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jeudi 28 mars 2024

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Manque d’assainissement au Burkina : Une négligence aux lourdes conséquences

Environ une centaine de milliards perdus chaque année, première cause des consultations dans les formations sanitaires du Burkina, cause d’abandon des études, attentat à la dignité. Ce sont entre autres, les conséquences dont souffre le Burkina Faso à cause du manque d’hygiène et d’assainissement. Les personnes averties de la question appellent à un renversement de la situation.

« La situation de l’assainissement au Burkina Faso est catastrophique », s’insurge Pouya Celestin, Directeur du département Plaidoyer et communication de l’ONG WaterAid. Beaucoup de Burkinabè vivent encore, pour une raison ou pour une autre, dans des conditions insalubres. Ce cadre insalubre se caractérise souvent par la présence d’eaux usées voire en proximité de matière fécale puisque la carence de toilette oblige des personnes à se soulager à l’air libre. Même dans les grandes villes comme Ouagadougou, les propos de M. Pouya peuvent se vérifier.

Vivre en proximité avec l’insalubrité

Un constant constat dans plusieurs rues des « vieux quartiers de Ouagadougou » comme Zogona, Dapoa, Wemtenga. Les eaux usées domestiques jonchent les rues à la merci des enfants, des passants, et même ceux qui les y jettent. Même l’intérieur des cours n’est pas épargné. Cette situation prévaut en saison sèche, mais prend une autre tournure pendant la saison pluvieuse. En effet, des personnes profitent de la tombée de la pluie pour vider leur WC et leurs toilettes dans les rues publiques, embaumant le quartier d’odeurs nauséabondes et couvrant les rues d’eaux encrassées. Outré par un tel degré d’insalubrité, Narcisse (nom d’emprunt) qui connait bien ces quartiers, n’hésite pas à classer certains d’entre eux qui partagent les mêmes réalités parmi les quartiers les plus sales de la capitale burkinabè. Un fait que nous avons remarqué avec stupéfaction en début d’année à côté d’une cour non loin d’un restaurant universitaire situé à Zogona où les étudiants prennent leurs déjeuné et diner. Une petite montagne d’excréta dégageant des odeurs nauséabondes se mêlent aux odeurs des plats fumants dudit restaurant. Un cocktail d’odeur qui n’empêche pas les étudiants comme Karim d’y aller se restaurer. « On voit mais, on n’a pas le choix. Comme ce n’est pas pour durer, tu manges rapidement et tu repars», confie t-il tout confiant.

Selon Pouya Celestin, un seul gramme d’excrément à l’air libre peut causer d’énormes dégâts au plan social, économique, sanitaire et environnemental 

On nous rapporte une bagarre qui a failli éclater entre deux voisins dans le quartier voisin, Wemtenga. Un a profité de la tombée d’une pluie pour vider son WC sur la voie publique. Dérangé l’effroyable odeur, un voisin se plaint et l’autre de répondre : « Va vivre à Ouaga 2000 ». Des interventions ont pu empêcher que ces deux en viennent aux mains.… Mais en réalité, ces vieux quartiers ne font pas l’exception. Dans ces quartiers évoqués comme dans bien d’autres quartier de la capitale, ils sont nombreux les personnes qui profitent des pluies pour vider les excréta dans la rue. Il n’est donc pas rare de voir des tas de ces déchets à côté des concessions qui s’adonnent à ces pratiques. Le manque de dispositif permettant de stocker, de collecter, de transporter voire de traiter les eaux usées et excrétas poussent les citadins à les jeter dans la rue. La situation semble pire dans les quartiers périphériques encore appelés non lotis. En effet, le document « Inégalités de santé à Ouagadougou Résultats d’un observatoire de population urbaine au Burkina Faso », produit par des universitaires indique que « Dans l’ensemble, les ménages suivis jettent leurs eaux usées dans la rue (77 %) ou dans leur cour (13 %). Ces proportions sont légèrement moins élevées en zone lotie (respectivement, 75 % et 10 %) par rapport aux zones non loties (respectivement, 78 % et 15 %). En revanche, les fosses septiques, utilisées par 8 % des ménages dans les quartiers lotis, sont pratiquement inexistantes en zones non loties (2 %) ». Ceux qui s’adonnent à ces pratiquent évoquent des questions de moyens pour prendre ces raccourcis. Des observateurs avertis comme Herman Doanio, économiste et secrétaire du Centre d’études et de Recherche Appliquée en Finances Publiques (CERA-FP) pensent que l’une des raisons fondamentales de la carence d’infrastructure pour maintenir un cadre de vie sain est la faiblesse du budget alloué à ce secteur.

Des excréments qui s’éffritent sous l’effet du vent et des pas des usagers 

Une budgétisation inopérante du secteur de l’assainissement ?

Les personnes averties de la question de l’assainissement estime que le secteur implique un financement conséquent. On peut ainsi lire dans le « Rapport de l’étude d’évaluation du niveau de prise en compte des services sociaux (Eau et assainissement, Santé et éducation) dans la loi de finance 2021 au Burkina Faso », une étude citoyenne réalisée par le CERA-FP que : « La réalisation du droit d’accès universel à l’eau et l’assainissement passe par un financement adéquat et équitable qui prenne en compte les coûts d’investissement, les coûts d’exploitation et de maintenance, les coûts financiers, les taxes ainsi que les coûts d’appui ou mesures d’accompagnement ». A l’état actuel du financement ddu secteur, Hermann Doanio distingue cinq sources de financement : les ressources nationales à travers le budget de l’Etat pour 15%; l’aide extérieure à travers des conventions de financement avec les partenaires au développement notamment les ONG pour 83%; et le produit de la contribution financière des usagers et le recours à des fonds privés pour 2%. Ce qui montre que le financement de ce secteur est très fortement dépendant des acteurs des donateurs extérieurs. « C’est un problème», s’offusque l’économiste. Pire, l’étude que son centre a menée indique en comparaison avec les prévisions globales, que les ressources prévisionnelles du Ministère de l’Eau et de l’Assainissement ont représenté en moyenne 2,49% du budget total de l’Etat, sur la période de 2016 à 2021. Dans la foulée, une dizaine d’organisation de la société civile burkinabè ont conduit une autre étude dénommée « analyse citoyenne sur le projet de budget de l’Etat, exercice 20223 ». Il y ressort que le secteur de l’eau et de l’assainissement bénéficiera d’une dotation de 73,340 milliards FCFA en 2022 soit 2,54% du budget de l’Etat. Pour les auteurs de l’étude, « cette part du budget est considérablement faible par rapport aux besoins exprimés par la population ». Des chiffres qui font dire à Pouya Celestin que la part du budget consacré au secteur est « insignifiante » au regard des enjeux. D’ailleurs se fondant sur les allocations budgétaires qui croisent à petit pas chaque année, le directeur de la communication dit être septique quant à la possibilité du Burkina d’atteindre les objectifs du Développement Durable à l’horizon 2030 en matière d’assainissement.

Des chiffres alarmants

En matière d’assainissement, Sawadogo/Ouedraogo Anissatou de la Direction Générale de l’Assainissement, indique – à l’occasion d’un atelier avec des journalistes- que la population totale desservie en 2020 est de 5 299 287 personnes sur une population totale de 18 620 427 personnes soit un taux de 25,3%. En milieu rural, le taux d’accès à l’assainissement est passé de 0,8% à 19,9% en 2020 avec un une population desservie de 2 941 898 personnes sur de 13 494 205 personnes en milieu rural. En milieu urbain, le taux d’accès à l’assainissement est passé de 21,5% à 38,4% en 2020. Par ailleurs, en matière d’abandon de la défécation à l’air libre, au niveau national, « seulement 333 villages sur les 8435 villages que compte le Burkina Faso ont été certifiés avoir mis fin à la défécation à l’air libre ». De ces chiffres, Sawadogo/Ouedraogo Anissatou fait de tristes constats des problèmes d’assainissement à l’échelle nationale : une « Insuffisance des infrastructures; absence d’entretien efficace des infrastructures d’assainissement »; la « non intégration dans bonnes pratiques dans les habitudes des populations »; la « méconnaissance des risques liés au manque d’hygiène et d’assainissement »; l’ « incivisme des populations quant à l’adoption des bonnes pratiques d’hygiène et d’assainissement ». Elle relève également que les eaux usées et boues de vidange sont « rejetées très souvent allègrement dans la rue ou dans la nature sans une préoccupation pour leur contenu ni précaution pour leur destination; la majorité des populations surtout en milieu rural utilise encore la nature pour déféquer ». Déféquer dans la nature a de lourdes conséquences.

Les selles dans la nature, poison tous azimuts

Déféquer dans la nature est un véritable danger qui malheureusement est largement en cours au Burkina Faso. M. Pouya se référant au taux global d’accès à l’assainissement au Burkina au 31 décembre 2020 qui est de 25%, s’alarme des plus de 70% de personnes qui « défèquent » à l’air libre. Il signale que dans un gramme d’excrément humain on peut y trouver dix millions de virus, un million de kystes, 100 œufs de vers. « Imaginez tous ces excréments qu’on retrouve dehors, c’est tout ça qui reviennent dans nos assiettes, nos sauces, viande grillée et que nous consommons et qui causent des problèmes de santé publique », souligne-t-il. Le directeur du plaidoyer et de la communication de Wateraid évoque une étude menée par l’OMS qui révèle que 70% des lits d’hôpitaux sont occupés par des personnes qui ne devraient pas y être si ces personnes avaient un meilleur accès à l’assainissement. Il ajoute que le problème d’assainissement se pose avec acuité dans les écoles. Et ce sont les filles qui paient le lourd tribut, car les établissements n’offrent pas de cadres assez assaini adéquats et équipés pour leur permettre de gérer les menstrues. Ainsi, 83% des filles élèves souffrent de cette situation. Conséquence ? Selon une étude réalisée par Wateraid et l’UNICEF 21% des jeunes filles s’absentent tous les mois à cause du manque d’infrastructures leur permettant de gérer leurs menstrues à l’école. Certaines finissent même par abandonner les études. Surtout que 48% des écoles du Burkina n’ont pas accès à l’eau.

Madame Sawadogo/Ouedraogo Anissatou indique que les premières causes de consultation dans les formations sanitaires sont les maladies liées au manque d’hygiène et d’assainissement. Et cela se note également par une forte prévalence des maladies diarrhéiques, une aggravation de l’état de malnutrition des enfants, une augmentation de la mortalité surtout infantile. Elle précise que 700 enfants de moins de 5ans meurent tous les jours par manque d’hygiène et d’assainissement. Le chapitre III du livre des universitaires qui aborde les conditions de vie environnementales sous l’angle assainissement, accès à l’eau, etc de différents quartiers de la capitale burkinabè met en exergue le lien entre le manque d’assainissement (eaux usées, excréta) et le taux élevé de maladies voire de décès enregistrés. Plus spécifiquement, le livre s’est intéressé à la santé environnementale des enfants, dont on sait qu’ils sont plus sensibles à l’insalubrité, du fait notamment de leur système immunitaire encore en maturation. « Ainsi, le fardeau des maladies infantiles liées aux risques environnementaux représente-t-il une part importante de la charge de morbidité : selon un rapport de l’OMS, 23 % de la charge globale de morbidité ainsi que 26 % des décès des enfants dans le monde s’expliqueraient par l’environnement domestique et les conditions d’habitat (Prüss-Ustün et al., 2016) », indique le livre. Pour avoir le cœur net, nous rendons dans une formation sanitaire de Saaba entourée de plusieurs quartiers non viabilisés. Un agent de santé confie que la plupart des enfants reçus souffrent de maladie liées aux eaux insalubres. Il s’agit notamment de la diarrhée et quelpart le palusisme. Cette assertion est confirmée par l’étude des universitaires sur la santé.

Le Burkina perd chaque année 86 milliards du fait du manque d’assainissement

Selon une étude documentaire faite par le programme Eau et Assainissement de la Banque Mondiale en 2012, cité par Sawadogo/Ouedraogo Anissatou, le Burkina Faso « perd chaque année 86 milliards de FCFA par manque d’assainissement. Un montant qui équivaut à 2 % du PIB national. Ce qui montre que le défaut d’assainissement est un véritable obstacle au développement du pays. Sur le plan social, Sawadogo/Ouedraogo indique que le manque d’assainissement constitue « un véritable frein à l’éveil des communautés, un manque de dignité, fragilise la main d’œuvre locale, entraine l’abandon de l’école par les filles ». Pouya Celestin évoque même un problème de sécurité… Au plan environnemental, Mme Sawadogo assure que la défécation à l’air libre est préjudiciable pour les ressources naturelles. On estime que 200 millions de tonnes d’excréments humains aboutissent annuellement dans les cours d’eau. Ce qui a des conséquences sur les conditions de vie des êtres vivants, végétaux et animaux. Selon le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), dans les pays en développement, environ 90 % des eaux usées domestiques et industrielles sont rejetées sans aucun traitement, polluant ainsi les habitats, les ressources en eau et les écosystèmes. Malheureusement le Burkina ne fait pas l’exception.

Les leviers du changement

Les spécialistes du secteur sont unanimes pour dire que la situation peut être renversée. Pour ce faire, l’ingénieur rural au Service Planification et Programmation de la Direction Générale de l’Assainissement, Bassina Ouattara et Pouya Celestin s’accordent pour dire que des fonds conséquents doivent être investis dans le secteur. « Donnons-nous les moyens à la hauteur de nos ambitions si on veut avoir un accès universel en matière d’assainissement», clame M Pouya. Ce dernier pense également qu’il faut un renforcement du capital humain aux fins d’avoir des acteurs compétents dans le secteur. Il propose en plus l’amélioration de la gouvernance du secteur. A ce titre, pour lui, les autorités nationales et communales doivent être à mesure d’élaborer des programmes qui correspondent aux besoins des populations. Les acteurs s’accordent pour dire que des acteurs comme les Hommes de médias ont un grand rôle à jouer en matière de sensibilisation en vue d’induire un changement de comportement…

Hamidou TRAORE

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