Le syndicat des avocats du Burkina Faso (SYNAF) a initié dans l’après-midi de ce vendredi 12 mai 2023, une conférence publique sur le thème: « la mise en œuvre de la responsabilité pénale des dirigeants politiques ». La conférence a été animée par le Professeur Médard Kiénou, enseignant agrégé en droit public à l’Université Nazi Boni de Bobo Dioulasso.
Peut-on mettre en accusation un Chef de l’Etat ? C’est la question introductive par laquelle le conférencier du jour a ouvert son analyse. Pour être plus concret dans son argumentation, Professeur Médard Kiénou a pris en exemple la situation de l’ex-président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré qui fait polémique au Burkina en ce moment. Est-il possible de l’assigner en justice pour avoir négocié avec des groupes armés en 2020? La réponse à une telle question ne souffre d’aucun débat et c’est « Oui», selon le conférencier.
En théorie, a-t-il expliqué, la haute cour de justice, conformément à ses attributions, est habilitée à poursuivre l’ancien président Roch Marc Christian Kaboré, et, dans ce cas precis, pour des faits de « haute trahison ». Toutefois, à en croire l’expert en droit public, cela est possible à la seule condition qu’il soit avéré que la négociation avec les groupes armés terroristes ne relève pas des prérogatives constitutionnelles du Président du Faso. « Si on considère que la négociation avec des terroristes relève des prérogatives constitutionnelles du Président du Faso, notamment de la nécessité d’assurer le fonctionnement normal et régulier de l’institution, alors dans ce cas, on ne pourrait pas le poursuivre », a précisé Pr Médard Kiénou. De ses dires, il appartient cependant au conseil constitutionnel de trancher sur cette question à travers une interprétation claire sur le sujet.
En prenant l’exemple de Roch Marc Chritian Kaboré, l’enseignant-chercheur a dit vouloir démontrer la complexité de la mise en oeuvre de la responsabilité pénale des dirigeants politiques en certains points. Cela, surtout en raison de plusieurs zones d’ombre qui restent à clarifier dans la constitution elle-même.
Des explications du conférencier, selon la constitution, la haute cour de justice n’est compétente que pour les crimes commis par les dirigeants politiques dans l’exercice de leurs fonctions. Par exemple, a-t-il affirmé, « si vous êtes ministre de la culture, pour les infractions commises dans le cadre de l’exercice de votre fonction de Ministre de la Culture, vous relevez de la haute cour de justice. Mais pour toutes les autres infractions, vous relevez des juridictions de droit commun ». Pour ce qui est du Président du Faso, seules trois infractions relèvent de la compétence de la haute cour de justice, selon le conférencier. Il s’agit des faits « d’attentats à la constitution, de haute trahison et de détournements de deniers publics ».
Dans sa communication, Pr Médard Kiénou a relevé plusieurs zones d’ombres qui restent à clarifier par le Conseil Constitutionnel. « Pour l’instant, on n’a pas encore tranché la question de savoir si le chef de l’État ou les ministres peuvent être poursuivis pendant qu’ils sont encore en fonction. Ou bien il faut attendre qu’ils ne soient plus en fonction. Cela signifie qu’on n’a pas encore tranché la question de savoir si le parlement peut mettre en accusation le Président du Faso alors qu’il est toujours en fonction. S’il est toujours en fonction, est-ce que le mettre en accusation n’équivaut pas à une procédure de destitution ? Il se trouve que la destitution n’est pas encore prévue dans notre constitution. Si on le met en accusation alors qu’il est toujours en fonction, cela est-il compatible avec la protection de la fonction présidentielle ? », autant de questions qui restent à être élucidées par le conseil constitutionnel selon le conférencier.
Par ailleurs, d’après l’enseignant-chercheur en droit à l’université Nazi Boni, il n’est pas toujours aisé d’établir la distinction entre les faits commis dans le cadre des fonctions d’un dirigeant politique et les autres faits. Cela, en dépit de la différence établie par le Conseil Constitutionnel à ce sujet. « Par exemple, pour le cas d’un premier ministre qui agresse sexuellement la nounou de ses enfants, ça n’a rien à voir avec les fonctions, les détournements de deniers publics également. Même si ça a été commis dans le cadre de ses fonctions, cela a été commis pour satisfaire un intérêt personnel, donc ça ne peut pas être considéré comme des actes de fonction. Cependant, il y a d’un côté ce qu’on appelle la responsabilité politique des dirigeants politiques qu’il faut mettre en œuvre et leur responsabilité pénale. Et parfois par rapport aux actes de fonction, il n’est pas évident de faire la distinction entre la responsabilité politique et celle pénale », a-t-il expliqué. Il a aussi ajouté à ces différentes zones d’ombre, la question des immunités personnelles dont jouit la majeure partie des dirigeants politiques et qui font qu’il est pratiquement impossible de les mettre en accusation pendant l’exercice de leurs fonctions.
Soulignons que cette conférence publique s’inscrit dans le cadre du programme d’activités 2021 – 2024 du Syndicat national des avocats du Burkina Faso. Ce programme prévoit l’organisation d’activités scientifiques dont une bonne part est réservée aux conférences et aux panels sur des thèmes d’actualités en lien avec le droit.
Oumarou KONATE
Minute.bf