jeudi 12 décembre 2024
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Non-respect du code de la route : un piège mortel pour les cyclistes

« À Ouagadougou, on ne circule pas, on se feinte ». C’est l’adage courant adopté par les Ouagavillois, dans une posture de résilience comme pour légitimer certaines dérives constatées au quotidien dans les artères de la capitale burkinabè. Ouagadougou est une ville où le klaxon est roi et où la circulation routière est un véritable casse-tête. Automobilistes, motocyclistes, cyclistes, et même piétons, foulent au pied les principes élémentaires du code de la route. Dans cette bataille de la route, les cyclistes, souvent considérés comme les plus faibles, font partie des premiers auteurs de l’incivisme routier. Chaque jour, des vies s’éteignent, des familles sont endeuillées à cause d’un simple tour de roue mal négocié. Le non-respect du code de la route, loin d’être une simple infraction, est un véritable fléau qui menace la sécurité de tous. Immersion dans un univers où l’usager côtoie sans cesse la mort !

Vidéo – Des usagers s’expriment sur le comportement des cyclistes en circulation

Les statistiques sont sans appel : les accidents impliquant les usagers à deux roues sont en constante augmentation. Les causes sont multiples : vitesse excessive, dépassements dangereux, non-respect des feux tricolores, circulation sur les trottoirs… Les conséquences sont dramatiques : blessures graves, invalidité à vie, et bien souvent, le pire : la mort.

En 2021, selon un bilan établi par le Ministre en charge de la sécurité dans son discours à l’occasion de la Journée nationale de sensibilisation sur la sécurité routière, ce sont 1 272 décès qui ont été recensés. En 2022, les accidents de la circulation ont causé la mort à 1 150 personnes contre 906 en 2023. Au premier semestre de cette année 2024, l’on déplore déjà 567 cas de décès.

Les accidents les plus rencontrés sont, entre autres, ceux impliquant des engins à 2 roues contre 2 roues, 2 roues contre des véhicules à 4 roues, 2 roues contre un objet fixe ou tombé seul. « Le plus généralement dans ce (dernier) cas, c’est le manque de maitrise du moyen, parce que, soit on est en excès de vitesse ou en état d’ébriété », déduit le chef de bataillon, Didier Bazongo, Commandant de la première compagnie d’incendie et de secours de la Brigade nationale des Sapeurs-pompiers (BNSP), précisant que « les engins à deux roues représentent plus de 90% des cas d’accidents ». En effet, en 2023, la BNSP est intervenue pour 11 918 cas d’accident de circulation, dont 10 757 impliquaient les engins à deux roues, soit les engins à deux roues entre eux ou contre d’autres moyens de locomotion.

Les cyclistes se faufilent entre les autres usagers de la route pour se positionner après le feu tricolore. D’autres traversent même la voie sans s’arrêter (Photo prise au carrefour du lycée Benaja)

En termes de gravité, selon les données de 2023, les pompiers ont noté 11 461 victimes conscientes ; 409 victimes ont été secourues mais étant inconscientes ; malheureusement 209 cas de décès ont été constatés sur place. « Ces chiffres évoluent en dents de scie, d’année en année, mais il n’y a pas de baisse notable enregistrée au cours de ces dernières années. Ce qui appelle à d’avantage renforcer les mesures de sécurité routière pour considérablement inverser la tendance », pense le commandant de la Brigade Nationale des Sapeurs-pompiers.

A Ouagadougou, certains axes sont plus « accidentogènes » que d’autres, relève-t-il. Sur le Boulevard des Tensoba, par exemple, la BNSP dit avoir recensé, en 2023, 309 cas d’accidents de types confondus. La sortie sud de Ouagadougou sur la RN5 (route de Pô), est classée deuxième axe « accidentogène ». Ensuite viennent le Boulevard Thomas Sankara, l’avenue Boulmiougou et l’avenue Yatenga.

Lire aussi : Kamboinsin : un décès dans un accident de circulation

La tranche d’âge de 18-35 ans, souligne le commandant Bazongo, est la plus impliquée dans les accidents de circulation. Les causes généralement liées à cette tranche d’âge, sont régulièrement le non-respect des feux et des panneaux de signalisation. A cela s’ajoute l’excès de vitesse.

Dans une démarche comparative des périodes, en termes de nombre de cas d’accidents, le commandant Bazongo confie qu’en saison des pluies, « il y a moins d’accidents » par rapport à la saison sèche. La raison qu’il avance est que cela coïncide avec la période des vacances où il y a moins d’élèves dans la circulation. « Cela réduit le nombre d’accidents », estime-t-il. Mais lorsqu’il y a une pluie qui se prépare, nuance le commandant Bazongo, le plus souvent les gens qui essaient de rentrer très tôt chez eux commencent à courir dans tous les sens. Ainsi, avec le vent et le sable qui réduisent la visibilité, le désordre dans la circulation cause quelques accidents. En dehors de ces cas spécifiques, la saison des pluies, insiste ce soldat du feu, est une période qui connait une baisse du taux d’accidents dans la capitale burkinabè.

Mais, à l’approche des fêtes de fin d’année, le nombre de cas d’accident augmente. Cela peut être dû, selon lui, à l’accroissement des populations de la capitale, en cette période de grande réjouissance.

Des bicyclettes accidentées entreposées au service régional de la sécurité et de la circulation routière du centre

Des blessés, et des familles endeuillées dans des accidents

Lundi 17 avril 2023. Le soleil vient de faire son apparition sur la capitale burkinabè. Ses rayons qui transpercent les quelques nuages flottant encore dans le ciel, annoncent déjà les couleurs d’une chaude journée aux Ouagavillois. Ce matin-là, comme tous les jours ouvrables, les voies sont bondées de monde. C’est l’heure d’aller au boulot. L’avenue Yatenga (route de Ouahigouya, RN2) est prise d’assaut par les usagers. Automobilistes, motocyclistes, cyclistes et piétons se négocient âprement cette voie dépassée par le nombre d’usagers. Le bitume, fortement rongé sur tous ses côtés par le ruissellement des eaux de pluie, présente une morphologie dentelée, augmentant le risque d’accident.

Comme toujours, Fatoumata (nommons-là ainsi) a enfourché sa bicyclette et s’est, elle aussi, lancée sur cette voie connue pour ses embouteillages interminables. Elle a service à 08h et doit donc être au bureau avant cette heure. Une routine qu’elle espère accomplir comme d’habitude.

Mais ce jour-là, Fatoumata ne pourra pas atteindre son lieu de travail. La jeune fille de 27 ans est fauchée par un automobiliste. Le constat amer est fait à 7h 03 mn par la police nationale. L’espoir de toute une famille vient de prendre un coup. Fatoumata a été retrouvée gisant dans son sang, par les éléments du service régional de la circulation et de sécurité routière du Centre, chargés du constat d’usage. Les résultats du constat que nous avons pu lire montrent que la victime Fatoumata a été elle-même à l’origine de cet accident qui l’a précipitée, très tôt, dans la tombe. Elle a effectué un « dépassement défectueux », qui n’a pas respecté la distance latérale de sécurité. Elle a donc été victime de son « imprudence ».

(@minute.bf) Les deux femmes sur l’image n’ont pas marqué un arrêt au feu rouge (Photo prise au feu tricolore de Kilwin)

Plus d’un an après cet incident, précisément le 10 juillet 2024 à 07 h 30 mn, sur la Rue Naaba Yilen, devant le Lycée AV Maria de Tampouy, une autre fille ne verra pas le coucher du soleil. Rosine (nom d’emprunt), 17 ans, débute une journée ensoleillée en cette saison de pluie. Mais, elle est loin de s’imaginer qu’elle ne reverra plus sa famille qu’elle venait de quitter ce matin-là pour effectuer une course en ville. Alors qu’elle actionnait frénétiquement sa monture dans cette circulation routière de tous les risques, elle est mortellement percutée par un automobiliste. Une journée sombre. Rosine quitte ainsi le monde des vivants, à la fleur de l’âge. Une autre famille vient d’être endeuillée. La cause de l’accident, selon le Sous-lieutenant de police, Hamidou Ouédraogo, chef de la section des accidents du service régional de circulation et de sécurité routière du centre, est liée au « changement défectueux, au non-respect de la distance latérale de sécurité » du conducteur de cette Mercedes, plus tard condamné pour homicide involontaire.

Lire aussi : Tronçon Hôpital Paul VI – Kamboinsé : Les 5 kilomètres de la mort…

Souley (nom d’emprunt), ce jeune garçon de 12 ans a, quant à lui, eu la chance ce 27 novembre 2024. Il fait partie des accidentés blessés, portant toujours les séquelles de son mal et n’oubliera pas de sitôt cette journée. Cet apprenti mécanicien a enfourché sa bicyclette de couleur rouge défraîchie, ce 27 novembre à Wobdègré (dans l’arrondissement 9 de Ouagadougou), au petit matin, pour se rendre à son atelier sis à Kamboissin, un quartier situé à la périphérie nord de la capitale burkinabè. Il emprunte la « voie rouge » qui dessert Pazani et les quartiers environnants. Arrivé au croisement de la route nationale 22, en amorçant sa montée sur la voie bitumée, il est percuté par un motocycliste, et trimballé sur plusieurs mètres. Le choc est grand. Sa tête, son coude et le côté droit de son abdomen sont rongés par le goudron. Le vélo de l’adolescent est brisé en deux morceaux. Transporté d’urgence à l’hôpital, il aura la vie sauve grâce aux soins qui lui ont été administrés. Les causes de son accident, selon le Sous-lieutenant de Police Hamidou Ouédraogo, sont liées au « non-respect de la distance de sécurité, à la vitesse excessive et à l’inattention du motocycliste » qui l’a percuté.

Présent au service de la sécurité routière ce 29 novembre 2024 pour récupérer ce qu’il lui reste de sa monture, Souley, souriant difficilement, n’a pas oublié les circonstances de l’accident qui lui aurait été fatal, n’eut été la « grâce de Dieu ».

Vidéo – Souley promet d’être désormais beaucoup plus vigilant en circulation

Voilà quelques cas qui résument, en quelque sorte, le quotidien des populations de Ouagadougou, où, chaque jour, les sirènes stridentes des Véhicules de secours et d’assistance aux victimes des sapeurs-pompiers, résonnent dans les têtes, ce, dans tous les quartiers de la ville.

Des accidents aux causes multiples

De façon générale, les causes des accidents sont multiples, et sont classées en 3 catégories. En première catégorie, souligne le sous-lieutenant de police Ouédraogo, il y a la cause humaine. Il s’agit plus précisément du comportement de l’homme qui peut être associé à l’ignorance du code de la route, à l’abus d’alcool, à la maladresse, à l’usage de stupéfiants, etc.

En deuxième catégorie, c’est la cause mécanique. Le dysfonctionnement du système du véhicule, le non-respect de la visite technique, etc., sont des éléments que l’on associe à cette catégorie.

En troisième position, vient la cause technique qui peut être liée à l’état du réseau routier, à savoir l’étroitesse ou le mauvais état des voies, l’absence de panneau de signalisation dans certains endroits (des dangers non signalés, ndlr.).

Lire aussi : Ouagadougou : Une personne tuée dans un accident de circulation à Tampouy

Vidéo – Le Commandant de la première compagnie de la BNSP appelle les usagers au respect du code de la route

Pour sa part, le capitaine de police, Yamyia Sawadogo, intervenant sur le cas spécifique des cyclistes, pense que « l’incivisme routier » est la principale cause des nombreux accidents constatés dans les rues de la capitale burkinabè. « Même si la règlementation actuellement en vigueur n’oblige pas un cycliste à connaître le code de la roue, on doit connaître les principes élémentaires du code de la route avant de se jeter en circulation », pense-t-il. Malheureusement, « il y a certains usagers qui ont suivi les cours dans les auto-écoles, qui ont le permis de conduire, mais qui ne respectent pas le code de la route. C’est ce que j’appelle incivisme routier », regrette-t-il. Au-delà de ces cas, il y a aussi, poursuit-il, le fait que « les gens veulent avoir le temps rapidement pour aller vaquer à leurs occupations et ils se fichent encore de ce que dit la règlementation sur le code de la route ». « Il y a également ceux qui sont inconscients qui, malgré le risque de se faire écraser, se fichent du respect du code de la route », fustige le capitaine de police, Yamyia Sawadogo.

Ces cas d’incivisme ne sont pas sans conséquences. Selon les statistiques recueillies seulement dans deux services de police, à savoir le Service régional de la circulation et de la sécurité routière du centre, et le commissariat central de la ville de Ouagadougou, en 2022, ce sont au total 25 cas d’accidents qui impliquaient les bicyclettes. 23 blessés ont été enregistrés au cours de ces accidents, et 25 dégâts matériels constatés. En 2023, dans ces deux services, ce sont 37 cas d’accidents qui ont été enregistrés, causant 32 blessés et 37 dégâts matériels. Malheureusement, une personne a succombé à ses blessures. En 2024, à la date du 29 novembre, 24 cas d’accidents impliquant des cyclistes ont déjà été constatés. Ces accidents ont causé un décès, 19 blessés et 24 dégâts matériels. Précisons que ces statistiques ne représentent pas celles de toute la région du centre. La capitale burkinabè compte plusieurs services de police habilités à faire les constats d’usage. Et, selon le capitaine de Police Sawadogo, il y a bon nombre d’accidents impliquant des cyclistes où il n’est pas fait appel aux services de constat. « Ils s’entendent sur le terrain, le règlement à l’amiable. En matière d’accident de la circulation routière, la loi autorise que les gens résolvent leurs problèmes à l’amiable, comme ils peuvent aussi se faire assister par les services de justice. Raison pour laquelle, la majeure partie des accidents qu’on constate dans la ville, ne sont pas répertoriés au niveau de nos statistiques », a-t-il expliqué.

(@minute.bf) Des élèves qui circulent en occupant toute la voie (Photo prise à Pô, le 26 novembre 2024)

Quelles sanctions pour les usagers qui ne respectent pas le code de la route ?

Les usagers qui ne respectent pas le code de la route sont passibles de sanctions. La règlementation en matière de répression des infractions en lien avec la circulation routière est catégorisée. Il y a le délit routier. On peut aussi citer les faits contraventionnels. « Ce sont des infractions que, lorsque vous les commettez, vous n’êtes pas passibles de faire la prison. On va juste vous demander de payer des amendes forfaitaires, vous cessez l’infraction avant de récupérer votre document ou votre engin », situe le capitaine de Police Sawadogo.

Mais au niveau des cyclistes, au-delà des cas délictuels, un cycliste pris en état d’ivresse est sanctionné. « C’est un délit, ce n’est pas une contravention », martèle-t-il. « Vous pouvez voir un cycliste qui est auteur d’un accident, et qui refuse de s’arrêter pour assister la victime ; ce fait est aussi qualifié de délit routier. », a-t-il poursuivi.

« Les sanctions sont appliquées », assure le capitaine de police. En effet, à l’entendre, lorsque les cyclistes ne respectent pas le code de la route pendant qu’il y a des policiers qui régulent la circulation à certains endroits, leurs bicyclettes sont saisies. L’auteur vient cesser l’infraction en payant la contravention. Au-delà de cela, il y a la sensibilisation que la police mène auprès de ces contrevenants.

Vidéo – Le capitaine de police Yamyia Sawadogo pointe les infractions des cyclistes

L’Office National de Sécurité Routière (ONASER), dans ses actions de sensibilisation à l’adoption d’un meilleur comportement des usagers dans la circulation routière, a établi un code de bonne conduite que nous vous proposons ci-dessous.

Code de bonne conduite…

Télécharger également ce code de bonne conduite ici :

Dans la vidéo ci-dessous, Ingrid Raïssa Kpoda/Kam, Attachée en étude et en analyse à l’ONASER, pour qui « les accidents aujourd’hui sont une question de santé publique », revient sur les obligations des cyclistes, et le comportement à adopter lorsque l’on est engagé en circulation…

Vidéo – Ingrid Raïssa Kpoda/Kam de l’ONASER revient sur le type de vélo habilité pour la circulation

Lire aussi : Sécurité routière : « Portez vos casques car vous n’avez pas de tête de rechange à la maison » (Mouni Mouni)

Le non-respect du code de la route par les cyclistes à Ouagadougou est devenu un enjeu de sécurité publique. La cohabitation entre les différents usagers de la route ne sera possible que par une prise de conscience collective des dangers que représentent ces infractions.

Le jeudi 5 décembre dernier, à 17 h 32 mn. Nous sommes au feu tricolore jouxtant le Lycée Benaja, au quartier Cissin de Ouagadougou. Le soleil amorçait sa chute dans les entrailles du ciel. C’est l’heure de pointe. A ce grand carrefour, automobilistes, motocyclistes et cyclistes se disputaient la voie. Le feu tricolore était royalement ignoré par bon nombre d’usagers, malgré la présence remarquée de la police nationale, dont le tintamarre des sifflets ne connaissait presque aucune interruption. C’est le quotidien à Ouagadougou, où chaque, des usagers de la route côtoient la mort. Le respect du code de la route, une autre guerre à remporter par le Burkina Faso, pour épargner des milliers, voir des millions de vie chaque année…

Par Armand Kinda

Minute.bf

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