dimanche 8 septembre 2024
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Ouagadougou : Ces fossoyeurs bénévoles du cimetière route de Kamboinsin qui apportent « la paix » aux morts

« Si le bénévolat n’est pas payé, ce n’est pas parce qu’il ne vaut rien, mais parce qu’il n’a pas de prix ». Cette citation de Sherry Anderson, Aboubacar Tiemtoré et ses camarades l’ont bien comprise. Eux qui ont fait du fossoyage un travail bénévole, parallèlement à leur profession de commerçants. Depuis plusieurs années, ils ont décidé de mettre en place une association en vue de bien mener leurs activités. Chaque matin, ils se rencontrent au cimetière route de Kamboinsin à Ouagadougou, dans l’arrondissement 9, pour aider les proches des défunts à préparer les dernières demeures pour les défunts. A ces bonnes volontés, Minute.bf consacre un reportage !

Il est 8h ce 1er mars 2023 à Ouagadougou. C’est l’heure de pointe. Les rayons solaires dardaient déjà la capitale burkinabè. La circulation est dense. Dans ces embouteillages interminables, slaloment silencieusement aussi des cortèges funèbres, avec des feux de détresse allumés. Au passage d’un corbillard, certains usagers de la route stationnent au bas-côté de la voie pour « saluer le devancier ». Un respect que l’on voue aux morts à Ouagadougou comme dans les autres localités du Burkina Faso. C’est la coutume.

En ce début du mois de mars, à la nécropole de Kamboinsin, des engins à deux roues sont à perte de vue dans le parking adossé au grand mur qui ceinture ce boulevard des allongés. Les véhicules sont stationnés pêle-mêle, à la devanture du cimetière. Plusieurs dépouilles devraient être inhumées ce jour. A l’intérieur du cimetière, des groupes de personnes sont formés à plusieurs niveaux. Ces personnes s’afféraient à creuser des tombes pour l’inhumation de leurs proches. Dans ces groupes, se trouvent des membres de l’Association Song-Taaba Wend Yinga (ASTAWY). Eux, ce sont les fossoyeurs bénévoles qui donnent le « sourire » aux morts.

L’entrée principale du Cimetière route de Kamboinsin

A notre approche de ces groupes qui devisaient silencieusement, avec des mines pâles ridées par la détresse d’avoir perdu un être cher, le tintamarre des pioches, mêlé aux perceuses surplombaient les voix des populations meurtries présentes sur ces lieux. Certains creusent à l’aide des pioches et barres à mine, d’autres, munis de pelles, enlevaient la terre du tombeau et travaillaient à y lever toute aspérité. Nous sommes guidés par Ismaïla Congo, Secrétaire général (SG) de l’ASTAWY. Vêtu d’un boubou gris et coiffé d’un bonnet blanc avec une barbe noire, M. Congo nous plonge dans l’univers du fossoyage. Il nous fait faire le tour des différentes tombes qui étaient en train d’être préparées pour accueillir dans les très prochaines heures, des dépouilles.

Sur les lieux, ce jour, c’est presque une dizaine de tombes qui étaient en train d’être creusées. En effet, en plus des tombes qui attendent leurs locataires du jour, d’autres sépultures sont préparées par les membres de l’ASTAWY. Ce cimetière héberge déjà des milliers de personnes qui ont été « rappelées à Dieu ». « S’il n’est pas encore plein, c’est grâce à l’organisation de l’ASTAWY », nous souffle un riverain. De son explication, les membres de l’association parcellent l’espace en vue d’offrir au maximum de personnes, leur dernière demeure. Une action qui évite toute anarchie pouvant conduire de façon accélérée à un manque d’espace pour enterrer les morts.

Vidéo – Une petite vue du travail de ces fossoyeurs

« Nous ne faisons pas ce métier pour de l’argent »

Aboubacar Tiemtoré est le président de l’Association Song-Taaba Wend Yinga. Il a débuté son métier de fossoyage parallèlement à son commerce, il y a environ 10 ans. « Je suis commerçant à Sankaryaré. Au début, avant d’aller au marché, je passe au cimetière ici, et lorsque je vois des gens en train de creuser des tombes, je passe les aider», a-t-il confié. Un travail bénévole, dans l’espoir d’avoir « une récompense auprès du créateur, Dieu », selon la foi musulmane. « Nous ne faisons pas ce métier pour avoir de l’argent. Les gens cotisent souvent de l’argent pour nous offrir. Nous ne sommes pas là pour monnayer nos services, mais plutôt, aider des gens à offrir une tombe à leur défunt », a-t-il expliqué.

Au début, il était seul à aider les gens dans ce cimetière sis à la sortie nord de Ouagadougou. Son œuvre a fini par conquérir des cœurs. Il est donc rejoint, quelques mois plus tard, par d’autres personnes qui veulent emboiter ses pas. Après l’érection du mur du cimetière, ensemble, ils ont tous décidé de mettre en place une association, en vue de faciliter leur travail. C’est ainsi qu’est née l’Association Song-Taaba Wend Yinga (ASTAWY).

Des tombes sont creusées par les membres de l’ASTWY

« Nous ne gagnons rien financièrement dans ce travail. Chez nous les musulmans, on dit que c’est une œuvre qui vous sera récompensée dans l’au-delà. C’est pour bénéficier de cette grande récompense que nous faisons quotidiennement ce travail. Depuis que nous sommes là, personne n’est venu compter de l’argent pour nous. Nous n’en cherchons pas. Mais nous recevons souvent des soutiens pour nous aider dans le travail », a expliqué le président de l’ASTAWY, M. Tiemtoré. Dans ce sens, il se dit reconnaissant pour l’aide reçue d’un opérateur économique, qui les a « beaucoup soutenus et continue de (les) soutenir dans cette œuvre ». « Il nous offre du matériel de travail et nous a même offert un corbillard. Il nous a aussi offert des groupes électrogènes pour alimenter les perceuses, ainsi que du carburant. En plus de lui, plusieurs personnes nous offrent du matériel de travail », a relevé ce fossoyeur en chef.

Lire aussi ➡️ Tronçon Paul VI – Kamboinsin : « C’est devenu une voie qui conduit au cimetière » (Dirissa Sawadogo dit Revolutionnaire)

L’association a aujourd’hui un tricycle qui lui facilite certains travaux

« Il y a des gens qui pensent que nous sommes payés pour faire ce travail, raison pour laquelle nous nous y donnons à fond. Non ! Nous le faisons gratuitement, pour aider certaines personnes qui manquent de fossoyeurs et pour qui, inhumer le corps de leur proche devient un vrai casse-tête chinois », dit le président de l’association qui révèle: « Nous avons eu des cas où des gens sont venus avec des corps et n’avaient rien pour creuser les tombes. Nous avons offert nos services à ces personnes. Il y a un monsieur qui a dépensé tout son argent dans les ordonnances pour soigner son malade à l’hôpital. Mais, le malade a fini par succomber. Ce monsieur est arrivé ici et il nous a exposé sa situation. Nous nous sommes mobilisés pour l’aider à trouver une demeure digne pour inhumer le défunt. C’est encore nous qui lui avons trouvé de l’argent pour son transport parce qu’il est venu de la province. Souvent, certains de nos membres rencontrent des difficultés. D’autres sont déjà tombés malades. Mais c’est nous qui cotisons pour aider la personne à avoir des soins ».

Il confie également que des personnes vulnérables, comme les personnes déplacées internes (PDI) pour cause de terrorisme, sont déjà venues au cimetière pour demander les services de l’ASTWY pour porter en terre leurs proches décédés. « Ces personnes n’ont aucun moyen. Nous faisons tout pour les aider. Quand des gens viennent avec des difficultés, c’est le président de l’association qu’ils cherchent. Souvent j’ai ma marchandise qui vient d’arriver au marché, mais je la confie à un autre commerçant, le temps que je puisse régler certaines situations ici, avant d’y aller », a indiqué M. Tiemtoré, insistant sur le fait que les services de l’association sont gratuits. « Nous sommes aussi des potentiels morts. A notre mort, nous aurons aussi besoin de gens qui vont nous offrir une demeure. Si nous monnayons nos services, il n’est pas sûr que cette activité puisse prospérer et demain, après notre mort, nos proches pourraient avoir des difficultés pour notre ensevelissement », a-t-il caricaturé.

L’association a reçu un corbillard de la part d’une bonne volonté

Manquant souvent des moyens pour la réparation du matériel en panne, un usager avait conseillé aux membres de l’ASTAWY, d’exiger la somme de 1000 FCFA sur chaque tombe. « Nous avons dit que nous ne le ferons jamais. Si nous tombons dans cela, nous bafouerons les missions de notre association », a soutenu M. Tiemtoré.

« Au début, les membres de ma famille avaient refusé que je sois fossoyeur »

Comme toute activité, le métier de fossoyage n’est pas exempté de critiques et de préjugés. Les membres de l’ASTAWY sont victimes de toutes sortes de préjugés. Ils ont été « vilipendés » et accusés de pratiques peu catholiques dans le cimetière. « Dans toute activité, il faut que je vous le dise clairement, tout le monde ne peut pas vous féliciter. Il y a des gens qui vont vous encourager mais il y a d’autres qui vont trouver à redire sur ce que vous faites. Mais si vous prenez ce travail comme une orientation de Dieu, vous le ferez sans aucune autre considération », s’est encouragé Aboubacar Tiemtoré.

« J’ai eu beaucoup de difficultés dans cette activité. Au début, les membres de ma famille avaient même refusé que je sois fossoyeur. Ils disent que je travaille et que je suis à l’abri de certains besoins. Pour eux, je n’ai donc plus encore besoin d’aller m’adonner à une telle activité. Je leur ai fait comprendre que c’était un choix libre. Mais ils estiment que j’ai été victime d’un sort orchestré par des gens qui ne veulent pas mon bonheur », a-t-il confié. De ses dires, ses femmes ont même menacé de le quitter s’il continuait à creuser les tombes. « Je leur ai dit que c’est un choix et que si elles ne peuvent pas accepter mon choix, elles peuvent partir », a-t-il martelé.

M. Tiemtoré a une épouse restauratrice. Son lieu de commerce grouillait du monde grâce à la plage de mets qu’elle proposait aux clients. Elle avait fini par fidéliser certains clients par le goût de ses mets. Mais à cause des activités de son époux, son commerce va prendre un coup. Elle est accusée d’utiliser l’eau des toilettes mortuaires pour faire prospérer son commerce…

Vidéo – Son époux, Aboubacar Tiemtoré donne plus de détails ici ⤵️

Les membres de l’association appellent les autorités compétentes à voir dans quelle mesure elles peuvent les accompagner, de sorte à leur permettre de toujours poursuivre leurs activités pour le bonheur des populations. « Nous sommes tous des mortels. Nul ne vivra éternellement sur cette terre. Donc, qu’on nous aide pour que nous puissions faire prospérer cette activité en vue de permettre à chacun de nous d’avoir une demeure après la mort », a plaidé le président de l’ASTAWY.

Noufou Ouédraogo, chargé à l’organisation à l’ASTAWY s’occupe également du matériel. C’est avec lui que toute personne peut avoir des briques, de l’eau, des dalles, et autres matériels qui peuvent entrer dans la préparation du tombeau pour un défunt. Tous ces matériels sont offerts gracieusement aux populations. « Au début on avait des difficultés à avoir le matériel pour aider les gens. Mais grâce au soutien des uns et des autres, l’association dispose aujourd’hui, d’un peu de matériel pour satisfaire les besoins des populations. Nous avons des briquetiers. Chaque jour, des briques sont confectionnées. Donc les populations ont les briques ici à leur disposition. S’il s’agit d’un enterrement avec un cercueil, tout le matériel nécessaire qui accompagne ce cercueil est disponible. Nous avons aussi de l’eau pour aider les gens », a-t-il détaillé. L’association dispose de ciment et du sable pour permettre aux proches des défunts de renfermer hermétiquement la tombe à l’intérieur, mais aussi pour les épitaphes.

Noufou Ouédraogo donne plus de détails dans cette vidéo…

Des bénéficiaires saluent les actions de l'ASTWY

Abdoul Zongo est un bénéficiaire des services de l’association. Il a exprimé sa gratitude envers ceux-là qui ont décidé de mettre leurs énergies au service des morts. « Nous sommes venus de Rimkièta (un quartier situé dans la partie sud-ouest de la capitale). Nous disons merci à cette association qui nous a beaucoup facilité la tâche dans l’inhumation de notre proche, que nous venons d’effectuer ce jour même (1er mars 2023). Au début, c’était deux personnes qui creusaient les tombes. Actuellement, ils sont nombreux et ont même créé une association. Ils ont actuellement une perceuse pour creuser dans les lieux difficiles. Ils offrent des briques aux populations pour la fermeture des tombes. Nous leur faisons toutes les bénédictions possibles. Personne ne peut leur rendre leurs efforts. Dieu le leur rendra au centuple », s’est-il exprimé.

Adama Ouédraogo, résident au secteur 19 de Ouagadougou, est également bénéficiaire des services de l’association. « Nous disons merci aux membres de l’ASTAWY, qui nous ont tout offert pour permettre une inhumation digne de notre proche qui nous a quittés hier nuit (28 février 2023, ndlr). Seul Dieu peut les bénir à la hauteur de leur bienfait. Quand nous venons ici, nous entrons dans la tristesse d’avoir perdu un proche, mais nous ressortons heureux de savoir qu’il y a ces personnes qui ont toujours un bon cœur pour aider gracieusement des disparus à avoir une sépulture digne », a-t-il soutenu pour sa part.

Adama Ouédraogo, résident au secteur 19 de Ouagadougou, bénéficiaire des services de l’ASTWY

Ismaïla Congo, SG de l’ASTAWY, explique qu’en plus du fossoyage, les membres de l’association entretiennent le cimetière. « Les morts ont aussi besoin de propreté », pense-t-il. Une conviction qui, d’ailleurs, les pousse à toujours nettoyer ce cimetière qui s’étend sur plusieurs hectares.

Lire aussi ➡️ Ouagadougou : Une grande partie du cimetière de Kamboinssin ravagée par des flammes

L’Association Song-Taaba Wend Yinga, créée en 2019, compte aujourd’hui une trentaine de membres, dont des femmes. Zara Congo est l’une de ces femmes. Elle est la secrétaire depuis maintenant 5 ans. « Si j’ai décidé d’intégrer cette association c’est parce que la mort touche tout le monde, que tu sois femme ou homme », a-t-elle fait savoir. Dans cette association, les femmes s’investissent plus dans le nettoyage du cimetière. Elle a invité toutes les femmes à faire le déplacement le dimanche 19 mars pour aider les membres de l’association à nettoyer le cimetière.

Lire aussi ➡️ Ouagadougou : Des personnes de bonne volonté nettoient le cimetière de Kamboinsin

Zara Congo est l’une des femmes membres de cette association

C’est une association qui accepte toutes les confessions religieuses, pourvu que les objectifs soient les mêmes : aider les populations à avoir une sépulture pour leurs morts. « Il y a des musulmans, des chrétiens, des traditionnalistes, etc. », a indiqué M. Congo, précisant que c’est une association « laïque ».

Des activités en tandem avec la mairie 

Le cimetière route de Kamboinsin est situé dans le domaine territorial de l’arrondissement 9 de Ouagadougou. Quelle peut être la contribution de la mairie aux actions de l’association Song-Taaba wend Yinga? L’équipe de Minute.bf a été reçue par le président de la délégation spéciale (PDS), de la l’arrondissement 9 de Ouagadougou, Sagnaba Tou. Il a salué l’initiative de l’ASTWY et a affirmé que les membres de cette association travaillent « à la cohésion sociale en intégrant toutes les religions ». En leur autorisant de travailler au cimetière qui relève du domaine territorial de la mairie, c’est « déjà un accompagnement » de la municipalité à leur endroit, estime M. Tou.

Aussi, à l’entendre, les membres de l’association n’ont, jusqu’à présent, pas déclaré clairement à la mairie, la nature de l’accompagnement qu’ils attendent d’elle. Mais, il assure que la mairie va toujours les accompagner dans leurs activités, étant donné qu’ils « travaillent à la structuration du cimetière ». « C’est grâce à eux que le cimetière n’est pas encore plein », a reconnu le PDS de l’arrondissement 9 de Ouagadougou.

M. Tou a également confié que l’association avait reçu le soutien d’une bonne volonté pour l’implantation d’un forage au sein du cimetière. Un forage dans un cimetière n’étant pas totalement adapté aux règles d’hygiène, les travaux ont été stoppés en attendant une inspection du service d’hygiène publique. « Ils ne le savent pas peut-être. Mais l’eau d’un forage dans un cimetière peut faire l’objet d’infection pour les usagers », a indiqué le PDS, assurant que tout sera fait pour accompagner cette association dans la réalisation de ses activités.

Les efforts de l’association Song-Taaba wend Yinga ont plusieurs fois été reconnus par certaines structures et organisations qui saluent sa contribution à la cohésion sociale et à la structuration du cimetière.

L’ASTWY a reçu plusieurs attestations de reconnaissance et un trophée pour sa promotion de la cohésion sociale et de la paix

Il était 13h07mn ce 1er mars 2023. Le soleil était au zénith. Alors que nous nous dirigeons vers la sortie de ce boulevard des allongés, au portail, nous sommes surpris par un cortège funèbre. Certains membres de l’association se mobilisent pour leur porter assistance. C’est ainsi le quotidien des membres de l’ASTAWY au cimetière route de Kamboinsé…

Armand Kinda

Minute.bf

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