études stratégiques de l’Afrique (CESA) qui a montré que dans les pays comme le Burkina Faso, le Mali « il y a toute une communication qui est mise sur pied pour changer la configuration géopolitique de ces États ». Dans cette stratégie de communication, précise-t-il, il y a des cibles, des objectifs de communication, des tactiques qui sont définis et il y a un impact.
Quels objectifs vise cette stratégie de communication ?
Comme premier objectif, sur le cas concret du Burkina, Moussa Sawadogo citant l’étude du CESA a fait remarquer que « depuis 2020, on assiste à une création massive d’Organisations de la Société civile (OSC), dont l’objectif des messages qu’elles (les OSC, ndlr) portent, est d’abord de dénigrer les autorités démocratiquement élues, dénigrer les civils qui sont au pouvoir, surtout que le pays fait face à la lutte contre le terrorisme, pour dire qu’ils sont incapables de gérer la crise, afin de préparer le terrain à la prise de pouvoir par les militaires ». Il insiste, : « c’est toute une stratégie qui a été élaborée pour cela ».
Le deuxième objectif, dit-il, va consister à « promouvoir la prise de pouvoir des militaires et ensuite de s’attaquer à la démocratie comme mauvais système et reporter l’organisation des élections… »
Troisièmement, il s’agira de « dire que cette manière de faire va susciter le courroux des pays puissants donc il faut s’unir pour faire face à l’impérialisme ;[donc] pour exporter cette manière de faire ».
Comment cela va se faire ?
Dans la pratique, poursuit Moussa Sawadogo dans sa communication : « ces OSC seront massivement financées pour prendre d’assaut Facebook et les réseaux sociaux avec un discours anti-occidental et un discours pro-russe, avec des spécialistes des réseaux sociaux qui vont faire qu’on va tomber dans une info-dénie, c’est-à-dire, faire de l’information un virus qui se propage et qui hante nos cerveaux ».
Ainsi, « la fabrication de l’information » va, selon M. Sawadogo, suivre deux axes. Dans un premier temps, « faire comprendre au peuple la réalité et l’amener à agir dans le sens de ce que veulent les autorités ». Pour M. Sawadogo, ici, il sera question d’user d’« un discours de vérité pour amener les gens à adhérer ».
Toutefois, viendra, selon son argumentaire, « le choix de la désinformation ». « On va grossir certaines informations, manier certaines informations pour toucher l’émotion des gens. À partir de ce moment, l’émotion étant touchée, on est en plein dans ce qu’on appelle le soft-power : les gens agissent croyant agir par eux-mêmes, pour eux-mêmes alors qu’ils sont dépassés par des forces qu’ils ne maîtrisent pas », a-t-il analysé.
Le deuxième axe, décline-t-il, « c’est le contrôle des médias et l’imposition d’un agenda-setting ».
Les médias burkinabè réduits en agence de communication…
« Comment on a réussi à transformer les médias burkinabè ? », s’est interrogé l’enseignant en journalisme qui affirme sans ambages, « on a réussi à transformer les médias burkinabè en agence de communication ».
Pour preuve, il avance : « au niveau des reportages pour les questions très sensibles, on leur (les journalistes, ndlr) donne des communiqués qu’ils se contentent de diffuser : plus d’analyse, le traitement de l’information on n’en fait plus ».
En outre, argumente-t-il : « on va avoir un discours de haine, tellement puissant contre les intellectuels que les chefs des télévisions et des radios auront des problèmes pour constituer des plateaux avec ces derniers pour discuter ». Là encore, il a fait remarquer que sur « la plupart des plateaux télé et radio au Burkina Faso, ce sont les mêmes qui passent partout ». « Ce sont les kamikazes qui n’ont pas peur qui passent partout sinon les autres refusent d’aller parce qu’on a peur », a-t-il insisté.
Enfin, a-t-il conclu : « les journalistes burkinabè sont convaincus que la situation est tellement complexe que pour leur propre sécurité, il ne faut plus faire des analyses. On est dans les reportages très simples. Ce qui va faire que petit à petit, le journaliste qui était un médiateur, qui doit être éclaireur, critique, susciter l’esprit critique finit par être phagocyté par des communicateurs. Quand vous regardez la plupart des plateaux, on a beaucoup plus de communicateurs que de journalistes ».
Il convient de souligner que d’autres thématiques ont été abordées au cours du panel qui a même vu la participation d’un juriste, Dr Ouandaogo qui a communiqué autour du thème : « Expression des libertés individuelles et collectives en situation de crise sécuritaire : quel regard de juriste ? »
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Franck Michaël KOLA
Minute.bf