Convaincu qu’un pays ne peut se développer en situation d’insécurité alimentaire, le Burkina Faso, sous l’impulsion de ses autorités actuelles, a fait du secteur agro-pastoral une priorité. Depuis deux ans maintenant, le gouvernement mène une ambitieuse offensive agro-pastorale et halieutique, avec pour objectif d’atteindre la souveraineté alimentaire à l’horizon 2025. Dans cette dynamique, le pays s’appuie sur ses fils et filles, qui, dans la résilience et la détermination, ont compris l’importance de cette bataille. Parmi eux, Ibrahim Konaté, un éleveur inspirant. Ancien comptable dans une banque de la place, il a troqué les comptes et les relevés bancaires contre les abreuvoirs, les seaux à traire et les outils d’élevage. Loin des vestes, des cravates et du confort feutré des banques, c’est dans sa ferme laitière qu’il a trouvé sa véritable vocation, une vocation qui, aujourd’hui, porte ses fruits. Portrait d’un homme engagé pour un Burkina Faso autosuffisant en lait !
Deux grands enclos construits en bois solide. Au centre, une grange au toit de tôle rouillée où sont soigneusement empilés le matériel agricole et des réserves de fourrage. Autour, des abreuvoirs en métal reflètent les premières lueurs du jour, tandis que des seaux et des outils sont disposés près d’un hangar ouvert. Non loin, un petit bâtiment en terre battue sert d’espace de repos et de stockage. L’air est imprégné d’une odeur mêlée de foin, de fumier et de terre humide, typique des lieux d’élevage.
Les bêtes, imposantes et bien entretenues, se déplacent lentement, rompant parfois le silence de leurs meuglements graves. Nous sommes le jeudi 26 décembre 2024, il est 06h, et nous venons de faire notre entrée dans la ferme d’Ibrahim Konaté.
Nous retrouvons un homme déjà plongé dans ses œuvres. C’est l’heure de la traite. Nous nous faisons spectateurs et l’observons. D’une main experte, il remplit les auges de fourrage. Son regard bienveillant se pose sur chaque bête, des imposants taureaux aux jeunes veaux qui gambadent timidement dans l’enclos. Ici, chaque geste, du tintement des seaux au bruissement du foin, témoigne d’une grande passion et d’une routine intacte. Avec soin et maitrise, l’éleveur attire à lui une vache. Docile, la bête s’avance, puis, comme par automatisme, se cale en face de son maître qui lui offre des herbes.
Comme chaque matin, Koundja, l’aide d’Ibrahim à la ferme, prend le relais. Accroupie près de la vache, la jeune femme ajuste un tabouret en bois et place une calebasse sous la mamelle de l’animal. Dans l’air, flotte une douce odeur de lait tiède mêlée à celle de la paille fraîchement étalée. D’un geste assuré, Ibrahim tapote doucement le flanc de la vache, un rituel apaisant qu’il accompagne d’une voix basse comme pour la tranquilliser.
Koundja, concentrée, saisit les pis de l’animal avec délicatesse et, d’un mouvement continu, effectue des va-et-vient précis. Un mince filet de lait jaillit de la mamelle et atterrit au centre de la calebasse, rythmé par le geste de la jeune femme. La mécanique se répète, méthodique, sur chaque pis. La vache, imperturbable, mâche paresseusement la poignée de foin que son maître a glissée devant elle, indifférente à l’agitation autour. Petit à petit, la calebasse se remplit.
Quand ils ont terminé, Ibrahim tapote fièrement la bête et la relâche. Ainsi va le quotidien de l’éleveur, ici, à quelque 15 kilomètres de la Capitale burkinabè. Chaque jour, à l’aube, et ce depuis une dizaine d’années maintenant, il quitte son lit avec passion pour rejoindre cette ferme, devenue son principal bureau et l’épicentre de sa vie.
L’élevage, une passion depuis l’enfance…
La passion d’Ibrahim Konaté pour l’élevage remonte à son plus jeune âge. On pourrait même dire qu’il a l’élevage dans le sang. En effet, alors qu’il était encore en classe de CM2, il avait pris l’habitude de suivre les bergers qui passaient derrière la concession de son père. Pour éviter qu’il ne s’égare un jour en les suivant, son père lui offre un bélier à élever. C’est à partir de cet animal que l’enfant développe sa passion. À partir de ce petit bélier, Ibrahim réussit à se constituer un jeune troupeau de moutons.
Au fil du temps, sa passion grandit. Du lycée à l’université, l’homme continue de cultiver son amour pour les animaux. « Depuis la classe de CM2, je ne me suis jamais passé des animaux. Depuis que mon papa m’a offert le bélier, j’ai toujours eu des animaux à élever. Même au lycée et à l’université, j’avais toujours un petit endroit où je m’occupais de mes animaux. C’est vraiment durant cette période que ma passion pour l’élevage s’est pleinement développée », confie-t-il.
Une vue de la ferme d’Ibrahim Konaté dans cette vidéo ⤵️
Après l’université, où il étudie la comptabilité, Ibrahim Konaté intègre une entreprise en tant que comptable. Les affaires prospèrent pour lui : il bénéficie d’un bon salaire et voit son avenir professionnel s’ouvrir. Pourtant, il ressent un vide, un manque. Même bien rémunéré, il demeure insatisfait.
Pour compenser ce manque, il achète une ferme à quelques kilomètres de Ouagadougou et décide de vivre sa passion en parallèle de son travail. Il engage un ouvrier, lui propose un salaire et lui confie l’entretien des animaux et des activités de la ferme. Ibrahim parvient au même moment à organiser son emploi du temps pour consacrer une partie de ses journées à ses bêtes.
« Certains m’ont pris pour un fou… »
Les années passent, mais sa passion ne faiblit pas. Un matin, alors qu’il se rend tôt à la ferme, il assiste à une scène désolante : l’ouvrier qu’il avait engagé est absent, et la plupart des animaux sont morts, assoiffés. Ceux qui sont encore en vie sont agonisants. « Ce jour-là, j’ai versé des larmes. J’ai perdu presque la totalité de mes animaux. Ceux qui étaient encore en vie ne pouvaient même pas se tenir debout. En me renseignant auprès des voisins, j’ai appris que l’ouvrier avait quitté les lieux depuis trois jours et n’était pas revenu. J’étais désemparé », raconte-t-il les dents serrées.
Cette tragédie, pour Ibrahim Konaté, a été le déclic. Sur le chemin du retour à Ouagadougou, il avait déjà pris sa décision. Le lendemain, il informe sa hiérarchie de ce qu’il quitte son poste. Et sans crier gare, il quitte son métier de comptable pour devenir éleveur à plein temps, au grand étonnement de ses collègues et de ses proches. « Certains m’ont pris pour un fou (rires). J’étais incompris, mais j’étais convaincu de mon choix. On me demandait : pourquoi faire des études jusqu’au master pour finalement devenir éleveur ? D’autres me demandaient : pourquoi quitter un si bon métier pour aller en brousse ? Et je leur répondais que c’est ce que j’aime », explique-t-il.
Sans se laisser décourager, M. Konaté se lance dans son nouveau projet. Pour formaliser ses activités, il crée une entreprise qu’il dénomme Ouranos, et décide de se spécialiser dans la production laitière. Une grande partie de sa bergerie est ainsi consacrée aux vaches laitières. Son objectif, devenir un grand producteur de lait local au Burkina Faso. Contre vents et marées, il reconstruit sa ferme, achète de nouveaux animaux, principalement des vaches, et démarre ses activités.
En deux ans, il réussit au prix du travail acharné, à se hisser pour devenir l’un des principaux fournisseurs de lait local au Burkina Faso. La qualité de son lait et ses compétences managériales fidélisent sa clientèle, offrant à son entreprise une solide réputation au niveau du marché national. Ses vaches, de race normande pour la plupart, produisent chaque jour plusieurs litres de lait qui approvisionnent quotidiennement les laiteries de la capitale burkinabè.
Faire du Burkina Faso un pays autosuffisant en lait !
À long terme, Ibrahim Konaté s’est donné pour ambition de réduire au maximum l’importation de lait en poudre au Burkina Faso. Pour lui, il est inconcevable qu’un pays comme le Burkina Faso, qui a un peuple à vocation d’éleveurs et d’agriculteurs, continue d’importer massivement du lait. Il a donc fait de la souveraineté du pays en lait son principal combat. « Ce qui m’a motivé à me lancer dans la production laitière, c’est le manque de lait local dans notre pays. La quasi-totalité du lait sur nos marchés est importée. C’est vraiment écœurant de voir que nous importons le lait en poudre ici au pays, alors que nous pouvons nous-mêmes en produire », se révolte-t-il.
Dans cette vidéo, Ibrahim Konaté explique sa principale motivation ⤵️
Aux dires de l’éleveur, sa première satisfaction réside dans la satisfaction de ses clients. Celui qui s’est fixé pour objectif d’autonomiser le Burkina Faso dans le domaine laitier dit vivre sa passion avec beaucoup de fierté : fierté de contribuer à nourrir une population, fierté de servir utilement son pays. Et s’il a réussi aujourd’hui à s’imposer dans le secteur pastoral, c’est parce qu’il a préparé ses armes avant de se lancer. Après la banque qu’il a quittée, Konaté n’est pas tombé directement dans sa ferme, il est passé d’abord par la formation.
Durant plusieurs mois, l’homme est allé à l’école de la production laitière de l’interprofession lait et de plusieurs autres acteurs à succès dans le domaine. « Qui veut aller en guerre prépare ses armes. Si tu veux t’engager dans le domaine de la vache laitière, il faut t’entourer de personnes qui s’y connaissent. Je me suis fait des amis dans le domaine et j’ai beaucoup appris d’eux, aussi bien ici au Faso, qu’en Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Mali et même en Europe. Je me suis formé auprès d’eux. Je cherche toujours. Et grâce au ministère, je prends aussi des conseils pour me forger davantage », dévoile-t-il.
« Si le choix était à refaire, je n’hésiterais pas! »
Pour maximiser sa production, l’ex-comptable a développé dans sa ferme une véritable industrie pastorale. En plus de l’élevage, il fait dans l’agriculture, notamment la culture fourragère pour nourrir le bétail. Pendant la saison des pluies, il cultive du sorgho qu’il transforme ensuite en ensilage. Il a également conçu et installé un biodigesteur pour produire du gaz naturel et cultive du citron.
Toutes ces innovations ont fait de sa ferme une véritable école d’élevage, si bien qu’elle sert aussi de cadre pratique pour certains étudiants en stage. « Plusieurs étudiants sont passés par ici pour des stages de perfectionnement. Et c’est toujours un plaisir de les accompagner et de partager avec eux le peu que je sais », se réjouit M. Konaté, qui exhorte les jeunes à se lancer dans le secteur de la production laitière.
À en croire ses confidences, l’élevage, surtout en son volet vache laitière, nourrit son homme. Le secteur, estime-t-il, est encore inexploité. Mais il ne faut pas aller vite en besogne, l’élevage demande de la patience et de la rigueur.
Voir les explications de l’ex-comptable dans cette vidéo ⤵️
De la comptabilité à l’élevage, le choix est vite fait selon Ibrahim Konaté, qui dit ne pas regretter aujourd’hui sa décision. Il pense même avoir un peu trop traîné dans sa transition vers l’élevage. « Si le choix était à refaire, je n’hésiterais pas. En tout cas, je ne regrette pas mon choix », nous confie-t-il.
Dans cette marche vers sa vocation, le chemin n’a pas été un long fleuve tranquille pour M. Konaté. Bien des défis jalonnent sa traversée, mais sa passion demeure toujours aussi intacte. Il y a quelques années, par exemple, l’homme dit avoir perdu trois vaches laitières en une même période. « Un matin, je suis venu trouver qu’elles ont été décimées par une maladie qu’on appelle la fièvre aphteuse. Ce sont les risques du métier et il faut les surmonter », confie-t-il.
Assis sur un tabouret face à une colline de bouviers, l’éleveur ne tarit pas d’éloges pour la politique agro-pastorale actuelle. Tout en saluant les autorités pour l’offensive qu’elles mènent en faveur du secteur agricole, il invite à une accentuation des efforts dans le secteur pastoral.
« Des efforts sont en train d’être faits dans le secteur agricole et nous saluons cela. Mais il faut aussi voir du côté de l’élevage. Je ne les sens pas assez dans l’élevage alors que c’est un secteur très important pour le développement de notre pays. On ne peut être compétitifs que dans l’élevage. L’agriculture est fonction de la pluviométrie et des saisons. Et si vous remarquez bien, les pays frontaliers ont une très bonne pluviométrie. Pourtant, l’élevage se fait en tout temps. J’ai vu dans certains pays où c’est le président lui-même qui introduit 1 000 têtes de bœufs dans l’élevage pour son pays. Et au bout d’une année, on ne parle plus de problème de lait dans le pays », évoque-t-il, invitant les autorités à s’en inspirer.
Une bonne réputation dans le secteur!
Au prix de ses efforts et de sa détermination, l’ancien banquier a réussi aujourd’hui à se faire une bonne réputation. Dans le cercle des éleveurs, ses pairs ne tarissent pas d’éloges à son égard, à l’image de Sékou Ouédraogo, éleveur et membre influent de l’interprofession lait. C’est auprès de lui qu’Ibrahim Konaté a acquis sa première vache. Sa ferme à lui, est située dans le quartier Boansa, en périphérie de la ville de Ouagadougou.
C’est là que nous nous rendons très tôt en cette matinée du 30 décembre 2024. Après une trentaine de minutes à affronter le froid glacial de décembre, nous débouchons sur un mur de briques. C’est la ferme de Sékou. Incrustée en plein milieu d’habitations, elle est le témoignage d’une activité harmonisée avec un environnement urbain. Un exemple réussi d’intégration de l’élevage dans un cadre résidentiel, sans empiéter sur la tranquillité des riverains.
Parlant d’Ibrahim Konaté, Sékou Ouédraogo ne cache pas son admiration. « Je l’admire pour sa combativité. Passer des bureaux climatisés à l’élevage, c’est rare. J’ai suivi ses débuts, ce n’était pas facile. Mais aujourd’hui, il a réussi, et je ne peux que saluer sa ténacité », témoigne-t-il.
Selon lui, des modèles comme Ibrahim Konaté prouvent que le Burkina Faso a un potentiel pour s’imposer sur la scène sous-régionale en matière de production laitière. Cependant, il insiste sur la nécessité d’une politique ambitieuse pour la filière. « Savez-vous que le Sénégal, qui excelle aujourd’hui dans la production laitière, est venu s’inspirer du Burkina Faso ? Tout dépend de la volonté politique. Nos autorités actuelles semblent déterminées, et nous les exhortons à soutenir réellement les éleveurs. Il faut éviter de se limiter aux prétendus leaders qui profitent des plateformes sans connaître les réalités du terrain », plaide-t-il. Il lance également un appel à la jeunesse à prendre exemple sur Ibrahim Konaté et à explorer le secteur de l’élevage, qu’il considère comme porteur.
A 15 kilomètres de Ouagadougou, l’ex-comptable Ibrahim Konaté poursuit donc avec détermination son aventure dans l’élevage. Mais aujourd’hui, un fait l’inquiète : l’urbanisation galopante de la ville de Ouagadougou. Sa ferme, située à une quinzaine de kilomètres de la capitale, borde la voie de contournement. La réalisation de cette infrastructure a entraîné un regain d’intérêt des promoteurs immobiliers pour les terres du petit village de Tamsin, où se trouve sa ferme.
« C’est une préoccupation qui nous tient vraiment à cœur. L’urbanisation nous menace. Des promoteurs immobiliers se sont associés à l’urbanisme et nous demandent de morceler nos terres pour en faire des parcelles. Ce que nous ne voulons vraiment pas », a-t-il confié, exhortant les autorités à se pencher sur cette question. Il plaide pour des solutions permettant aux fermiers et aux maraîcherculteurs, nombreux dans la zone, de vivre leur passion et de contribuer à la marche vers un Burkina Faso autosuffisant dans tous les secteurs.
Oumarou KONATE
Minute.bf
.
Bravo Konaté pour ce portrait réussi, félicitations à l’éleveur. Lorsqu’on fait ce qu’on aime,oncle fait bien