Hamadi Konfé est le secrétaire général de la sous-section du Syndicat national des travailleurs de la santé humaine et animale (SYNTSHA) de l’hôpital Yalgado Ouédraogo. Dans un entretien accordé à www.minute.bf, il revient sur les raisons du mouvement d’humeur dans le secteur de la santé, les négociations infructueuses entre le gouvernement et le syndicat de la santé dans le cadre de la mise en œuvre du protocole d’accord signé entre les deux parties en 2017, les dénonciations faites chaque jour par les populations sur les conséquences de cette crise, etc.
Minute.bf : Dites-nous, comment se porte le CHU Yalgado Ouédraogo ?
Hamadi Konfé : Yalgado va mal. Parce que les conditions de travail ne sont pas réunies et la démotivation des travailleurs est au top. De manière globale, ça ne va pas du tout au CHU Yalgado Ouédraogo.
Concrètement, que réclamez-vous au gouvernement ?
Nous réclamons l’application du protocole d’accord. Nous avons une plateforme qui a fait l’objet de discussions assorties d’un protocole d’accord signé le 13 mars 2017. Plus de deux ans après, rien n’est fait. Nous ne réclamons que l’application de ce protocole d’accord.
Quels sont les points contenus dans ce protocole d’accord ?
Il y a les conditions de travail. Tout de suite, je vous ai dit que Yalgado va mal parce que les conditions de travail ne sont pas réunies. Le minimum manque au niveau des services, les équipements sont en pannes. Les consommables manquent. Au niveau des laboratoires par exemple, il n’y a pas de travail, faute de réactif. Le personnel se débat tant bien que mal mais c’est compliqué. Il y a aussi la question des carrières. Nous avons demandé à ce que, conformément au relèvement du niveau de recrutement d’un certain nombre de corps, que ces corps aient droit à une nouvelle catégorie. Et que pour ceux qui sont sur le terrain, l’on puisse déjà procéder à des tests de reclassement suivis de formation pour leur permettre d’être dans ces nouvelles catégories afin qu’il n’y ait pas de traitements différents dans les mêmes corps, chose qui peut influencer négativement le travail.
Nous avons aussi demandé la justice au niveau de la santé parce que partout dans les ministères, si vous êtes en catégorie D1 et que vous faites un concours assorti de formation, vous êtes reclassés en A1. Mais à la santé, si vous êtes en D1, après deux ans de formation, vous restez en A2. C’est dire qu’il y a une injustice flagrante qui n’a que trop duré.
Il y a également la question des libertés démocratiques et syndicales, un point capital et non négociable. C’est parce que l’on jouit des libertés démocratiques et syndicales que les gens ont travaillé à l’éveil des consciences, ce qui a permis à ce qu’il y ait une insurrection populaire. Nous ne sommes pas prêts à ce que quelqu’un nous ramène en arrière. La liberté d’opinion, la liberté d’organisation et la liberté de manifestation sont mises en cause actuellement par le pouvoir en place. Rappelez-vous la question du sit-in, rappelez vous les marches-meeting de l’Union d’Action populaire (UAP), rappelez-vous la marche de l’Organisation démocratique de la Jeunesse (ODJ) qui a été interdite. Le pouvoir est en train de tout confisquer. Dans cette situation, nous ne pouvons pas être d’accord. Les libertés syndicales sont sacrées. Si on laisse faire le pouvoir, il écrasera tout le monde en toute tranquillité.

Dans sa tentative de liquider les libertés syndicales et démocratiques, le pouvoir a fait opérer des coupures hors normes sur les salaires, qui ne respectent aucune base juridique. L’objectif, c’est d’amener les gens à rompre les rangs, à tuer les syndicats mais nous n’allons pas nous laisser faire. Au-delà du SYNTSHA, c’est l’ensemble des structures syndicales qui sont interpellées. Il est clair qu’aujourd’hui, le pouvoir s’est démasqué. Il a d’abord commencé avec la révision des droits de grèves, ensuite il est venu avec l’avis du Conseil d’Etat sur les sit-in, sur les mouvements d’humeur, les interdictions de marches s’en sont ensuivies et aussi des coupures abusives de salaires. L’un dans l’autre, c’est pour en finir avec le mouvement syndical. Les syndicats sont donc interpellés. Nous, au niveau du SYNTSHA, nous n’entendons pas baisser les bras. Nous allons nous battre jusqu’à ce que les choses reviennent dans l’ordre. Il faut que le pouvoir respecte ses engagements et que les libertés démocratiques et syndicales soient aussi respectées. Voilà les problèmes centraux qui nous opposent actuellement au pouvoir.
Vous aviez eu des dialogues avec le gouvernement, quels sont les points d’achoppement ?
Nous-mêmes nous n’en savons rien. Si je le dis, c’est parce qu’officiellement, le gouvernement et nous, avions entamé des négociations qui ont été suspendues depuis le 26 juillet. Nous avons fait le tour des questions de conditions de travail et on devrait revenir, quand on aurait fini tout le protocole, sur les conditions de travail pour les échéances. Quand nous avons entamé le 26 juillet les questions de carrières dans les discussions, nous avons été bloqués à un problème de statut. Le gouvernement a dit qu’on allait suspendre avant de revenir mais jusqu’à présent, il n’y a pas eu de négociations sérieuses avec nous autour de ce protocole d’accord. C’est le gouvernement qui a suspendu les négociations.
Chaque jour, des populations dénoncent l’attitude des agents de santé qui laissent mourir des patients, que répondrez-vous à ces personnes ?
Je pense qu’il est tout à fait normal que les populations se posent des questions. La lutte a duré et la population a besoin de soins. A partir de cette analyse, on peut comprendre les réactions des uns et des autres. Mais quand on va au fond, ce sont des partisans qui raisonnent en fonction du camp qu’ils ont choisi et dont on ne peut plus raisonner. Nous sommes des agents recrutés par l’Etat et nous avons maille à partir avec notre employeur au sujet d’un certain nombre de points. Le gouvernement a pris des engagements, qu’il les respecte. C’est le gouvernement qui a en charge la primauté de la santé des populations. Il lui revient donc de prendre des dispositions pour que ses employés soient en mesure d’offrir des soins de qualité aux populations. Nous ne demandons que des conditions minimales de travail et de la motivation pour pouvoir travailler. Non seulement le gouvernement n’a pas respecté ses engagements, mais aussi, il n’a même pas engagé des discussions sérieuses pour expliquer là où se trouvent les goulots d’étranglement.
Nous ne pouvons pas nous taire pendant que nous ne pouvons même pas travailler. Par exemple, actuellement, ils ont fait des coupures abusives sans même tenir compte des prêts que les uns et les autres ont contractés en banque. Il y’en a qui partent, au lieu de toucher leur argent, ils se retrouvent être redevables à la banque. Dans ces conditions, comment peuvent-ils travailler ? Il y a des règles financières nationales et internationales qu’ils maitrisent mieux que nous. Ils savent qu’en matière de gestion de salaire, il y a des limites à ne pas dépasser. Mais ils ont fermé les yeux sur tout cela parce que leur objectif, c’est d’empêcher les gens de grever. Le gouvernement est entrain de se fasciser. Les travailleurs ne sont pas dans les conditions pour travailler. Si le gouvernement nous met dans les conditions, les gens verront, nous allons travailler. Maintenant ceux qui ont un parti pris pour le gouvernement, ils ont leur raison et nous ne pouvons rien dire à cet effet.

Jusqu’où comptez-vous y aller avec cette grève, ce bras de fer ?
Même demain, si le gouvernement nous appelle en négociation et que nous trouvons un terrain d’entente, la grève sera levée. Nous avons plus de problèmes pendant la grève qu’en dehors de la grève parce que nous ne dormons pas. Nous sommes interpelés çà et là. Ce n’est pas par gaité de cœur nous allons en grève. Nous ne souhaitons vivement qu’on sorte de cette crise le plutôt possible. Mais cela ne dépend que du gouvernement.
Lors du dernier point de presse du gouvernent, il avait été dit que le dialogue a été repris entre le ministre de la santé et le syndicat. Où en sommes-nous avec ce dialogue ?
C’est du bluffe, la dernière négociation date du 26 juillet 2019. La négociation normalement consiste à se retrouver, gouvernement et syndicat, au tour du protocole d’accord pour trouver une solution. Maintenant, les rencontres aléatoires, par exemple le fait de convoquer les gens sur des actes délégués qui ne portent pas sur le protocole d’accord, ne peuvent être comptabilisés comme négociations.
Les critiques des populations font croire qu’il n’y a pas de service minimum dans les centres de santé publique…
Il faut qu’on se dise la vérité. Actuellement, nous au niveau du SYNTSHA, nous ne sommes pas en grève. Allez-y dans les hôpitaux et vous verrez que les agents travaillent. Dans toutes les formations sanitaires les agents y sont. Maintenant, c’est en fonction des compétences et du paquet que le travail se fait ou pas. Par exemple, si vous allez à l’hôpital Yalgodo, vous allez voir que les gens travaillent ; tous les postes sont occupés. Dans les provinces aussi vous allez voir que les agents travaillent. Maintenant, si ce sont des cas qui sont au-delà de leur compétence, ils font des évacuations, conformément aux instructions du syndicat.
Quel message avez-vous à l’endroit de la population ?
Il est vrai que les populations se plaignent beaucoup, mais il faut qu’elles ouvrent grandement les yeux. La santé est précieuse et quand on est malade, on ne cherche qu’à recouvrer la santé et non autre chose. Mais les populations doivent comprendre que pour en finir avec tout cela, il faut que le gouvernement prenne ses responsabilités. D’abord les conditions de travail, parce qu’indépendamment des mouvements, chaque jour nous assistons à des morts, pas que les agents sont incompétents mais parce que les conditions ne sont pas réunies pour pouvoir prendre en charge ces malades. C’est aussi parce que les gens n’ont pas le minimum nécessaire pour pouvoir honorer les ordonnances.
Actuellement nous sommes en mouvement parce que nous avons un protocole que nous voulons qu’on applique. Nous pensons que la population doit comprendre et être de mèche avec nous pour faire pression sur le gouvernement pour qu’il regarde l’état de fonctionnement des formations sanitaires parce que ça ne va pas. C’est la grève et les mouvements qui prennent de nom. Mais dans le fond si vous allez dans les formations sanitaires vous verrez que ce sont les privés qui marchent à Ouagadougou. Même si vous êtes hospitalisé au CHU Yalgado Ouédraogo, vous allez faire le tour des formations sanitaires privées de Ouagadougou pour faire des examens. Est-ce que cela est normal ? En réalité, les formations sanitaires publiques ne marchent pas parce qu’il y a un manque d’équipement, un déficit d’organisation.
Actuellement ce sont des actions que nous menons pour pouvoir protester contre la léthargie de l’Etat, contre son refus de respecter ses propres engagements. La population doit comprendre que le combat que nous menons est un combat pour eux. Maintenant, nous sommes d’accord que ces combats ont des conséquences. Mais pour en finir avec cela, il faut qu’ensemble nous nous unissions pour pouvoir montrer à l’Etat le vrai chemin pour qu’il puisse nous gérer tous. Il y a des gens qui se trompent d’adversaire parce que les agents de santé ne sont pas leurs adversaires. Les agents de santé sont en train de lutter pour avoir le minimum de conditions pour s’occuper des populations. S’il y a des gens qui sont téléguidés politiquement, c’est leur droit. Nous respectons aussi leur choix. Mais ceux qui ne sont pas impliqués dans cela, doivent comprendre la raison de notre grève.

Quelle interpellation avez-vous à l’endroit du gouvernement ?
Nous avons une simple interpellation à l’endroit du gouvernement. Nous nous sommes retrouvés les 12 et 13 mars au tour d’une plateforme d’un préavis de grève qui devrait commencer le 14 mars 2017. Nous avons signé le protocole d’accord le 13 mars à partir de 23h30mn. Cela nous a permis d’annuler une grève qui devrait commencer le 14 mars 2017 à 7 heures parce que nous avons eu un protocole d’accord avec le gouvernement. Aujourd‘hui il est question de l’application de ce protocole d’accord. Si plus de deux ans après le gouvernement piétine, il faut qu’il revienne à la raison parce que même en dehors du protocole qui est signé, quelqu’un qui se veut respectable doit honorer la simple parole donnée.
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Il y a un manque de respect vis-à-vis des partenaires sociaux et des populations parce qu’en plus du non-respect du protocole d’accord, il y a des propos mensongers çà et là pour embobiner la population. Mais comme on le dit : « La vérité a beau durer, elle va jaillir un jour ». C’est dire que les propos tenus aujourd’hui vont les rattraper le plus tôt possible.
Nous voulons que le gouvernement nous appelle afin qu’on se retrouve ensemble sur la table de négociation pour aborder sereinement le protocole d’accord et voir ce qui peut être appliqué et ce qui peut être déféré. Nous avons aussi besoin de jouir de nos libertés : liberté d’expression, liberté de manifestation, liberté d’adhésion libre à l’organisation que nous avons choisie librement. Les méthodes dilatoires de confiscation des libertés ne peuvent pas marcher. Au début on peut penser que cela marche mais à la longue les gens n’accepteront pas la terreur. Au lieu de s’inscrire dans cela, il faut plutôt qu’on revienne à la table de négociation pour qu’ensemble nous trouvions une solution pour le bien de la population.
Propos recueillis par Armand Kinda
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