samedi 23 novembre 2024
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Luc Marius Ibriga : « je ne suis aucunement dans les couloirs du MPSR pour donner des conseils »

Depuis 2015, la lutte contre la corruption au Burkina Faso est aussi portée par l’Autorité Supérieure de Contrôle d’État et de Lutte contre la Corruption (ASCE-LC) avec à sa tête le Contrôleur général d’État, Luc Marius Ibriga. Celui-ci passera bientôt le témoin à Phillipe Néri Kouthon Nion, nommé Contrôleur général d’État le 13 janvier 2022. Au soir de son mandat, Luc Marius Ibriga a accordé un entretien à www.minute.bf. Il a été entre autres questions de son bilan à la tête de l’institution, de l’efficacité de l’ASCE-LC dans la lutte contre la corruption, les difficultés rencontrées, des réformes qu’il propose pour améliorer l’institution, etc.

Minute.bf : Vous êtes à la fin de votre mandat à la tête de l’ASCE-LC, à l’heure du bilan, que retenez-vous ?

Luc Marius Ibriga : D’abord je vais corriger parce que je n’avais pas de mandat. Je suis à la fin de l’exercice puisque j’ai été nommé et à l’époque, il n’y avait pas de mandat. Cela veut dire qu’à tout moment, le gouvernement pouvait mettre fin à mes fonctions sans aucune commune mesure. Il y avait un pouvoir discrétionnaire du gouvernement sur le contrôleur général d’État. Mais depuis 2015 avec l’adoption de la loi organique 082-2015/CNT, le contrôleur général d’État est nommé après appel à candidatures et une présélection et une sélection dirigées par le conseil d’orientation de l’ASCE-LC. C’est après l’adoption du décret portant procédure de recrutement du contrôleur général d’État que cette procédure a été mise en œuvre pour la première fois et un nouveau contrôleur général d’État a été nommé en la personne de M. Phillipe Néri Kouthon Nion. On attend sa prestation de serment qui aura lieu très prochainement. Je vais ainsi libérer le plancher.

À l’heure du bilan, je peux dire qu’au niveau de l’ASCE-LC, mon travail a consisté à asseoir l’institution. C’est-à-dire, faire en sorte que les dispositions de la loi organique 082 soient effectives. Là, nous avons connu un certain nombre de difficultés puisque les décrets d’application qui étaient prévus dans la loi et qui devraient permettre l’opérationnalisation de l’ASCE-LC, la plupart de ces décrets n’ont été adoptés qu’en 2021. Donc, nous avons fonctionné qu’à un quart en assurant tout de même la présence de l’ASCE-LC au niveau du contrôle et de la lutte contre la corruption. On peut dire aujourd’hui que l’ASCE-LC fait partie du paysage institutionnel du Burkina Faso à telle enseigne que sa crédibilité conduit beaucoup de personnes, dès qu’il y a un problème, à demander qu’elle vienne agir. Aujourd’hui, l’ASCE-LC dispose presque de la totalité de ses outils de fonctionnement. Maintenant, il appartiendra au nouveau contrôleur général d’État de véritablement donner à l’ASCE-LC sa vitesse de croisière.

Est-ce qu’à l’heure actuelle on peut dire que l’ASCE-LC est un outil efficace de lutte contre la corruption ?

Je répondrai par l’affirmative dans la mesure où l’ASCE-LC permet véritablement à l’État d’avoir des informations sur la situation de la mal gouvernance. Maintenant, à charge pour les autorités de prendre des mesures pour les appliquer, de la même manière l’ASCE-LC dans son travail, saisit le procureur du Faso des questions et des actes infractionnels, à charge pour la justice de conduire le jugement. L’ASCE-LC saisit la Cour des comptes pour les fautes de gestion ; à charge pour la Cour des comptes de juger les fautes de gestion. Enfin, l’ASCE-LC saisit l’autorité hiérarchique en ce qui concerne les fautes disciplinaires, à charge pour le supérieur hiérarchique de mettre en mouvement la procédure disciplinaire.

L’ASCE-LC n’a pas un pouvoir de sanction. Son rôle comme tout Officier de police judiciaire (OPJ), c’est de réunir les éléments de preuves et de les donner soit au juge pénal, soit au juge des comptes, soit au supérieur hiérarchique pour que les sanctions soient appliquées. C’est en cela que l’ASCE-LC est dans son rôle. Mais beaucoup ne comprennent pas. Ils s’imaginent que l’ASCE-LC, une fois qu’elle a découvert quelque chose, elle doit sanctionner. Non ! L’ASCE-LC n’a pas un pouvoir de sanction. Au cas où elle avait ce pouvoir de sanction, ça allait être dangereux parce que nous serions dans l’arbitraire. Pourquoi ? Parce que si c’est moi qui réunis les preuves et c’est moi qui sanctionne, cela veut dire que je ferai tout, si je veux vous sanctionner, pour considérer que les éléments sont réunis pour vous sanctionner. Pourtant, nous sommes dans un État de droit et il faut éviter que nul ne soit à la fois juge et partie. 

Y a-t-il des réformes à mener pour permettre à L’ASCE-LC d’être plus efficace dans la lutte contre la corruption ?

La réponse dans cette vidéo

Durant le temps que vous avez passé à la tête de l’ASCE-LC, quels sont les dossiers poignants qui vous tiennent à cœur et que vous tenez à voir l’aboutissement ?

Nous avons un dossier dont vous avez entendu parler. C’est le dossier de la fraude de carburant dont le volet concernant les fraudeurs a été jugé mais il y a un autre volet qui concerne les complicités des agents publics qui ont facilité la fraude. Nous sommes en train de travailler sur ce plan. Cela demande beaucoup de ressources pour faire des investigations parce qu’à ce niveau, ce qui nous permet d’avancer rapidement, ce sont les investigations électroniques. Alors que l’investigation électronique coûte cher. Nous n’avons pas au niveau de l’ASCE-LC un laboratoire forensique pour faire analyser les téléphones, les disques durs, les laptops et autres. Nous sommes donc obligés de recourir à des prestataires pour le faire et c’est coûteux. C’est pour cela qu’à chaque fois nous demandons des ressources parce que si vous n’avez pas un dossier solide, arrivé au tribunal il suffit à l’avocat de déceler une petite erreur de procédure pour que l’ensemble de votre dossier soit démonté. Vous avez vu les dossiers concernant Ouaga-inter où la procédure a été annulée, où il fallait recommencer. Parce que les gens qui avaient été entendus sous anonymat, on n’avait pas respecté la procédure qui était de demander l’autorisation au procureur ou au juge d’instruction pour le faire. Donc ça suppose un travail minutieux et des ressources parce qu’en matière d’investigation quand vous laissez la question durer parce que vous n’avez pas d’argent, lorsque vous allez revenir un autre jour, l’information n’est plus là. De même, vous devez avoir les ressources parfois pour susciter l’information, alors que l’ASCE-LC n’a pas été habilitée à utiliser les éléments psychologiques, c’est-à-dire la simulation psychologique, l’intéressement des gens pour avoir des informations. Combien de gens sont venus à l’ASCE-LC nous dire: « nous avons des informations importantes à vous donner, combien vous payez? » Nous sommes obligés de leur dire que nous ne pouvons pas, car aucun texte ne nous donne le pouvoir de monnayer des informations. Tout cela suppose que dans les textes concernant le fonds d’intervention de l’ASCE-LC, on puisse permettre à cette institution d’avoir les moyens de réunir l’information, d’avoir aussi assez de ressources pour pouvoir travailler avec des bureaux d’intelligence économique qui sont à l’étranger, pour recueillir des informations par rapport à des sommes placées à l’étranger.

C’est pour cela que nous disons qu’il faut de la ressource parce que si vous voulez faire de l’investigation et avoir des résultats, cela suppose que vous puissiez tirer les ficelles là où elle se trouve et faire en sorte que ceux qui ont l’information puissent vous l’apporter. Et ça, c’est un élément important, c’est un dossier qui, je pense, a permis de comprendre que terrorisme et corruption font bon ménage. Comme nous l’avons dit à l’occasion du 09 décembre dernier, la corruption est au terrorisme, ce que l’huile est au feu. On a vu avec la fraude du carburant que les liens du terrorisme alimentent la corruption et vice-versa. Et cela pour la simple raison que l’appât du gain amène des personnes à se lancer dans la fraude. D’ailleurs, la dernière incartade de l’armée qui a permis de démanteler une base terroriste a donné de voir tout ce qu’ils (les terroristes) ont comme matériel et comme produits. De l’huile, du sucre, etc. Et ça, ils sont approvisionnés par quelqu’un. Qui? Cela veut dire, tant que la lutte contre la corruption n’est pas véritablement menée, nous ne pouvons pas assécher le terrorisme. Nous disons que lutter contre la corruption consiste à ramener la société dans plus de justice et à faire en sorte que la richesse nationale soit mieux répartie pour qu’il y ait moins de violences dans la société.

Vous lui prodiguez des conseils de gestion peut-être ?

Non, rien de particulier ! On a demandé à L’ASCE-LC de donner son point de vue par rapport à la construction de la charte de la transition et samedi dernier en tant que contrôleur général d’État, je suis allé donner mon point de vue. Mais, je ne suis aucunement dans les couloirs du MPSR pour donner des conseils. Si on demande mon point de vue, je donnerai mon point de vue sans détour, mais je n’ai aucun statut de conseiller ou de sherpa du Lieutenant Colonel Damiba.

Lire aussi : Burkina : Ils murmurent à l’oreille du président Damiba

Le vent a changé de direction, il y a de nouvelles autorités qui veulent imprimer une nouvelle dynamique au Burkina Faso, quelle réaction avez-vous à faire sur cela?

L’ASCE-LC est prête à jouer sa partition en matière de lutte contre la corruption. Les nouvelles autorités ont reçu de notre part, à leur demande, un rapport circonstancié sur cette question. Ils savent quels sont les besoins qui existent. Je me dis que si véritablement, il y a un engagement dans la lutte contre la corruption, cela suppose qu’on résolve les différents problèmes. Parce que la lutte contre la corruption, ce n’est pas seulement les dossiers des crimes économiques en souffrance depuis longtemps, c’est également de faire en sorte que le sens de l’État revienne. Cela suppose que l’incivisme soit jugulé et que la grande ou la petite corruption soit combattue avec persévérance, non par de coups d’éclat, mais avec persévérance pour faire en sorte que nos jeunes générations grandissent avec la culture du refus de la corruption.

Ces 5 dernières années, la corruption a connu une avancée significative selon bon nombre d’observateurs. Selon vous, qu’est-ce qui n’a pas marché pour qu’on en arrive là ?

Je pense qu’il y a un certain nombre d’éléments. Je vous ai parlé des difficultés que l’ASCE-LC a eues à s’opérationnaliser. Des difficultés liées au fait que son organigramme n’avait pas été adopté. Il faut dire que le régime juridique applicable au contrôleur général d’État n’avait pas été adopté, les traitements à servir au contrôleur d’État n’avaient pas été adoptés, le décret sur la procédure de recrutement du contrôleur général d’État n’avait pas été adopté et tous ces éléments ne permettaient pas d’avoir une situation où des recrutements pouvaient être faits. Nous avons lancé plusieurs fois des recrutements, mais nous n’avons pas reçu de candidatures.  Pourquoi ? Parce que ceux qui voulaient venir ne savaient pas quels étaient les traitements qu’on allait leur servir et quelles étaient les conditions dans lesquelles ils allaient travailler. Donc l’ASCE-LC s’est retrouvée avec un personnel de 30 contrôleurs d’État en 2014 et aujourd’hui avec 23 contrôleurs d’État. C’est un manque en ressources humaines.

Ensuite, il y a le manque de ressources financières parce que le contrôle et l’investigation exigent de ressources. Quand vous devez vous autosaisir d’un problème, cela suppose que vous ayez les moyens d’investiguer. Si vous n’avez pas les ressources financières nécessaires, vous allez beau savoir que tel ou tel problème existe et qu’il faut fouiller, mais vous ne pourrez pas le faire. Surtout quand cela exige que vous fassiez des investigations à l’étranger.

Troisièmement, il y a l’impunité. Beaucoup d’actes de corruption et d’irrégularité sont restés sans sanctions et cela a conduit les uns et les autres à considérer qu’on pouvait prospérer dans la corruption. Quand vous regardez bien la courbe de la corruption au Burkina Faso, vous vous rendez compte qu’à partir de 2014, il y a eu une baisse significative de la corruption et qu’en fin 2016 on voit une remontée de la corruption. Et vous allez voir qu’en ce qui concerne la situation actuelle on va sentir une baisse de la corruption. Mais si des mesures ne sont pas prises, si l’impunité continue, si les corps de contrôle ne sont pas dotés de moyens pour véritablement engager la lutte contre la corruption, vous allez voir encore une efflorescence de la corruption. Et c’est ça qui est l’élément qui justifie le fait qu’aujourd’hui les acteurs de la lutte contre la corruption soient fragilisés. Aujourd’hui le REN-LAC se trouve dans une situation difficile dans la mesure où elle n’a pas les ressources nécessaires pour faire le travail qu’elle veut faire. Elle est obligée même de mettre une partie de son personnel en chômage technique. Vous vous imaginez? Alors que la lutte contre la corruption suppose qu’il y ait des moyens pour sauver des ressources qui seraient perdues pour la collectivité. C’est comme cela que je l’explique.

Quand vous regardez aussi le résultat que nous avions ces derniers temps avec l’adoption des textes concernant l’ASCE-LC, vous constatez que l’indice du Burkina Faso est remonté, nous avons gagné deux (2) points dans l’indice de transparency international. C’est cette constance qu’il nous faut pour permettre à l’institution de travailler. Une institution qui est d’ailleurs présentée par l’ONUDC comme l’une des constructions en matière de lutte contre la corruption la plus aboutie en Afrique.

Donc, cela veut dire qu’il faut lui donner les moyens et il faut considérer la lutte contre la corruption comme un investissement. Tant que l’on considère que la lutte contre la corruption, c’est empêcher de tourner en rond, en ce moment on ne mettra pas les ressources nécessaires. Alors que l’on peut préserver beaucoup de ressources si véritablement on déploie des mécanismes de régulations pour empêcher la survenue des actes de corruption.

Comment le citoyen burkinabè où qu’il se trouve peut-il alerter L’ASCE-LC en cas de constat de corruption?

La réponse dans cette vidéo

Certaines indiscrétions disent que vous murmurez aux oreilles du nouveau président. Comptez-vous jouer un rôle dans le processus de restauration enclenché par le président du MPSR?

Je ne sais pas où Jeune Afrique a tiré cette information. J’ai rencontré le président du MPSR deux fois. La première fois en même temps que les présidents d’institutions quand il les a reçus, la seconde fois à sa demande. Vous avez bien vu quand on a demandé aux membres du MPSR de se présenter lors de la prestation de serment du président Damiba, Luc Marius Ibrigra n’était pas parmi eux.

Propos recueilli par Hamadou Ouédraogo

Minute.bf

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