Le coronavirus apparu au Burkina Faso le 9 mars dernier, a fait 52 morts, à la date du 20 mai 2020. Plus de 800 personnes ont contracté la maladie et on enregistre, selon le dernier bilan, 672 personnes guéries de la maladie. Dans une interview accordée à votre organe Minute.bf, le Docteur Vincent Nikiema, médecin et Directeur général de la clinique « Les opportunités » revient sur la prise en charge des cas du Covid-19 et surtout sur le rôle que joue les cliniques qui sont souvent les premiers contacts des malades, dans la lutte contre cette maladie.
Minute.bf: L’actualité sanitaire actuelle est dominée par le covid-19. Qu’en est-il de la prise en charge des autres cas de maladie dans votre clinique?
Dr. Vincent Nikiema: Il est vrai que la maladie à coronavirus est venue perturber un peu le système de santé mais quoiqu’il en soit, la prise en charge des autres maladies se poursuit normalement avec bien-sûr quelques précautions à prendre. Vous savez que la maladie à coronavirus, ce n’est pas qu’elle est une maladie qui a des signes exceptionnels mais le problème avec cette maladie, c’est la rapidité dans la contagion. Ce qui fait que nous prenons des précautions pour éviter la contamination du personnel ainsi que des autres patients qui viennent. C’est le lavage systématique des mains dès que les gens arrivent, les solutions hydro-alcooliques déposées à l’entrée, et nous exigeons, que ce soient aux malades ou aux accompagnants, le port du masque.
Dès l’entrée, il y a un tri qui est fait qui permet d’orienter des patients qui présentent déjà des signes du covid-19 avec une possibilité de contact avec quelqu’un qui a déjà été testé positif. Pour ces cas suspects, nous prenons des précautions comme nous le faisons avec tous les malades parce qu’actuellement, tous les cas peuvent être suspects, quand l’on sait que la maladie a plusieurs facettes, puisqu’il y a des signes atypiques qui peuvent égarer, ce qui fait que l’on prend les mêmes précautions pour tous les malades.
Mais, quand le patient présente d’emblée des signes suspects, on essaie de prendre des dispositions pour voir ce malade à part. Ces cas ne sont pas très compliqués parce qu’avec la psychose aussi, dès que les gens présentent les signes, on essaie de les rassurer de rester à la maison et appeler l’équipe d’intervention rapide pour le prélèvement. C’est ce que nous conseillons.
Pour ce qui est des cas graves, qui doivent être pris en charge en hospitalisation, on les oriente vers le Centre hospitalier universitaire (CHU) de Tengandogo.
Il arrive aussi qu’on prenne des personnes qui présentent des signes qui ne sont pas spécifiques et quand c’est un peu suspect, on peut être amené à appeler l’équipe d’intervention rapide pour venir faire le test sur place. C’est le genre de cas qu’on pourrait prendre pour des cas d’exception courante qui, avec le temps, on se rend compte qu’il y a d’autres signes qui se présentent et ça devient suspect. Si en cours d’hospitalisation on voit que le malade devient suspect, il y a d’autres signes qui se présentent et qu’au vu des examens, ça n’oriente pas vers les maladies auxquelles on pensait, s’il y a un doute, on appelle le numéro vert pour que l’on vienne faire le test. Quand le test s’avère positif, nous évacuons le patient au CHU de Tengandogo pour sa prise en charge.
On prend, tout de même, le soin d’isoler ces cas-là d’autant plus qu’on n’a pas de chambres où il y a plusieurs malades. Il n’y a que des chambres individuelles ici. Donc, au cas où c’est confirmé, on évacue la personne et on désinfecte la salle. Il n’y a pas de risque que la personne puisse contaminer d’autres malades.
Au cas où le test est négatif aussi, nous continuons la prise en charge normale. Voici un peu comment nous travaillons face à cette nouvelle donne.
Minute.bf: Vous avez tantôt dit qu’au cas où un malade est testé positif du covid-19, vous le transférez au CHU de Tengandogo. Est-ce parce que votre clinique n’est pas capable de prendre en charge un cas de covid-19 ou une manière de se soumettre aux directives des autorités?
Dr. Vincent Nikiema: La prise en charge des cas de covid-19 n’est pas une prise en charge particulière. C’est la même que pour les autres maladies, seulement que le covid-19 est très contagieux. C’est pour cette raison que les autorités ont pris des précautions et donné des directives parce que, tous les centres ne sont pas bien équipés en termes de matériels de protection alors que pour ce genre de maladie, ça nécessite des équipements que nous n’avons pas souvent. C’est pour cette raison que par prudence, on préfère que les cas soient dans un lieu avec des équipements adaptés pour leur prise en charge afin d’éviter la contamination non seulement du personnel, mais aussi des autres malades.
Sinon, normalement, on peut les prendre en charge à moins que la personne nécessite une assistance respiratoires ou une admission en réanimation.
Souvent aussi, on le fait par prudence parce que pour cette maladie, l’évolution est tellement aléatoire qu’on ne peut pas prévoir ce qu’il va se passer d’un moment à l’autre, surtout pour des malades qui ont des pathologies chroniques connues comme les diabétiques, les hypertendus, ceux qui ont des problèmes d’insuffisance rénale, etc. Il faut faire attention à ces cas-là parce qu’à tout moment, cela peut décompenser la pathologie initiale (la pathologie chronique que le patient a déjà) et entraîner des complications.
Vous allez d’ailleurs remarquer que, même les dons qu’on fait, sont tous orientés au CHU de Tengandogo parce que c’est le centre officiellement retenu pour la prise en charge de la pandémie. Mais les autres structures reçoivent rarement des dons parce que les gens estiment qu’ils ne sont pas habilités à prendre en charge les malades du Covid-19. Pourtant, nous, au niveau du privé surtout, nous en avons besoin. Certains se disent comme c’est le privé, ils ont les moyens, ils peuvent s’en acheter. Parfois nous avons les moyens pour le faire mais les matériels ne sont même pas disponibles sur le marché.
Minute.bf: Concrètement, est-ce que vous avez déjà eu à prendre en charge un cas du covid-19?
Dr. Vincent Nikiema: Nous en tant que privé, souvent nous pouvons être amenés à prendre en charge des cas. Il nous arrive de le faire sans le savoir. Il y a des cas suspects qui, tant que vous n’avez pas fait le test, vous ne pouvez pas dire à 100% que c’est la maladie puisque les signes se confondent aux signes d’autres affections respiratoires et même à des signes digestifs et autres. Vous pouvez les prendre en charge pendant des jours avant que le test ne confirme que c’est la maladie. Donc, il faut que nous puissions être équipés au même titre que le CHU de Tengandogo pour pouvoir le faire normalement. Même pour les cas de détresse respiratoire, si ça nécessite juste de l’oxygène, notre clinique est équipée en oxygène pour faire face à cela.
Mais ce sont des directives qui ont été données depuis le début qui font que dès qu’il y a des cas, on les renvoie au CHU de Tengandogo qui a été réquisitionné pour l’occasion.
Minute.bf: Étant donné que seul le CHU de Tengandogo est le centre habilité à traiter le covid-19 alors que plusieurs patients et/ou leurs accompagnants se sont plaints des conditions de prise en charge, là-bas, quelle forme de collaboration avec les cliniques pouvait-on avoir pour faciliter les choses, selon vous?
Dr. Vincent Nikiema: Il faut se dire que les choses évoluent. Ce n’est pas que c’est vraiment interdit de prendre en charge des cas. Mais comme je l’ai dit, actuellement, rares sont les structures privées qui n’ont pas encore pris en charge des cas de covid-19. Souvent, quand vous avez des cas suspects, pour faire le test, ça peut prendre 24 à 48h mais pendant ce temps, vous gérez le patient. Quand on fait le test aussi, ça peut prendre 48 à 72h pour que vous ayez les résultats. Donc vous pouvez être amenés à traiter un malade pendant une semaine avant même que les choses ne soient confirmées. C’est pour dire qu’on prend en charge mais une fois que le résultat du patient est positif, comme ce sont les directives, nous transférons le patient à Tengandogo.
Souvent il y a des situations où on nous dit qu’il n’y a pas de place à Tengandogo pour prendre le patient. Dans ce cas de figure, nous sommes obligés de gérer le patient jusqu’à ce qu’une place soit trouvée. Il arrive même que nous prenons le patient en charge jusqu’à ce qu’il soit cliniquement bien et qu’il ne nécessite même pas une hospitalisation. Les choses évoluent de telle sorte que pour ces cas qui ne nécessitent pas vraiment une hospitalisation, on puisse les suivre chez-eux en confinement à la maison.
Actuellement, la tendance est à la décentralisation de la prise en charge parce que, eux-mêmes ils ont remarqué que le seul centre n’arrive pas à gérer tous les cas et il y a des cas qui, comme je l’ai dit plus haut, faute de place, restent dans nos structures. Au regard de tout cela, il y a des décisions qui sont en train d’être prises pour décentraliser la prise en charge. Mais, de fait, vous allez remarquer que dans presque toutes les structures privées, l’on prend en charge des cas du covid-19 même si ce n’est pas officiellement dit, jusqu’à ce qu’on fasse le prélèvement. Parfois, même après le prélèvement et que le test est positif, il y a le problème de place et si vous avez les moyens de continuer la prise en charge, vous le faites.
Minute.bf: Quand on vous dit qu’il n’y a pas de place a Tengandogo, êtes vous accompagnés pour la prise en charge du malade ?
Dr. Vincent Nikiema: Dans ce cas, il n’y a pas d’accompagnement dans la prise en charge. C’est comme la prise en charge d’une pathologie normale, c’est à la charge du patient. C’est vrai qu’on dit que la prise en charge est gratuite mais c’est quand c’est à Tengandogo. Même là-bas, il y a certains médicaments qui ne sont pas disponibles et vous êtes obligés de sortir payer. Quand le patient est dans une structure privée et que son test s’avère positif, il n’y a pas d’accompagnement. Nous les facturons comme toute autre maladie et c’est à la charge du patient.
Minute.bf: Parlant toujours d’accompagnement, Tengandogo étant le centre indiqué, est-ce que techniquement vous êtes assistés quand, faute de place, vous devez prendre en charge un cas du covid-19?
Dr. Vincent Nikiema: Les directives sont connues et ce n’est pas comme si à Tengandogo il y a une prise en charge particulière pour la maladie. Comme je l’ai dit, c’est à cause de la contagiosité de la maladie qu’on a peut-être réquisitionné un centre pour son traitement sinon, ce n’est pas comme s’il y a une expertise exceptionnelle.
Le traitement et la prise en charge de la maladie à coronavirus est symptomatique, c’est-à-dire qu’on traite les symptômes puisque, jusque-là, il n’y a pas de médicament. Quand la personne a mal à la tête, on sait ce qu’il faut faire, quand c’est la fièvre, quand elle présente une détresse respiratoire, on sait ce qu’il faut faire aussi. C’est avant tout une prise en charge symptomatique et il y a des directives, des algorithmes qui sont édictés par le ministère de la santé et ventillés dans toutes les structures de prise en charge.
Aussi, la tendance est que cela puisse se faire jusqu’au niveau des districts, des CSPS de sorte à ce qu’un cas qui est détecté à Gorom-gorom ne soit pas amené à Tengandogo. Sinon, il n’y a pas une particularité par rapport à la prise en charge.
Minute.bf: Nous sommes à la fin de notre entretien, avez-vous quelque chose à ajouter ?
Dr. Vincent Nikiema: J’invite les populations à toujours observer les mesures barrières édictées par le ministère de la santé (Ndr; le lavage systématique des mains, avec du savon ou des solutions hydro-alcooliques, le port du masque, la distanciation sociale…) parce que la prévention reste le seul traitement efficace contre cette maladie. Une fois qu’on rentre dans la prise en charge, ça devient compliqué parce que c’est vraiment aléatoire, il n’y a pas un traitement spécifique. Il faut agir en amont pour que les gens ne contractent pas la maladie.
A ceux qui ont des pathologies chroniques (diabète, tension, asthme, insuffisance respiratoire…), qui ont des médicaments à prendre, qu’ils continuent d’observer leur traitement pour être équilibrés. Parce que, une fois que ce virus vient trouver un terrain qui est déjà déséquilibré par rapport à ces pathologies-là, ces personnes deviennent vulnerables.
Aux personnes âgées (plus de 60 ans), il faut qu’elles évitent les mouvement parce qu’elles sont aussi vulnerables. Si elles sont obligées de sortir aussi, il faut qu’elles prennent des précautions en portant des masques. Il faut aussi éviter les visites car l’expérience a montré que les gens peuvent transmettre le virus en étant asymptotique, c’est-à-dire qu’en ne présentant aucun signe du covid-19.
Propos recueillis par Franck Michaël Kola
Minute.bf