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vendredi 29 mars 2024

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Arts et Culture : Quand les Burkinabè refusent de s’instruire au musée national


Fort d’environ « 12 000 objets » constitués d’outils aratoires, d’œuvres de vannerie, de forge, de tissage, etc. collectionnés depuis la période coloniale à nos jours, le Musée national devrait être une véritable attraction pour tous les Burkinabè. Musée ethnographique, il regorge d’objets des différents groupes sociaux du pays. Malheureusement, force est de constater que visiter un musée, fusse-t-il national et donc un creuset du patrimoine culturel national, ne fait pas partie des habitudes des Burkinabè, qui ne se bousculent pas pour s’y rendre. Pour mieux mesurer la fréquence des visites au musée national, nous nous sommes rendu sur les lieux pour faire le constat.

A l’Est de la ville de Ouagadougou, au bout de l’Avenue Charles de Gaule et en face de l’Hôpital pédiatrique, se trouve le Musée national. Cet Etablissement public à caractère scientifique, culturel et technique (EPSCT) est d’une richesse inestimable au double plan culturel et artistique. En effet, à l’instar du « canari de plus de 1 000 ans », des jarres funéraires, des masques, des statuettes et autres sculptures exprimant le savoir-faire de nos devanciers, renfermant l’histoire, la culture, l’âme des différents groupes sociaux du Burkina, y sont exposés. De quoi susciter normalement le désir de visiter le site par les Burkinabè d’autant plus que les prix de visites sont à 500 F CFA pour les nationaux, 200 F CFA pour les élèves et étudiants contre 2 000 F CFA pour les étrangers. Cependant, c’est une timide mobilisation que les responsables du Musée disent observer tous les jours ouvrables.

Directrice générale (DG) du Musée national, Rasmata Sawadogo/Maïga

« Les nationaux viennent rarement, même ceux qui ont leurs domiciles collés au musée ne savent pas ce qui se passe ici », déplore Oumar Ouattara, guide au musée national, qui raconte que des gens s’orientent, se localisent par rapport au Musée national sans savoir ce qu’il y a à l’intérieur. De ses explications, ils ne sont pas nombreux, les Burkinabè qui, piqués par le virus de la culture, se dépêchent pour visiter le musée, même si les weekends, quelques personnes font l’effort avec leur famille, d’y faire un tour. Alors, qu’est-ce qui peut expliquer ce « faible engouement » autour du patrimoine culturel, artistique, qu’est le Musée national ? « Cela peut s’expliquer par le fait que le Burkinabè pense qu’il connait sa culture, ce qui n’est pourtant pas évident parce qu’au musée, il y a la crème de la culture, le génie créateur des artistes qui ne sont plus de ce monde mais qui ont laissé leurs traces », répond la Directrice générale (DG) du Musée national, Rasmata Sawadogo/Maïga qui reconnait tout de même qu’il y a un « déficit de communication » sur les activités du musée.
A entendre le guide Oumar Ouattara, à cela s’ajoute le manque d’attractivité de l’institution dont le décor ne fait pas forcément miroiter les visiteurs au point de les inciter à venir régulièrement au musée. Aussi, M. Ouattara a-t-il pointé du doigt le manque d’intérêt que les autorités font montre vis-à-vis des musées de chez nous. « On les voit plus à l’extérieur visiter des musées mais on les voit rarement dans nos musées », a-t-il regretté avant de se convaincre que « si elles (les autorités) donnent le ton en venant visiter le musée, les populations vont suivre le pas ».

L’impact du Covid-19 sur la fréquentation du musée national

Cette faible fréquentation du musée national a été accentuée avec l’apparition de la maladie à coronavirus avec son lot de restrictions liées aux mesures barrières. Entre distanciation sociale, interdiction de contacts, interdiction de rassemblements et limitation, voire interdiction de déplacements, les étrangers se font rares. « La maladie a entrainé la fermeture des frontières, il n’y avait plus de vols, plus de déplacements de touristes. Pourtant, les visiteurs étrangers constituent un maillon fort de la chaine de fréquentation du musée. Ce maillon a été mis en recul à cause de la covid-19, ce qui a joué négativement sur nos recettes d’entrées étant donné que pour accéder au musée, les touristes étrangers payent 2 000 F CFA contre 500 F CFA pour les nationaux et 200 F CFA pour les élèves. L’écart du prix de visite d’un touriste équivaut au prix de visite de 4 nationaux, du coup, nos recettes ont connu une baisse significative », a impuissamment fait remarquer Mme Sawadogo.

Pire, comme un acharnement, la covid-19 a dicté sa loi en causant la déprogrammation de plusieurs autres activités du musée. A en croire la DG, dans son programme d’activités, le musée avait prévu des expositions dont un grand format sur « le savoir et le savoir-faire ancestral de la communauté Sénoufo », qui partage trois pays de la sous-région dont le Burkina, le Mali et la Côte d’Ivoire. Mais, à cause de dame covid-19 et ses caprices de mesures barrières, ces activités, qui allaient réunir des nationaux et des internationaux ont été repoussées à des dates ultérieures.

Elèves et étudiants donnent un peu de souffle au musée national

« L’exemple doit venir d’en haut », dit-on très souvent. Cette maxime est démentie au Musée national où, ce sont les plus jeunes qui s’illustrent en matière de l’appropriation du savoir et du savoir-faire culturels de nos ancêtres. « Avec l’avènement de la covid-19, nous avons constaté une légère baisse de la fréquentation. Au mois d’octobre, on a remarqué un regain de la fréquentation avec la rentrée des classes. La fréquentation est irrégulière en fonction des périodes de l’année », a souligné Rasmata Sawadogo/ Maïga avant de préciser que « les scolaires et les étudiants constituent le public cible du Musée national ».

Oumar Ouattara, guide au musée national

En effet, les élèves et les étudiants « viennent visiter, découvrir le génie créateur de nos devanciers pour s’inspirer dans leurs productions et approfondir leurs recherches », s’est satisfaite Mme Sawadogo. Cette démarche est donc un espoir pour l’avenir et la vie des musées au Burkina Faso, selon elle. Par ailleurs, cet espoir est encore plus réel quand en plus de constituer l’essentiel de la fréquentation du Musée national, les jeunes donnent l’exemple et mieux, lancent un appel au adultes. C’est le cas de Barack Abdoul Rachid Rouamba et Ahmed Alassane Tiendrébéogo, Délégué général (DG) des élèves du Lycée privé Madina international Garçon en visite au Musée national le 19 décembre 2020. « Ce qui nous a le plus poussés à visiter le Musée national, c’est la culture. Sachant que le Musée national regorge des objets culturels des différentes ethnies du Burkina Faso, nous avons jugé bon, entre membres du bureau de venir ici avec les plus jeunes surtout, pour que nous puissions nous imprégner de nos origines », a expliqué l’élève Tiendrébéogo qui s’est félicité de la satisfaction que les élèves ont fait montre au cours de la visite, « en participant activement à travers leurs questions et interventions ». Cela prouve de son avis, l’intérêt que ses camarades accordent à la culture, à leur culture. « Nous avons pu découvrir des masques et leurs fonctions, ce qui nous a donné une idée sur comment vivaient nos ancêtres et leurs manières de voir les choses », confie-t-il à la fin de la visite.

Pour Barack Abdoul Rachid Rouamba, « le musée est un endroit formidable où on peut découvrir la religion, les croyances de nos ancêtres et leur savoir-faire à travers les objets qu’ils ont laissés ». Alors, convaincus que « pour savoir où aller, il faut savoir d’où, l’on vient », les élèves du Lycée Madina international Garçon ont invité les ainés à fréquenter les musées dans le sens de l’appropriation de leurs cultures. « Les grandes personnes et les parents doivent fréquenter le musée pour donner l’exemple aux futures générations », pense l’élève en classe de 5e, qui n’a pas manqué d’inviter également ses camarades qui n’ont pas encore cette culture des visites muséales à le faire.

Stratégie du Musée national pour conquérir les visiteurs

Fort du constat de la faible fréquentation du Musée national, les responsables de l’institution disent avoir leurs petites idées pour attirer plus de monde. « N’eut été l’avènement de la covid-19 et le contexte sécuritaire qui est délétère, nous étions dans une dynamique de rendre le musée plus vivant », confie la DG du musée, qui explique être toujours dans la même logique dans l’espoir de pouvoir intéresser le maximum de public.

Pour ce faire, Mme Sawadogo a indiqué qu’un plan de communication et de marketing a été mis en place à travers un atelier avec les professionnels des médias afin d’avoir leur accompagnement dans la promotion des activités du musée. Aussi, même si les élèves et étudiants constituent l’essentiel des visiteurs, « des sorties de sensibilisation dans les établissements primaires, secondaires et supérieurs pour susciter l’intérêt de visiter le Musée national dès le bas âge » sont prévues par l’institution.

Par ailleurs, si la DG du Musée national s’est réjouie de ce qu’une collaboration pour l’intégration des visites muséales dans les programmes scolaires est en cours de finalisation avec le Ministère de l’Education nationale, de l’Alphabétisation et de la Promotion des Langues nationales (MENAPLN), elle pense également que les Burkinabè doivent « intégrer la visite du Musée national dans leur programme, ne serait-ce qu’une fois par mois ». Cela, surtout que de son avis, les frais de visites fixés à 500 F CFA pour les nationaux sont « vraiment raisonnables » et « à la portée du citoyen moyen » pour gagner en « souvenirs et pour faire un regard rétrospectif dans le passé afin de mieux préparer le présent et le futur ».

Enfin, le guide Oumar Ouattara pense pour sa part que l’implication des autorités pourrait susciter de l’engouement auprès des populations. « J’invite tous les Burkinabè à faire un tour au Musée national, car c’est un patrimoine qui nous appartient tous et que nous devons valoriser », a-t-il déclaré avant de s’adresser aux autorités en prenant l’exemple de la promotion du danfani : « si vous donnez le ton en venant visiter le musée, les populations vont suivre le pas ».

Franck Mickaël Kola
Minute.bf

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