Juriste de formation, Dr. Yves KINDA occupe désormais le fauteuil de Directeur général (DG) de la Caisse nationale d’assurance maladie universelle (CNAMU) depuis novembre 2018. Dans une interview accordée à Minute.bf, il nous présente l’établissement qu’il dirige officiellement depuis deux ans, les actions déjà menées et celles en cours ou en perspectives.
Minute.bf : Qu’est-ce que l’Assurance maladie universelle (AMU) ?
Yves KINDA : L’Assurance maladie universelle (AMU) est la concrétisation d’une politique publique ; cest-à-dire une promesse du Chef de l’État, lors de sa toute première campagne pour son premier mandat. Il s’était engagé à concrétiser ce projet qui date de 2008 dont la loi a été adoptée le 5 septembre 2015 et qui devrait servir à alléger les difficultés financières des Burkinabè face aux dépenses de santé. En effet, les dépenses directes des ménages pour la prise en charge des soins de santé constituent un des premiers facteurs de basculement dans la pauvreté dans notre pays. Techniquement, l’AMU est un dispositif public chargé d’aider un individu face aux risques financiers de soins en cas de maladie ou de maternité. Donc, l’idée est de mutualiser les ressources de la santé avec l’appui financier de l’État et une contribution de la population à travers des cotisations. Cela est géré par la caisse nationale d’assurance maladie universelle (CNAMU) créée en 2018 par le Gouvernement, et qui constitue le bras opérationnel de la politique.
Comment est-ce que vous travaillez dans cette caisse nationale d’assurance maladie universelle ?
Concrètement, la CNAMU est placée sous la tutelle de deux ministères à savoir le Ministère de la fonction publique, du travail et de la protection sociale et le Ministère des finances, de l’économie et du développement. Nous avons le Ministère de la santé qui n’est pas tutelle mais qui est un acteur clé dans la mise en œuvre du Régime d’Assurance Maladie universelle (RAMU). La CNAMU fonctionne sous le contrôle d’un Conseil d’administration dans lequel sont représentés les fonctionnaires, les salariés du privé, les acteurs de l’économie informelle, le monde rural et les ordres professionnels de santé. Le personnel actuel de la caisse est composé d’une vingtaine d’agents publics de l’Etat en position de détachement. Ce personnel qui vient d’horizons divers comprend des spécialistes de la protection sociale, de la santé et des finances, etc.
Après ces années de services, quel bilan pouvez-vous faire ?
En réalité, je suis Directeur général depuis deux ans mais je conduis le projet depuis 2016 avec des collègues qui sont là depuis plus de 10 ans. Comme vous pouvez l’imaginer, c’est une réforme et ce n’est pas ce qui est plus aisé à mettre en œuvre parce qu’il faut changer les mentalités. Il y a différents acteurs et différents intérêts qui se rencontrent. Il faut donc dialoguer avec tout le monde pour parvenir à un consensus. De façon plus précise, on peut dire qu’au niveau technique nous sommes prêts. En témoigne le début de la couverture sanitaire des personnes indigentes dont la prise en charge est assurée par le budget de l’Etat. Une autre étape est en train d’être franchie avec notamment la poursuite du dialogue avec les partenaires sociaux pour arrêter le taux de cotisation et le panier de soins.
A ce jour, combien de personnes ont pu bénéficier de vos services ?
La première opération de couverture a concerné les personnes indigentes. Nous avions pour objectif de couvrir environ soixante-dix mille (70 000) personnes en 2020, mais l’opération a été très vite confrontée aux difficultés relatives à la pandémie de la covid-19 et les problèmes sécuritaires dans certaines communes. A ce jour, malgré les difficultés nous avions enrôlé environ trente-cinq mille (35 000) personnes indigentes. Les opérations de ciblage et d’enrôlement se poursuivent en même temps que les opérations de prise en charge sanitaires.
Cette année, l’assurance maladie va s’étendre à d’autres cibles telles que les populations du secteur formel, de l’économie informelle et du monde rural.
Combien va coûter cette assurance maladie universelle au Burkina?
Le financement de la santé par les ménages en 2018 s’établit à 158,8 milliards de FCFA soit 35,5% des dépenses courantes de santé. Donc, vous comprenez pourquoi la progressivité est un principe incontournable dans la mise en œuvre de l’assurance maladie universelle. C’est impossible et ce serait utopique de croire que cette assurance maladie serait opérationnelle sur tout le territoire et pour toutes les catégories de la population dès les premières années. Même les pays les plus riches que nous, qui ont commencé depuis des siècles n’ont pas encore operationalisé 100% de leur régime d’assurance maladie.
Mais comme il s’agit aussi d’un système de mutualisation, il faut qu’un travail de communication important soit fait pour habituer nos compatriotes à ce que nous appelons la mutualisation. Il faut que nous nous habituons à mettre chacun une partie de la richesse des ménages, du pouvoir d’achat dans un panier commun, dans le sens de la solidarité pour que tous ceux qui n’ont pas accès à de la ressource puissent y avoir accès. Il est clair que l’État tout seul est loin de pouvoir répondre aux besoins de financement du régime de l’assurance maladie.
Quelles sont les perspectives de votre structure pour l’année 2021 ?
Le Gouvernement a adopté un plan d’opérationnalisation qui prévoit cette année, une accélération de l’opérationnalisation de l’assurance maladie en deux axes principaux. Un premier axe qui concerne les acteurs du secteur formel (les agents du secteur public et du privé) et le deuxième axe concerne les agents de l’économie informelle et du monde rural.
Nous allons également harmoniser leurs outils et encourager la création de mutuelles de santé notamment pour les enseignants du primaire et du secondaire qui sont la catégorie d’agents publics les plus nombreux de notre État. Si nous arrivons à couvrir ces agents dans une mutuelle, nous arriverons à couvrir la plus grande partie des agents publics et nous allons aussi viser leurs ayant droits.
Pour les acteurs de l’économie informelle, notre défi est de couvrir les membres des mutuelles existantes dans les régions de la Boucle du Mouhoun, du Centre-Nord, de l’Est, du Nord, du Sahel et Sud-Ouest et d’encourager la création de nouvelles mutuelles dans ces mêmes régions. Vous l’avez compris, il s’agira d’accompagner la mutualité sociale et de moderniser les pratiques de mutuelles existantes.
Pour réaliser tout cela, nous avons besoin de finaliser les discussions avec les partenaires sociaux. En effet, comme nous l’avons expliqué, ce chantier est éminemment gouvernemental parce qu’il s’inscrit dans le cadre du dialogue Gouvernement-syndicats. La Caisse d’assurance maladie a fait pour sa part des propositions techniques au gouvernement. Nous pensons que le Gouvernement, assez rapidement, inscrira ces points dans le cadre du dialogue avec les partenaires sociaux. Nous allons aussi arrêter un panier de soins ; le travail est très bien avancé. Ce panier concerne les soins pris en charge par l’assurance maladie dans le cadre d’un décret que nous allons proposer au Gouvernement. Ce travail est fait avec le ministère de la santé et les partenaires sociaux de la santé (ordres professionnels et syndicats).
Quelles sont les maladies couvertes par l’Assurance maladie universelle ?
Le régime d’assurance maladie universelle (RAMU) prend en charge un ensemble d’actes, de biens et services médicaux appelé panier de soins.
Pour ce qui est de la phase en cours de couverture des personnes indigentes, le panier de soins pris en charge va du niveau Centre de santé et de promotion sociale (CSPS) au niveau Centre hospitalier régional (CHR) et comprend les soins curatifs en ambulatoire de spécialité médicale, les soins curatifs en ambulatoire de médecine générale, les soins de petite chirurgie, les soins curatifs en hospitalisation/mise en observation Soins curatifs en ambulatoire, les interventions chirurgicales majeures, les interventions chirurgicales mineures, les soins de petite chirurgie, les soins curatifs en hospitalisation/mise en observation.
Un décret à adopter en Conseil des ministres doit définir le contenu du panier de soins pour le passage à l’échelle. Le projet de décret a déjà été élaboré et comprend entre autres : les actes de médecine générale et de spécialités médicales et chirurgicales; les actes infirmiers; les soins relatifs au suivi de la grossesse, à l’accouchement et à ses suites ; les actes et les soins liés à l’hospitalisation et aux interventions chirurgicales ; les soins bucco-dentaires d’urgence ; les examens de biologie médicale ; les actes de radiologie et d’imagerie médicale ; les explorations fonctionnelles.
Qu’est-ce que le citoyen lambda devra faire pour bénéficier de cette couverture ?
Tout citoyen vivant sur le territoire national doit bénéficier de la couverture du RAMU. Le RAMU fait partie des branches contributives de la protection sociale. A ce titre, le bénéfice des prestations est subordonné au paiement préalable des cotisations, que celles-ci soient payées par l’assuré lui-même ou par un tiers en ce qui concerne les bénéficiaires indigents. Le citoyen lambda devra donc être à jour de ses cotisations, se présenter dans une formation sanitaire conventionnée avec sa carte d’assuré afin de bénéficier des prestations du RAMU en cas de besoin.
Quels sont les centres de santé qui seront concernés par la prise en charge de cette maladie? Les enfants seront-ils aussi concernés par la prise en charge de cette assurance maladie?
Les formations sanitaires aptes à offrir les soins au compte des prestations du RAMU sont celles qui auront conventionné avec la CNAMU. Ces prestataires de soins de santé peuvent être, soit du public, soit du privé.
Les bénéficiaires du RAMU, sont d’abord ceux qui cotisent (les assujettis) et ensuite les personnes à charge. Les conjoints qui n’exercent pas d’activités lucratives et les enfants de moins de 21 ans sont les personnes à charge qui bénéficient des prestations du RAMU. Toutefois, les enfants bénéficiant des mesures de gratuité des soins (enfants de moins de 5 ans) adoptées par le Gouvernement depuis 2017 ne vont bénéficier des prestations du RAMU que dans la mesure où les prestations à servir ne sont pas prises en compte par le panier de soins de la gratuité.
Quel message particulier avez-vous à adresser aux populations ?
Je voudrais rassurer les uns et les autres que le RAMU a démarré et va sétendre progressivement aux autres cibles de la population. Nous sommes actuellement beaucoup plus en milieu rural mais les choses vont évoluer très vite à partir de 2021. Nous appelons l’ensemble des acteurs à accompagner le processus.
Au regard de l’importance d’une assurance maladie pour le développement des pays, si certains pays africains l’ont réussi, nous n’avons pas le choix que de le réussir.
Propos recueillis par A.K et H. Kinda
Minute.bf