dimanche 8 septembre 2024
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Déplacées et enceintes : le difficile quotidien des femmes sur les sites de Kaya

Le Burkina Faso traverse depuis près de huit ans une situation humanitaire difficile liée à la crise sécuritaire qui sévit dans le pays. Cette situation a entraîné un déplacement massif des populations parmi lesquelles des femmes et des enfants. Dans la ville de Kaya, province du Sanmatenga, région du Centre nord, plusieurs femmes ont fui leurs localités pour trouver refuge sur les sites aménagés pour Personnes déplacées internes (PDI).  Parmi elles, certaines portant une grossesse, rencontrent d’énormes difficultés pour s’entretenir convenablement. Pour survivre, elles ont rangé leur vulnérabilité et mis en veille les exigences de leur état. Reportage!

Elles sont des femmes. Elles sont surtout déplacées internes. Aujourd’hui, elles portent en elles des vies. Et dans la difficile réalité qui s’est imposée à elles, elles doivent survivre. Pour cela, elles ont choisi d’annihiler leur vulnérabilité.  À Tangsêga-Wayalgin, un site de personnes déplacées internes (PDI) situé à environ quatre (04) kilomètres de Kaya, nous avons rencontré le 1er décembre 2022, ces êtres « doublement» vulnérables.

 Sur ce site aménagé sur une colline dans un quartier périphérique de la ville de Kaya, nous retrouvons Fatima, (nom d’emprunt). Elle fait partie de ces femmes en état de grossesse. Elle porte une grossesse de sept mois. Contrainte de fuir sa localité natale, Dablo, en 2019, c’est à Kaya qu’elle et son époux ont atterri, dépouillés de tous leurs biens. Depuis lors, une nouvelle vie s’est imposée à eux, celle de la résilience. Aujourd’hui enceinte, Fatima doit se battre aux côtés de son mari, malgré sa grossesse, pour vivre et faire vivre l’enfant qu’elle porte en elle. Pour venir en aide à son époux déjà submergé par les charges, elle s’adonne à divers travaux domestiques, aussi rudes soient-ils. Toutes les activités sont les bienvenues pour elles, pourvu qu’elles apportent quelques francs. « Souvent, je puise de l’eau que je vends aux maçons sur les chantiers en construction. Par moment, je lave des habits dans les concessions au centre-ville. Au cas où ces deux activités se font rares, je pars en brousse chercher des fagots de bois que je revends en ville, pour aider à nourrir les enfants », nous confie-t-elle.

Fatim (nom d’emprunt) porte une grossesse de 7 mois

Dans un tel contexte, l’entretien de la grossesse vient en dernière position sur la liste des priorités. « Il faut d’abord chercher de quoi subsister avant de penser au nombre de pesées à faire ou encore aux examens et autres consultations médicales », dit-elle. Quant à avoir une alimentation saine et équilibrée, « encore faut-il avoir de quoi se mettre sous la dent! », s’exclame celle qui dit dormir souvent sans rien manger.  Pour autant, précise-t-elle, ce n’est pas par méconnaissance des bons comportements d’hygiène alimentaire recommandés dans son état, mais plutôt par résignation qu’elle n’y prête pas grande attention. L’essentiel étant de ne pas tomber malade. « On nous dit qu’une femme enceinte ne doit pas faire des travaux rudes. Qu’elle doit s’alimenter convenablement pour son bien et celui de son bébé. Mais quelqu’un qui n’a même pas à manger trois fois par jour, même une boule de savon pour se doucher, il n’en a pas, comment peut-il respecter les règles d’hygiène ? C’est quand on est rassasié qu’on pense à tout ça ! », lance  Fatim avec ironie.

Des femmes enceintes s’expriment sur leur situation, dans cette vidéo ⤵️

Fatim n’est pas seule dans cet état. Sur le site de Tangsêga Wayalgin, il y a Odette (nom d’emprunt) qui porte elle aussi une grossesse, mais de 06 mois. Elle a fui sa commune natale, Barsalogho, en 2020, et s’est réfugiée à Kaya. Comme Fatim, ses réalités de déplacée interne semblent l’emporter sur son état. Malgré le stade avancé de sa grossesse, Odette brave vents et marées dès le lever du jour, pour trouver sa pitance. Chez elle aussi, les visites prénatales ne sont pas respectées. La jeune femme enceinte « lutte contre la faim au quotidien ». C’est cela, confie-t-elle, son principal souci.  « Normalement pour quelqu’un de mon état, on doit manger au moins trois fois par jour. Mais, ici, on va avoir ça où ? Quand tu manges le matin, il faut attendre carrément dans la soirée pour espérer avoir encore de la farine de maïs pour faire le tô. Les agents de santé nous disent souvent de varier les repas, de manger des aliments qui vont nous fournir du sang et de la force pour notre bébé. Mais on va trouver ça où ici ? », s’interroge-t-elle.

Odette est enceinte de 06 mois

Odette souligne qu’il lui est arrivé de mendier à travers Kaya pour avoir juste de la farine de mil. « C’est honteux, mais on est obligé de le faire ou mourir de faim dans notre état », nous lâche-t-elle, la tête baissée. Dans cette situation, elle dit rendre grâce aux organisations humanitaires et à certaines bonnes volontés dont elle loue l’aide et l’assistance.

Recours à la médecine traditionnelle

Venue de Payensé,  Gaëlle (nom d’emprunt), porte elle aussi une grossesse qui totalise 8 mois. Contrairement aux autres femmes qui ont la possibilité de faire dans la débrouille pour joindre les deux bouts, elle, au stade actuel de sa grossesse, n’a d’autres alternatives que de se rabattre sur l’aide et la générosité des bonnes âmes. Le jour levé, elle sillonne donc les rues de la ville pour gueuser.  Pour Gaëlle aussi, la priorité c’est d’abord se nourrir. A 8 mois de grossesse, elle n’a fait que trois pesées et cela, grâce aux ONG présentes sur le site. Dans ses moments de malaises, la jeune femme déplacée interne dit n’avoir pour seule dispensaire que la médecine traditionnelle, et cela, au grand dam de toutes les précautions que nécessite sa grossesse. « On n’a pas l’argent pour aller à l’hôpital. On se soigne nous-mêmes avec les feuilles et les médicaments traditionnels. Quand tu vas à l’hôpital et qu’on te tend une ordonnance, que peux-tu faire ? J’y suis allée certaines fois mais sans moyens, je suis revenue me rabattre sur la pharmacopée traditionnelle », indique-t-elle déplorant le coût élevé de certains produits pharmaceutiques.

Gaelle ( nom d’emprunt ), venue de Payensé, enceinte de 08 mois

Si la situation que vivent ces femmes en état de grossesse est pénible, elle est encore plus éprouvante pour leurs époux également déplacés sur le site. Ces derniers, infortunés et impuissants face au sort de leurs conjointes, disent ne plus savoir où mettre la tête. Amidou Kafando (nom d’emprunt) est l’époux de Fatim. La situation actuelle de sa femme, il la vit au jour le jour, avec toutes les peines du monde.  « Pour dire vrai, moi, son mari, cette situation me gêne beaucoup. Si une femme enceinte en vient à  s’adonner à de tels travaux, ça veut dire qu’il y a quelque chose qui ne va pas. En tant qu’époux, moi je n’ai jamais cautionné que ma femme aille faire des travaux avec sa grossesse. Elle-même le sait bien. Mais avec la nouvelle situation qui s’impose, tu vas faire comment ? Elle est obligée de mettre sa main à la patte seulement pour m’aider », explique avec chagrin, celui qui dit avoir eu pour habitude de dorloter sa femme quand tout allait encore bien dans leur village natal. 

Amidou Kafando, l’époux de Fatim

« Nous on a été éduqué à prendre soin de la femme enceinte. Et de là où j’étais quand une femme  porte une grossesse, il y a un certain nombre de précautions qu’on prend à son endroit jusqu’à ce qu’elle accouche. Mais ici, que pouvons-nous faire ? La simple nourriture qu’on doit lui donner même, c’est un problème (…) Souvent quand elle ramène les ordonnances de l’hôpital,  je suis obligé de fuir la maison parce que je n’ai pas d’argent à lui donner pour les médicaments. Je quitte la maison et j’ai honte même de revenir et d’affronter son regard. Puisque je sais que c’est de mon rôle d’acheter les médicaments, mais je vais passer par quels moyens pour le faire. Ça fait que très souvent, les rendez-vous que les médecins donnent arrivent sans qu’on ne puisse honorer les ordonnances », a confié le chef de famille qui appelle les autorités à multiplier les actions en faveur de ces femmes.

« Ce n’est pas l’accompagnement qui manque sur le plan sanitaire… »

Pour comprendre les actions du ministère de la Santé au profit de ces femmes en situation de vulnérabilité, nous avons approché la Direction régionale de la Santé (DRS) de la région du Centre-nord. Des explications du premier responsable du service Santé de la reproduction (SR) du district sanitaire de Kaya, Moussa Zigmoré, le ministère de la Santé a mis en place  un ensemble de mécanisme pour accompagner l’ensemble des personnes en situation de vulnérabilité, sur les différents sites des personnes déplacées internes depuis l’avènement de la crise. A l’en croire, il est appliqué dans l’ensemble des formations sanitaires, la politique de gratuité de soins au profit des femmes enceintes et des enfants de moins de 5 ans, et ce, conformément à la mesure mise en vigueur par le gouvernement burkinabè en 2016. Ce qui permet la prise en charge des coûts directs des soins curatifs de ces femmes enceintes.

En plus de cela, le ministère de la santé travaille, dit-il, de concert avec certaines organisations humanitaires présentes au Burkina Faso, à la mise à disposition des produits pharmaceutiques à moindres coûts, aux familles déplacées internes. « Le ministère de la Santé mène plusieurs actions sur les sites. Le ministère se bat pour que ces femmes enceintes puissent bénéficier des meilleurs soins possibles. En termes de prise en charge, il y a la gratuité des soins même d’abord. Pour les femmes enceintes, c’est gratuit. Elles ne payent rien. Il se trouve souvent qu’il y a des ruptures de certains médicaments dans les dépôts pharmaceutiques et qui nécessitent que les femmes aillent ailleurs pour payer. C’est ça souvent qui fait que certaines personnes ont des difficultés pour honorer leurs ordonnances. Mais, même à ce niveau, ici, à la direction, quand ce type d’informations nous remontent, nous on les réfère au niveau du secteur N°06 de la ville. Là-bas, il y a le Comité international de la Croix-rouge (CICR) qui a fait une pharmacie spécialement dédiée aux déplacés. Une fois qu’ils arrivent là-bas, le problème est résolu », nous explique le responsable du service de la santé reproductive. Il ne serait donc pas exact, selon Moussa Zigmoré, de dire que le ministère de la Santé ne tient pas compte de ces femmes.

Moussa Zigmoré, Premier responsable du service santé-reproduction du district sanitaire de Kaya

Foi de Moussa Zigmoré, « l’insouciance » de certaines femmes enceintes sur les sites des PDI est pour beaucoup dans les complications qui surviennent couramment lors des accouchements. L’agent de l’Etat explique en effet, qu’en dépit de la gratuité des soins et des mécanismes d’accompagnement mis en place,  des femmes trouvent toujours des « prétextes » pour ne pas honorer leurs rendez-vous, et cela, malgré les sensibilisations que mène le district sanitaire.

« Ce n’est pas l’accompagnement qui manque sur le plan sanitaire. Le problème c’est que la plupart de ces femmes ne mesurent pas l’importance des consultations et même des pesées. Elles vont venir, tu vas leur donner des rendez- vous qu’elles ne vont jamais respecter. Elles préfèrent aller s’aligner sur les sites de distribution de vivres et d’argent que de venir se faire consulter. On ne peut pas leur en vouloir, mais moi je trouve que la santé n’a pas de prix. Tout ce que nous on peut faire, c’est de les sensibiliser. Et chaque fois, on mène des campagnes de sensibilisation sur les sites pour les rappeler par rapport justement à cela », détaille le médecin qui salue les actions des Organisations non-gouvernementale (ONG) qui accompagnent le district sanitaire en matière de sensibilisation.

L’impact des actions de Save The Children

En ordre de bataille au Burkina Faso depuis le début de la crise, les ONG arrivent en sauveur, pour porter assistance aux populations impactées par le terrorisme et contribuer à la réduction des effets de la crise sur elles. Sur le site de Tangsêga Wayalgin, on rencontre plusieurs structures humanitaires parmi lesquelles, Save The Children. Installée au Burkina Faso depuis 1982, cette ONG travaille à apporter une assistance continue aux enfants et aux personnes en situation de vulnérabilité en matière d’éducation, de santé-nutrition et sécurité alimentaire. Sur ce site qui compte plus de 11 000 âmes, l’ONG a initié un projet dénommé « Alimentation du Nourrisson et du Jeune Enfant en Situation d’Urgence » (ANJE-U2) à travers lequel, elle mène plusieurs actions entrant dans le cadre de l’amélioration des connaissances et usages favorables aux pratiques optimales des femmes enceintes et mères d’enfants de 00 à 23 mois. Une aubaine pour les femmes enceintes qui voient là, une occasion pour non seulement suivre l’état de leur grossesse mais aussi, bénéficier d’une meilleure prise en charge.

Oumarou Birba est animateur pour le compte de Save The Children sur le site de Tangsêga Wayalguin. Selon lui, la situation des femmes enceintes déplacées internes sur les sites est pénible. Dans leur quête de subsistance, ces femmes s’exposent, dit-il, à plusieurs formes de dangers et de risques au vu de leur état. « Quand par exemple vous rentrez à Kaya, vous les verrez sur les sites de distribution des ONG  en train d’attendre souvent de 5h à 17h sous le chaud soleil. Il y a certaines même qui parcourent des kilomètres et des kilomètres pour avoir de quoi se nourrir. D’autres vont jusqu’à faire des travaux qui ne sont pas recommandés aux femmes enceintes. Tout cela leur est dommageable car ça peut entraîner des complications graves au niveau de la grossesse », interpelle cet animateur de Save the Children.

Oumarou Birba, animateur pour le compte de Save The Children sur le site PDI de Tangsêga Wayalguin

Le rôle des ONG comme Save The Children dans ce contexte est, donc, de canaliser ces femmes et de les sensibiliser sur les bonnes pratiques à suivre tout en leur apportant de l’aide à l’effet de minimiser leur exposition aux maladies. « Nous, notre combat c’est d’abord de les emmener à utiliser ce que nous avons localement ici, de façon saine, pour éviter de tomber dans des maladies comme la malnutrition qui commence d’abord même chez la femme enceinte. Quand on prend par exemple le baobab frais, le baobab sec, le petit mil et autres, c’est des choses qui contiennent des nutriments bénéfiques pour une femme enceinte. Et nous, on leur apprend comment s’en servir », assure-t-il tout en soulignant que Save The Children met à la disposition de ces femmes et des enfants, ces micronutriments essentiels à leur santé. Aussi, selon le superviseur, sur le site, l’ONG travaille à sensibiliser ces femmes sur l’importance des consultations prénatales. « Il y a ACF ( Action contre la Faim ndlr) qui a mis en place un centre de santé ici et on les sensibilise à les fréquenter régulièrement.  Pour une femme enceinte, il y a normalement huit consultations à faire. Mais, figurez-vous que quand on est arrivé ici et qu’on leur a demandé, aucune des femmes ne savaient cela. Ce qu’elles savaient c’est deux ou trois maximum », relève Oumarou Birba qui dit se réjouir du fait qu’à ce jour, les actions de Save The Children et des autres ONG ont eu un impact remarquable sur ces femmes. Il en appelle, par ailleurs, aux bonnes volontés à venir en aide à ces femmes déplacées, démunies et enceintes.

Même s’il est difficile de disposer de statistiques fiables sur le nombre de femmes déplacées et enceintes sur les sites des personnes déplacées internes, une chose est sûre: elles sont nombreuses qui souffrent et qui ont urgemment besoin d’une assistance particulière.

Oumarou KONATE

Minute.bf

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