L‘hydre terroriste a tendu ses tentacules jusqu’au bord de la lagune Ebrier. Elle n’épargne rien sur sa trajectoire. En Côte d’Ivoire, les attaques se multiplient. Après l’attaque de Grand Bassam, plusieurs localités ont été visitées par les fous de dieu, surtout vers les frontières avec le Burkina Faso. A N’Dotré, une localité située aux encablures d’Abidjan, capitale ivoirienne, 3 assaillants ont été tués dans une attaque perpétrée contre un camp militaire dans la nuit du 20 au 21 avril 2021. Depuis ce jour, les populations vivent dans la peur. Cinq mois après les attaques terroristes de N’Dotré, les habitants de ce quartier de la commune d’Abobo (dans le nord d’Abidjan) tentent tant bien que mal de mener une vie normale. Une visite des lieux le dimanche 10 octobre 2021 a permis à une équipe de www.minute.bf de recueillir quelques témoignages sur cette attaque et jauger le moral des populations qui y vivent.
Il était 8h30 minutes quand l’équipe de www.minute.bf a embarqué à bord d’un taxi compteur. Le lieu d’embarcation n’est rien d’autre qu’Adjamé dont le nom signifie « la rencontre » ou « le centre » en tchaman (une langue locale). Adjamé est située au nord de la commune du Plateau (le centre des affaires et la cité de l’administration). Adjamé, reconnue pour ses marchés noirs comme le « Black » est très bruyant et embouteillée même les dimanches. Notre taxi fait quarante minutes dans les bouchons avant de nous faire traverser des quartiers populaires d’Abidjan comme Makassi, Abobo-gare puis Pk18. Nous faisons escale à ce dernier endroit pour emprunter un « Gbaka ». Un transport en commun d’une dizaine de places. Sur un tronçon long d’environ 7 kilomètres quasi impraticable, nous subissons les secousses du gbaka et les cris incessants de l’apprenti « Une place, une place…» à la recherche de potentiels passagers.
Il était 10h (GMT) quand l’équipe de www.minute.bf est arrivée à N’Dotré, un quartier périphérique d’Abobo. Ce quartier abritant le deuxième bataillon projetable des forces armées de Côte d’Ivoire, qui intervient pour le compte des forces de l’ONU (ONUCI), a fait les frais d’une attaque de la nébuleuse terroriste dans la nuit du 20 au 21 avril 2021. Aux encablures de ce camp militaire, la vie reprend peu à peu même si certains riverains redoutent d’autres incursions des forces du mal.
En effet, les populations portent toujours dans leur subconscient collectif les stigmates de ce mercredi noir. Elles sont méfiantes et craintives. La situation géographique du camp militaire laisse entrevoir la stupeur de plusieurs Abobolais. Le sujet du jour est d’autant plus sensible qu’à notre micro, nombreux sont les réticents à nous livrer leur témoignage. « Hé affaire d’attaque là, nous on ne peut rien dire sur ça hein. On ne veut pas de problème deh ! », prévient un jeune homme assis dans un grin de thé, fuyant du regard, notre micro.
L’homme s’adapte à son environnement et cette adaptation, les Abobolais la réussissent. Ce quartier populaire d’Abidjan, reconnu pour le franc-parler de ses habitants, tourne à un mutisme inédit. Les attaques y sont sans doute pour quelque chose. A la vue de notre caméra et dictaphone, nous sommes dévorés des yeux par des passants. Instinctivement nous comprenions que notre mission du jour sera plus compliquée que l’on imaginait. « Abobo la joie », transformé en « Abobo la méfiance ». Il faut dire que les stigmates de l’attaque terroriste hantent toujours ces populations.
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Le périple suit son cours. En dépit des hostilités, quelques témoignages émouvants n’y manquent pas. A cinquante mètres de la porte d’entrée principale du camp militaire, un riverain d’une trentaine d’années nous reçoit finalement sous couvert de l’anonymat. « Nous sommes les riverains ; les attaques qui se sont produites ici nous ont choqués et traumatisés. Ne sachant pas réellement ce qui se passait, en entendant les tirs, nous avons été terrés, ma femme, mes enfants et moi sous les lits. La situation était difficile au point qu’on avait décidé de quitter le quartier. Un camp à proximité des populations est source de danger. Mais Dieu faisant, la sécurité s’est renforcée et nous nous sentons protégés. Désormais, les artères accédant au camp sont fermées à partir d’une certaine heure », nous a confié notre interlocuteur. Nous longeons le mur du camp dans l’espoir de recueillir d’autres sentiments. Un peu plus loin, c’est une dame du second âge qui nous accorde sa voix.
« Je suis une habitante d’ici. Nous ne sommes pas loin du camp militaire. Ce jour-là c’était la panique totale. Les coups de fusils et de machettes nous ont réveillés. L’après attaque était encore plus difficile. Le moindre bruit autour de nous, nous affolait. Dieu merci il y a plus de peur que de mal », nous glisse-t-elle avant de confier que l’ONUCI veille sur la population depuis lors.
A N’Dotré, rappelons-le, les hommes que nous avons rencontrés sont plus réservés que les femmes sur le sujet de l’insécurité. Sur ce périlleux sentier une styliste nous reçoit chez elle à domicile. Elle marque catégoriquement son refus d’être filmée ni enregistrée. Nous l’écoutons et procédons à des prises de notes. « Ce fut une nuit inoubliable. Ce jour-là, on pensait d’abord que c’était des entrainements au camp puisqu’elles (les forces armées nationales, ndlr) ont l’habitude de s’entrainer en tirant des coups de feu. Mais ce cas était vers 00 heure et intense. Ceci étant, j’ai contacté un militaire dans le camp qui m’a rassuré qu’ils étaient attaqués. Nous craignions pour notre sécurité et avions décidé de nous en aller loin du camp. Heureusement la situation est sous contrôle. A partir d’une certaine heure, les gens circulent rarement ici. »
Que s’est-il réellement passé dans la nuit du 20 au 21 avril 2021 ?
«Dans la nuit du 20 au 21 avril, aux environs de 01h00 (locale et GMT), des individus non identifiés ont ouvert le feu sur les postes de garde de la base militaire de N’dotré, dans la commune d’Abobo, avec l’intention certaine d’y pénétrer de force. La réaction immédiate des sentinelles de faction a donné lieu à des échanges de tirs nourris, obligeant les assaillants à prendre la fuite», déclarait dans un communiqué le Chef d’état-major général des armées, le général Lassina Doumbia, le mercredi 21 avril.
En mai dernier, au cours d’une conférence de presse, Adou Richard Christophe, le procureur de la République a annoncé l’interpellation de 26 personnes. Il s’agit de 15 Ivoiriens, 08 camerounais et 03 libériens. « Il convient de préciser que douze de ces 26 personnes ont été interpellées à Békipréa dans la sous-préfecture de Daloa alors qu’elles se repliaient sur la ville de Toulepleu après l’échec de leur opération », a indiqué le procureur.
Le bilan de cette attaque fait état de 04 assaillants tués, 01 blessé parmi les forces armées de Côte d’Ivoire et du matériel militaire saisi.
Les populations de N’Dotré osent croire que les affres de la nuit du 20 au 21 appartiennent désormais au passé. Cela est très important pour vaincre la psychose et aller de l’avant, mais les attaques répétitives à la frontière ivoiro-burkinabè font planer l’inquiétude. Nous quittions N’Dotré à 19 heures dans une atmosphère morose.
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Regtoumda Abdou Racisse (Correspondant)
Minute.bf