Ceci est une réponse de Ismaël Traoré au Syndicat des Magistrats burkinabè (SMB) sur la sortie de son Secrétaire général Diakalya Traoré sur la révision de la Constitution, l’indépendance des procureurs et l’entrée au Conseil supérieur de la Magistrature (CSM) de personnes non-magistrats. Lisez plutôt !
Dans son écrit relayé sur les réseaux sociaux, le Syndicat des Magistrats Burkinabè (SMB) représenté par son Secrétaire Général Monsieur Diakalya Traoré s’insurge contre la révision constitutionnelle en arguant que les conditions de sa révision telles que prévues à son article 165 ne seraient pas réunies.
Que la reforme concernant le secteur de la justice remet en cause l’indépendance du pouvoir judiciaire.
Que l’intégration des personnes non -magistrats au Conseil supérieur de la magistrature serait justifiée par des visées de mettre le CSM sous la coupe de l’exécutif.
Ces déclarations et affirmations tous azimuts du magistrat secrétaire général de syndicat, appellent de notre part en tant que citoyen ayant vécu également l’histoire récente de notre pays , la mise au point ci-après :
1. Sur les Conditions de révision de la constitution prévues à l’article 165 de la constitution
Le magistrat Diakalya Traoré, pour le compte du SMB, soutient qu’en raison du terrorisme, il n’est pas possible de réviser la Constitution. Il dit se fonder sur l’article 165 alinéa 2 de la Constitution qui interdit sa révision « pendant la durée de l’Etat de siège ou de l’Etat d’urgence » ou « lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire ».
Mais il y a lieu de lui faire remarquer que :
D’abord, le SMB est un syndicat de magistrats constitués d’hommes et de femmes avisés et vivant au Burkina Faso et à ce titre, la simple culture générale pouvait leur offrir l’occasion de savoir que la durée de l’état d’urgence a expiré au Burkina Faso, depuis le 29 Octobre 2023 et n’a pas encore été renouvelée. Ils devraient, en parcourant les dispositions constitutionnelles, savoir aussi qu’il n’y a ni état d’urgence ni état de siège en vigueur actuellement au Burkina Faso.
S’il en existait, en tant qu’homme de loi, l’homme de droit en devrait indiquer dans son jugement rendu public sa durée parce que la Constitution dispose bien en son article 165 que c’est « pendant la durée de l’état d’urgence ou de l’état de siège » qu’aucune procédure de révision de la Constitution ne peut être entreprise. C’est donc en vain que le SMB se fend dans des contorsions juridiques sans issue pour démontrer l’existence d’un état d’urgence ou de siège. Il n’y a pas d’état de siège ou d’état d’urgence de facto comme semble le prétendre le spécialiste du droit syndicaliste. L’état d’urgence est toujours décrété suivant une procédure et pour une durée précise. Un homme de droit et de surcroît un magistrat ne devrait pas avoir l’excuse de l’ignorer !
Ensuite ,ce qui heurte le plus, l’intelligence du citoyen lambda, c’est de voir que le magistrat Diakalya Traoré s’est livré à une interprétation hasardeuse de l’article 165 de la constitution qui frise l’apologie du terrorisme pour conclure à une atteinte à l’intégrité du territoire burkinabè.
Mais il aurait fallu que notre magistrat interroge l’histoire du droit pour savoir quand, pourquoi et comment cette notion « d’atteinte à l’intégrité du territoire » est apparue dans les Constitutions. En effet c’est après que le Machéral Pétain (France) ait accepté sous l’occupation Allemande en 1940 de réviser la Constitution française de 1875 le 10 Juillet 1940 que le constituant français en adoptant la Constitution de 1946 a prévu cette disposition pour empêcher que la Constitution ne soit révisée sous l’influence de forces étrangères . Nos Constitutions ont donc copié et collé cette disposition, sous l’influence du colon.
L’esprit était d’éviter que l’ennemi ne dicte sa loi dans ces circonstances particulières. Sauf à vouloir faire l’apologie du terrorisme, le magistrat Diakalya Traoré devrait indiquer dans son écrit la portion du territoire burkinabè sur laquelle l’Etat du Burkina n’exerce plus sa souveraineté ainsi que l’identité des autorités qui exercent désormais une telle autorité ? ou encore fournir les éléments justifiant que les autorités burkinabè n’ont plus le plein exercice souverain de leurs pouvoirs ?!!!
A défaut de connaitre l’histoire, notre magistrat Diakalya Traoré aurait pu au moins interroger sa propre matière à savoir la jurisprudence pour mieux éclairer sa lanterne, mais Hélas !! En effet, le même débat d’atteinte à l’intégrité territoriale avait été porté devant le juge constitutionnel malien qui décidait fort éloquemment « Qu’en tout état de cause, le défi sécuritaire imposé au Mali étant contemporain, le fonctionnement régulier de ses institutions ne saurait être tributaire de la pacification absolue du territoire national, elle-même dépendante d’un environnement d’instabilité transnationale, au risque de freiner le processus démocratique et de plonger le pays dans l’impasse et le chaos. Que dès lors, le citoyen ne peut être privé du droit d’exprimer son choix au sujet d’une loi de révision constitutionnelle » (Cour Constitutionnelle de la République du Mali, Arrêt n°2017-04/CCM du 04 juillet 2017).
Le seul bénéfice de l’écrit du magistrat Diakalya Traoré sera de faire chanter et danser les terroristes qui auraient pu arrêter le fonctionnement de la république. Mais c’est vain, le Burkina Faso restera débout et continuera à aller de l’avant.
Le SMB et son secrétaire Général feront mieux de ne pas confondre l’insécurité à l’atteinte à l’intégrité territoriale.
2. Sur la question de l’indépendance des procureurs
Dans son écrit, le SMB s’offusque d’une « domption du parquet » et crie que la reforme projetée « institue la manipulation à souhait du parquet par l’exécutif » pour revendiquer « des procureurs indépendants » garant des intérêts du peuple.
Mais c’est qui heurte encore le sentiment juridique de tout professionnel de droit, c’est que l’on veuille masquer la réalité car en l’état actuel des choses, il n’y a pas de procureurs indépendants. Si l’indépendance se définit comme le fait pour une personne, un magistrat en l’espèce ,de juger et de rendre une décision sans avoir à recevoir d’ordre ou avoir des comptes à rendre à personne, le SMB devrait avoir l’honnêteté de reconnaitre qu’en l’état actuel du droit au Burkina Faso il n’existe pas de procureurs indépendants. En effet, l’article 242-6 du code de procédure pénale adopté le 29 Mai 2019 dispose que : « Le procureur général a autorité sur tous les magistrats chargés du ministère public du ressort de la cour d’appel ». En d’autres termes, le procureur général donne des ordres aux magistrats du parquet qui sont sous sa coupe, ce qui n’existe pas pour les magistrats du siège.
L’on pourrait se poser la pertinente question de savoir pourquoi le SMB ne critique point la soumission des magistrats du parquet au Procureur Général ?
Lorsqu’un magistrat donne des ordres à un autre pour prendre une décision comment appelle-t-on cela ?! Le débat de procureurs loin du corporatisme malfaiteur, est d’une absurdité sans égal.
Abordant la question de la mise en œuvre efficace de la politique pénale arrêtée par le gouvernement, le SMB ne répond pas à la question de savoir si tant est que l’exemple burkinabè est le meilleur pourquoi il n’a séduit aucun pays de la sous région depuis 2015 ?!
La hiérarchisation des magistrats du parquet répond à un besoin d’efficacité, d’efficience et de cohérence dans le système et il est inconcevable de résumer toute la justice aux magistrats du parquet qui n’interviennent que dans une partie infime des affaires judiciaires.
La soumission du procureur au ministre de la justice n’entame en rien l’indépendance du pouvoir judiciaire parce que le procureur est déjà placé sous l’autorité son supérieur hiérarchique. Aussi le procureur n’est pas un juge, il ne décide pas de la condamnation ou de la relaxe d’une personne. C’est le magistrat du siège qui décide en toute indépendance et les dispositions de la Constitution qui consacre cette indépendance (articles 129 et 130 alinéa 1er ) ne font point l’objet de révision.
Il y a lieu de noter que l’écrit du SBM vise plutôt à promouvoir un corporatisme et non pas pour protéger les intérêts du peuple.
3. Sur l’entrée au CSM de personnes non- magistrats
C’est vraisemblablement le point qui fâche le plus le SMB et ses membres qui n’ont pas manqué de rétorquer que nul ne siège au Conseil des ministres s’il n’est membre du gouvernement.
Mais si le SMB avait pour seul objectif l’intérêt du peuple, il devrait savoir que c’est le même peuple qui a revendiqué sa place dans le CSM en tant qu’organe de régulation du secteur de la justice lors de l’insurrection populaire des 30 et 31 Octobre 2014 à l’issue de laquelle des états généraux de la justice ont été tenus. Face aux dysfonctionnements graves constatés dans le système judiciaire il a été expressément prévu à l’article 4 alinéa 2 du pacte sur le renouveau de la justice du 28 mars 2015 de l’entrée de personnes non- magistrats dans le CSM afin de briser le corporatisme exacerbé de l’exclusivité des membres magistrats.
La justice est rendue au nom du peuple et c’est à lui de décider du modèle de justice qui répond à ses aspirations profondes sans que cela ne fasse jaser.
Des trois pouvoirs que sont l’exécutif, le législatif et le judiciaire, seul le dernier échappait jusqu’à présent à la censure du peuple pour créer une sorte de vitrine corporatiste et une carapace protectrice. Il faut donc avoir le courage tout en se comparant aux deux autres pouvoirs que sont le législatif et l’exécutif d’accepter sans gémir ,la présence de non magistrats au CSM car il représentera également le peuple au nom de qui la justice est rendue.
Pour terminer, le SMB, tout en vouant aux gémonies certains Burkinabè, chante les vertus des magistrats « les dieux sur terre ». Cependant, il y a lieu de lui rappeler que ce n’est pas le corps auquel l’on appartient qui fait naitre par coup de baguette magique la vertu d’intégrité et il faut avoir un peu d’humilité pour le reconnaitre.
4. Le SBM devrait plutôt aider la justice à balayer d’abord devant sa porte pour redonner la confiance au peuple en sa justice
Il serait inutile de rappeler que l’une des revendications du peuple lors de l’insurrection populaire des 30 et 31 Octobre 2014 était de refonder la justice pour la rendre plus accessible plus crédible pour répondre aux aspirations du peuple.
Mais les acteurs de la justice se sont eux-mêmes servis au lieu de servir le peuple au point que toute leur lutte s’est résumée aux avantages financiers sans penser à faire le pansement en leur sein le tout dans un corporatisme coupable.
- Combien sont-ils les magistrats épinglés dans des faits de corruption et autres déviances déontologiques, largement relayés par la presse, à être effectivement sanctionnés et extirpés des rangs ?
- Où sont-ils passés les dossiers des 37 magistrats épinglés en 2018 pour faits de corruption et conflit d’intérêts manifestes ? Le SMB a-t-il exigé et obtenu que les « magistrats indépendants » du marquet les poursuivent pour qu’ils soient jugés et condamnés comme le sont tous les citoyens burkinabè ? De 2015 à 2023 où sont passés les procureurs indépendants pour laisser ces magistrats sans aucune poursuite pénale ?
- Quid du CSM indépendant composé exclusivement de magistrats qui devait sévir du point de vue déontologique face à ces brebis galeuses.
Il faut avoir le courage de se le dire, le vrai problème de la justice burkinabè n’est pas une question d’indépendance mais de clientélisme et de clanisme de certains de ses acteurs !
Le SBM ferait mieux de se battre pour les intérêts du peuple au nom duquel la justice est rendue que de se fondre dans la défense d’intérêts claniques et partisans.
Ismaël Traoré
Minute.bf