Ceci est une déclaration de trois organisations syndicales du secteur de l’éducation, à savoir la F-SYNTER, le SYNAPAGER et le SYNATEB. Elles répondent au ministre en charge de l’Education nationale sur la question de reprise des activités pédagogiques.
« NOTRE POSITION SUR LES INITIATIVES DU MINISTÈRE DE L’EDUCATION NATIONALE, DE L’ALPHABETISAATION ET DE LA PROMOTION DES LANGUES NATIONALES.
Monsieur le Ministre, au moment où vous rencontrez les organisations syndicales, le jeudi 09 avril 2020, pour leur donner des informations sur les initiatives envisagées pour une reprise des activités pédagogiques et solliciter leur réponse, le département que vous dirigez avait déjà engagé sur le terrain la mise en œuvre desdites initiatives, en l’occurrence celle portant sur le recours aux technologies de l’information et de la communication pour l’Enseignement (TICE) pour dispenser le contenu des enseignements. La formation des enseignants cooptés à cet effet a même débuté le vendredi 10 avril 2020 dans la salle de réunion, sise au lycée Bogodogo de Ouagadougou. En clair, la réunion avec nos organisations avait pour but de servir de faire valoir et non pas de solliciter leur quelconque position sur ces questions. Nos organisations ne sauraient être des outils de faire valoir. La question de l’éducation représente un enjeu majeur pour nos organisations. C’est ce qui justifie qu’elles se battent constamment pour que des solutions appropriées soient trouvées aux maux qui minent l’éducation et la recherche dans notre pays.
En outre, les initiatives que vous présentez sont plus tintées d’esprit mesquin, mercantile et de recherche d’ambition populiste qu’une réelle volonté de sauver une année scolaire. Arrêtons-nous à cet effet sur quelques éléments.
- Quelques observations sur les initiatives : DE L’Utilisation des TICE pour la continuité pédagogique en situation d’urgence et dans le contexte de la pandémie du COVID19
Selon votre document, le recours à cette stratégie a pour objectif spécifique de « diffuser des ressources pédagogiques numériques par le canal de la radio, la télévision, la presse écrite, des applications androïdes, des fichiers téléchargeables et des supports amovibles ». Cependant, au regard des réalités sociales et économiques dans notre pays, elle engendrera des inégalités énormes entre les apprenants. Or, la loi d’orientation de l’éducation, en son article 3 alinéa 2 stipule que « toute personne vivant au Burkina a droit à l’éducation, sans discrimination aucune, notamment celle fondée sur le sexe, l’origine sociale, la race, la religion, les opinions politiques, la nationalité ou l’état de santé. Ce droit s’exerce sur la base de l’équité et de l’égalité des chances entre tous les citoyens ».
Ces inégalités seront causées entre autres par :
- l’inaccessibilité de nombreux enfants à ces outils du fait de leur indisponibilité dans leur environnement, le manque d’énergie en continue, de moyens financiers pour s’en procurer ;
- l’impossibilité de prendre en compte l’ensemble des cours et partant tous les élèves dans la stratégie. Il en sera ainsi des élèves des EFTP qui n’auront accès qu’aux seuls supports de plateformes et amovibles ;
- l’orientation de l’initiative beaucoup plus sur les classes d’examen or, il importe de sauver tout le système éducatif et l’ensemble des élèves qui subissent le préjudice lié à la pandémie du coronavirus dans notre pays ;
- la non prise en compte de toutes les disciplines inscrites officiellement au programme étant entendu que la stratégie prévoit dans l’immédiat qu’au « regard de l’urgence liée au contexte de la suspension des cours à cause de la pandémie du COVID 19, l’initiative s’intéressera aux classes d’examens et à certaines disciplines fondamentales » ;
- la dispense de cours à la télévision et à la radio suppose que les élèves de chaque cycle soient au même niveau de progression sur l’ensemble du territoire national. Or, cette progression qui constitue un aspect fondamental dans la pratique pédagogique n’est point au même niveau au sein d’un même établissement et encore moins d’un établissement à un autre. De ce fait, tous les élèves qui ne seront pas au niveau de progression des cours dispensés dans ces médias ne seront tout simplement pas en mesure de les suivre et/ou de les comprendre ;
- l’incapacité des opérateurs à fournir une connexion permanente et de qualité comme l’atteste la mauvaise qualité générale de la connexion internet reconnue par tous dans notre pays ;
- etc.
Outre le grand risque lié à ces éléments, il faut noter que :
- le rapport que les enfants dans notre pays ont d’un outil telle la télévision est plus centré sur l’aspect ludique. Il est fort à craindre que les élèves voient derrière cet écran plus des actes de distraction que de pédagogie. Une éventuelle sensibilisation pour changer leur regard prendra inévitablement du temps ;
- de même, les enseignants ne sont pas formés à ce type de pratique pédagogique. D’ailleurs, le document parle d’« enseignants modèles » sans indiquer les critères permettant de définir cet enseignant modèle parmi les milliers d’enseignants qui ont déjà en charge de la formation des apprenants. En quoi les enseignants que vous avez choisis dans une opacité totale et à qui vous avez octroyés un contrat avec une rétribution de 15 000f par jour pour ceux qui résident à Ouagadougou sont-ils plus méritants que les autres ? ;
- l’impossibilité de mettre en route une évaluation formative, sommative ou certificative des apprenants.
Nous rappelons à toute fin utile que le Burkina a déjà fait l’expérience d’assurer l’enseignement par la radio à travers le projet « le micro à l’école » il y a quelques années de cela. L’évaluation des résultats de cette aventure a conduit à son abandon. DU PLAN DE REPONSE POUR LA REPRISE DES COURS EN FIN AVRIL 2020 DANS LE CONTEXTE DE LA PANDEMIE DU COVID-19
La mise en œuvre de ce plan prévoit un allègement des mesures prises pour interrompre la propagation du virus. Quelles sont les garanties dont disposent les départements en charge de l’éducation et de la recherche quant à l’absence de risques de ces allègements pour la propagation du virus ? Qu’adviendra-t-il si un cas de contamination au coronavirus intervient dans un établissement ?
Les mesures de prévention que le plan propose ne donnent pas des garanties suffisantes contre la propagation du COVID-19 dans les établissements.
D’ailleurs, une part importante du coût financier de ces mesures repose sur les COGES, APE et AME. A cette étape de l’année scolaire, ces structures peuvent-elles disposer de moyens financiers conséquents pour faire face à une telle opération ? Les réalités de ces structures sont-elles les mêmes d’un établissement à un autre ? En somme, sont-elles préparées d’un point de vue financier et organisationnel à faire face à cette situation ?
Mieux, certaines mesures préventives manquent de réalisme (vu le temps restant à cette étape pour l’exécution d’une année scolaire et les réalités dans les établissements) et de sérieux quant à leurs effets sur le risque de propagation du virus. Il en est ainsi de la proposition visant « la désinfection des établissements scolaires des localités ayant enregistré des cas confirmés de COVID-19. Dans l’impossibilité d’avoir les équipes du ministère de la santé, il sera recommandé le nettoyage des établissements avec des produits désinfectant comme le savon et l’eau de javel avec l’appui des Comités ou conseils de Gestion des établissements (COGES), des Associations des Parents d’Elèves (APE) et des Associations des Mères Educatrices (AME) ». De même, il est proposé que « chaque élève, enseignant, animateur, formateur et personnel administratif sera doté de deux (2) masques lavables et réutilisables ». Sur quelle période ? On ne peut pas imaginer ces masques pour plus d’une semaine d’utilisation. Pour les enseignants qui doivent surtout parler des heures durant, les masques en tissus constituent-ils une bonne option ?
En plus, les effectifs pléthoriques dans de nombreux établissements constituent un réel frein au respect des certaines mesures de prévention de la maladie, telle la nécessité de respecter une distance d’au moins un mètre entre les individus. Dans de nombreuses classes, des élèves sont assis à trois, voire quatre par table-banc, même dans les lycées.
Monsieur le Ministre, il est plus que dangereux de faire de l’éducation un champ de toute sorte d’expérimentations. Une des difficultés de notre système éducatif aujourd’hui est sans conteste l’application de nombreuses expériences pédagogiques dont l’évaluation des résultats ne s’est pas toujours faite pour en démontrer leur efficacité.
L’initiative de reprise des cours est évaluée à cinq milliards huit cent soixante-deux millions (5 862 000 000). Si l’on part des normes de réalisation qui situent le coût de réalisation d’un bloc de quatre (4) salles de classe à 32 millions, comme cela l’est officiellement, on retiendra qu’avec une telle somme, l’Etat sera à mesure de réaliser au moins cent quatre-vingt-trois (183) blocs de 4 classes chacun. Il est même proposé que des mesures exceptionnelles soient prises pour la passation des marchés dans le cadre de la mise en œuvre des mesures entrant dans son exécution. Depuis des années, les syndicats de l’éducation réclament que les moyens conséquents soient investis dans l’éducation et que des procédures exceptionnelles soient adoptées pour la réalisation des infrastructures éducatives et cela sans succès. Cette crise liée au COVID-19 doit amener à la recherche de solutions structurelles et pérennes à notre système éducatif et non des solutions conjoncturelles et mal ficelées et qui saperont davantage sa qualité. La fin de la crise du coronavirus ne signifie pas la fin de toute situation de risque pouvant mettre à mal l’éducation. Cela recommande plus une vision et une démarche prospectives.
- POSITION DE NOS ORGANISATIONS.
Les travailleurs du privé, du parapublic et du public de notre pays sont fortement mobilisés à travers des actions diverses autour d’une plateforme revendicative. Cette crise sociale majeure, le gouvernement semble l’ignorer. Pour preuve, aucune des récentes interventions du chef de l’Etat ne l’a abordée et aucune initiative n’a été prise pour une quelconque discussion avec les travailleurs en lutte.
Pire, les autorités en charge de l’éducation se sont acharnées gratuitement et avec une haine morbide sur des travailleurs de l’éducation en suspendant le salaire de plusieurs centaines d’entre eux à la fin du mois de mars 2020. Les « plus chanceux » ont subi des coupures. Qu’ont-ils fait pour mériter cet acte illégal et criminel ? Qui a donné l’ordre d’agir dans ce sens et sur quelle base ?
Ce lourd contentieux social ne peut être occulté pour une reprise des activités pédagogiques dans notre pays. Cette répression sauvage des travailleurs ne peut être enjambée impunément sous aucun prétexte.
De ce qui précède et en attendant de réunir les conclusions des discussions en cours avec les structures, compte tenu de l’impossibilité d’organiser des assemblées générales d’échange avec les militant(e)s, nos Bureaux nationaux vous donnent leur position qui se résume en ceci :
aucune reprise normale des activités pédagogiques dans l’éducation et la recherche ne peut se faire sans le rétablissement préalable et sans condition des suspensions des salaires des travailleurs et le remboursement de toutes les sommes coupées ; l’établissement de la responsabilité de tous ceux qui ont travaillé à la prise de ces mesures illégales, criminelles contre les travailleurs.
Nous vous prions de croire Monsieur le Ministre, en l’expression de notre considération. Ouagadougou, le 13 avril 2020. »
Les Bureaux nationaux de la F-SYNTER, du SYNAPAGER, du SYNATEB.