samedi 14 décembre 2024
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Mali: « Il serait difficile pour une économie presqu’en autarcie de battre sa monnaie », Economiste Fabrice Zongo

Doctorant en science économique au Burkina Faso, il oriente ses recherches sur la macroéconomie monétaire et financière. Fabrice ZONGO, puisque c’est de lui qu’il s’agit est aussi responsable du cabinet AFRICA EXPERTISE qui fait des Etudes, Consultations et des Formations en Afrique de l’Ouest et Centrale. Dans une interview accordée à www.minute.bf, il s’exprime sur les sanctions prises par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’Union monétaire ouest africaine (UEMOA) à l’encontre du Mali. Lisez !


Minute.bf : Comment avez-vous appris et accueilli les sanctions des institutions sous régionales (Ndlr; CEDEAO et UEMOA) imposées au Mali?


Fabrice ZONGO : c’est à travers Africanews que nous avons eu l’information avec plein de regret. Ces sanctions pourront être qualifiées de légales mais illégitimes.


Minute.bf : Légales mais illégitimes. Expliquez-vous.


Fabrice ZONGO : Lorsque vous appartenez à une communauté, il existe des règles et principes à suivre. Et lorsque vous enfreignez à ces normes, il est mathématique que les sanctions pleuvent. Mais illégitimes au regard de la sévérité de la sanction et surtout au fait que ces sanctions ne tiennent pas compte du contexte malien. Dans un contexte ou le Mali étant un pays déjà déboussolé par une double crise notamment sécuritaire et sanitaire, ces sanctions conjointes pourront être qualifiées de cyniques. Elles viennent encore exacerber les crises que traverse déjà le pays. Nous parlons d’un pays dont l’intégrité du territoire est gravement mise à mal par des indépendantistes et des djihadistes. La junte qui a pris le pouvoir s’est fixée un objectif principal, celui de faire recouvrer par le Mali la totalité de son territoire.


Minute.bf : Quel impact les sanctions peuvent-elles avoir sur l’économie malienne?


Fabrice ZONGO : Evidemment, elles auront un impact négatif. C’est pour cela que la mesure est qualifiée de sanction. Le gel de ses avoirs, la suspension des transactions avec Bamako et la fermeture des frontières provoquent effectivement l’inquiétude au Mali mais aussi les pays voisins peuvent en subir également. Nous qualifions cela d’asphyxie économique. Le pays n’a plus accès à ses comptes logés à la BCEAO. Cela est assimilable à une personne qui ne peut plus accéder à son compte en banque voire à son portefeuille électronique. Il devra donc planifier et lisser sa consommation sur la base de ce qu’il possède en poche uniquement. Le Pays de GOITA ne peut compter que sur ses réserves au Trésor public. Et il faut retenir que la valeur des dépôts bancaires dans l’UEMOA ne constitue qu’une petite partie des crédits accordés à l’économie. Nos économies sont financées ex-nihilo. Par conséquent, il serait difficile pour un Mali en autarcie de financer son économie sur la base de ses dépôts bancaires. L’un de mes travaux de recherche scientifiques en 2020 portait sur cette question.


Minute.bf : Financement bancaire ex-nihilo, c’est-à-dire?


Fabrice ZONGO : C’est le pouvoir de création monétaire qu’une banque secondaire possède par le biais d’un simple jeu d’écriture. Une banque peut vous accorder de l’argent qu’elle-même ne possède pas. Mais elle le fait car la banque mère notamment la BCEAO est tenue de la refinancer. Donc vous convenez avec moi que le pays de GOITA peinera à s’en sortir si la BCEAO rompt ce refinancement des banques secondaires.


Minute.bf : Quels peuvent être les effets du gel des avoirs sur l’économie malienne ?


Fabrice ZONGO : Le gel des avoirs au sein de la BCEAO aura un impact négatif sur les importations maliennes. Pour importer avec ses autres partenaires il faudra nécessairement des devises. Et pour avoir des devises, il faut aussi exporter. Exporter quoi, comment, et avec qui ? En rappel, les échanges intra régionaux au sein de nos économies sont très faibles. Nos échanges sont plus orientés vers les pays du nord. L’exportation est la résultante de la production. Or dans le contexte d’un Mali asphyxié, il serait difficile d’avoir une production réelle et soutenue.


Minute.bf : Mais que dites-vous par rapport à une certaine opinion qui estime que le Mali peut battre sa propore monnaie pour contourner ces sanctions?


Fabrice ZONGO : Rirres !! La monnaie ce n’est pas un article que chacun peut décider de concevoir. Une monnaie est avant tout fiduciaire afin d’être viable. Et cette viabilité nécessite impérativement une économie réelle de production. C’est l’économie de production qui défend la valeur interne et externe d’une monnaie. Donc, il serait difficile pour une économie presqu’en autarcie de battre et d’assurer la viabilité de sa monnaie.


Minute.bf : Que faut-il entendre par monnaie fiduciaire ?


Fabrice ZONGO : Vous acceptez un billet parce que vous croyez en sa valeur même s’il est morcelé en deux. Sa valeur y demeure malgré son état. C’est la confiance que les agents économiques auront de la monnaie qui lui conférera sa valeur. Mais quant à sa viabilité, cela relève du système économique. Donc la viabilité de ladite monnaie malienne que prétendent ces panafricains dépendra du dynamisme de son économie qui se trouve elle-même sous asphyxie actuellement. Anéantir les 60% des échanges que le Mali entretenait avec ses voisins peuvent également être un coup dur pour ses voisins principalement le Sénégal qui est l’un de ses principaux partenaires d’échange. Nous sommes dans un contexte de mondialisation, d’où la nécessité d’aller vers la vraie intégration économique et monétaire. Ce n’est pas un fait nouveau, ce que vous dites. Et en rappel, le 30 juin 1962, le Mali avait quitté la Zone Franc CFA en créant sa propre monnaie, qui sera mise en circulation le 1er juillet 1962, ainsi que son Institut d’Emission. Mais cela n’a pas marché et le 17 février 1984, il signe l’Accord pour adhérer à nouveau à l’UMOA.


Minute.bf: Selon vous, quelle est l’alternative pour une sortie de crise ?


Fabrice ZONGO : Je ne suis spécialiste ni en relations internationales, ni en politique mais je pense que la junte gagnerait à établir un nouveau calendrier pour des élections démocratiques tant souhaitées. Egalement, elle gagnerait à renouer le dialogue politique avec les institutions régionales pour trouver une meilleure issue car à mon humble avis, un bras de fer ne serait pas à leur avantage. Nous espérons en outre que nos institutions sous régionales reviendront à de meilleurs sentiments en faisant plus de preuve de compréhension et en prenant en compte les spécificités du contexte malien.

www.minute.bf

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