dimanche 8 septembre 2024
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Délit d’apparence au Burkina : « La moisson est assez maigre » ( Juge Adama Nabaloum)

Le Réseau National de lutte anti-corruption (REN-LAC) en collaboration avec l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat et de lutte contre la corruption (ASCE-LC), et le festival Ciné Droit libre, a organisé ce vendredi 15 décembre 2023, une tribune d’interpellation des trois pouvoirs sur le délit d’apparence. L’activité s’est tenue sous la forme d’un panel autour du thème « Application de la loi portant prévention et répression de la corruption au Burkina Faso : cas du délit d’apparence ».

Après l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014, le Burkina Faso a adopté la loi n°004-2015/CNT portant prévention et répression de la corruption au Burkina Faso le 3 mars 2015. Cette loi a consacré des infractions assimilées à la corruption telles que le trafic d’influence, le favoritisme, la prise illégale d’intérêt, le délit d’initié, le défaut ou de la fausse déclaration d’intérêt ou de patrimoine et du délit d’apparence. Pour ce qui est du délit d’apparence, il est caractérisé à l’égard de « quiconque ne peut raisonnablement justifier l’augmentation de son train de vie au-delà d’un seuil fixé par voie règlementaire, au regard de ses revenus licites ».

Suite à cette disposition légale, la Justice burkinabè a mis la main sur certains dossiers dont les plus emblématiques sont celui de l’ex-ministre de la Défense, Jean Claude Bouda, poursuivi pour fausse déclaration d’intérêt et de patrimoine, délit d’apparence et blanchiment de capitaux dans une affaire de construction d’une villa à Manga, son village natal, d’une valeur estimée à 350 millions FCFA. Il y a aussi celui de William Alassane Kaboré, ancien Directeur général adjoint des Douanes, à qui la Justice demande de justifier l’achat et la mise en valeur de 15 parcelles dans la ville de Ouagadougou dont le montant cumulé serait de 1,300 milliard FCFA.

Juge Adama Nabaloum, représentant du Conseil Supérieur de la Magistrature

Des difficultés entravent l’application de la loi…

Mais en dehors de ces deux affaires, le nombre de dossiers épinglés en matière de délit de presse n’est pas assez étoffé. Si l’adoption de cette loi avait suscité beaucoup d’espoir quant à la lutte contre la corruption, son application demeure problématique. Selon le juge Adama Nabaloum, représentant le Conseil supérieur de la Magistrature à ce panel, la moisson est assez maigre par rapport à l’espoir qu’avait suscité l’adoption de la loi sur le délit d’apparence. « La moisson est assez maigre au regard de l’espoir que l’incrimination avait suscité. On avait estimé qu’avec ces textes, les choses allaient s’améliorer nettement. Mais ce n’est pas le cas. Aujourd’hui si vous prenez le pool ECOFI (en matière économique et financière) de Ouaga, c’est une dizaine de dossiers de délit d’apparence qui ont été traités. Certains ont été menés à leur terme. D’autres sont encore toujours en cours. C’est un bilan mi-figue mi-raisin », a-t-il déclaré.

A l’en croire, plusieurs difficultés sont à l’origine de ce faible bilan. Il y a, selon ses explications, en premier lieu, le système d’information patrimonial qui ne favorise pas la traçabilité des informations patrimoniales au Burkina Faso. « Vous avez des immeubles, des restaurants. Vous avez même d’autres types de biens. Mais à qui ces biens appartiennent, on ne le sait pas. Supposons qu’on vous poursuit pour délit d’apparence, on envoie une réquisition au service des domaines, du cadastre, pour demander d’identifier les propriétés foncières au Burkina, vous avez la forte chance que le dossier revienne vide. Parce que le système est quasiment artisanal (…) On n’a pas un système aujourdhui qui nous permet de savoir que cette propriété, même si elle a été formalisée sous telle nom, voilà son propriétaire légal. La difficulté aujourd’hui, c’est comment tracer les biens des personnes. », a déploré le juge Nabaloum.

A cette difficulté s’ajoute selon lui, l’insuffisance des moyens au niveau de l’institution judiciaire pour mener à bien ses missions ainsi que des difficultés de collaboration entre les différents acteurs de la répression.« Généralement, la justice intervient après les enquêtes. Encore faut-il que toutes les structures de répression des infractions collaborent. Il y a des structures qui préfèrent traiter à leur niveau certaines infractions qui auraient pu être transmises à la justice, surtout lorsqu’il y a par moment possibilité de transaction », a-t-il indiqué.

L’arbre ne doit pas cacher la forêt cependant…

A coté de de ces contraintes, il a cité également l’engorgement des pools judiciaire spécialisés en matière économique et financière (ECOFI), la mobilité des animateurs des pools ECOFI et la non mise en oeuvre de certaines techniques spéciales d’enquête prévu par la loi.

Pour sa part, le contrôleur général par intérim de l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat et de lutte contre la corruption (ASCE-LC), Urbain Millogo, a soutenu que l’arbre ne doit pas cacher la forêt. De ses dires, en dépit des difficultés qui entravent l’application de la loi sur le délit d’apparence, elle demeure un bel instrument de lutte contre la corruption au Burkina Faso.

Urbain Millogo, contrôleur général par intérim de l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat et de lutte contre la corruption (ASCE-LC

«Actuellement nous travaillons sur la base de cette loi. Il y a beaucoup d’autres aspects en plus du délit d’apparence. C’est vrai qu’on n’a pas encore eu beaucoup de jugements en lien avec le délit d’apparence mais on travaille sur l’ensemble de la loi», a-t-il dit.

Si le Réseau National de lutte anti-corruption a décidé d’organiser cette tribune d’interpellation, selon Sagado Nacanabo, Secrétaire général de cette structure, c’est justement au regard de l’insuffisance des résultats en la matière, près de huit ans après l’adoption de la loi sur le délit d’apparence.

« Quand on annonçait la loi sur le délit d’apparence en 2015, beaucoup de gens se disait qu’enfin on allait savoir comment les gens font pour s’enrichir alors qu’on n’a pas les preuves. Mais de 2016 à maintenant, on a bien dépassé les 5 premières années, mais finalement il n’y a pas grand chose. Qu’est ce qui se passe ?

Sagadou Nacanabo, secrétaire général du Réseau National de lutte anti-corruption

Nous on veut voir comment on peut booster le délit d’apparence pour pouvoir savoir en fin de compte quelles sont les fortunes tapies dans l’ombre et les fortunes indues qu’on devrait récupérer pour participer au développement du Burkina Faso », a déclaré M. Nacanabo. Cette tribune vise donc dit-il, à interpeller l’exécutif, le législatif et le judiciaire sur l’application de la loi n°004-2015/CNT portant prévention et répression de la corruption au Burkina Faso adopté le 3 mars 2015.

Oumarou KONATE

Minute.bf

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