dimanche 22 décembre 2024
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Rôle des Poesse dans l’organisation traditionnelle moaga: Entretien avec Me Pacéré Titenga

Le Poé Naaba, les Poesse, on en entend parler mais qui sont-ils réellement ? En effet, la société traditionnelle moaga est constituée de plusieurs familles ou clans qui cohabitent ensemble, chacun ayant son rôle dans l’organiation sociale. Nous nous sommes intéressés particulièrement aux Poesse pour savoir qui sont-ils et leurs rôles dans l’organisation traditionnelle de la société moaga. Pour cela, nous avons eu un entretien avec Me Pacéré Titenga, avocat, homme de lettres, homme de culutre, chef traditionnel du village de Manéga.


Minute : Qui sont les Poesse? Quelle est leur place dans le Moogho?

Me Pacéré : En ce qui concerne les Poesse, ce qu’il faut savoir d’emblée, c’est que « Poesse » c’est le pluriel de Poega en langue morée. En effet, le sens Poega vient de «poere». Poere qui veut dire révélé. Les Poesse sont donc en quelque sorte les devins de la cour du Moogho Naaba ou de tout chef moaga.
Ainsi, le Poe Naaba, c’est celui qui, le matin, se met au grand hangar du Moogho Naaba appelé « benda zande» face à la grande porte de la cour royale en face également de la case des morts (où sera assis le Naaba, pour le rituel funéraire s’il venait à décéder) avec un plat qui reçoit directement les rayons du soleil levant.

Ce qu’il faut savoir c’est que pour tous les grands rituels importants du mogho, le Poega est le lien entre les vivants (représentés par lui-même), les morts (matérialisés par la case des morts du Moogho Naaba) et le soleil levant. Le plat que le Poega tient qu’on appelle «laaga» contient une plante garnie d’un liquide appelé en langue moré « Nessinindo ». Et c’est à travers ce plat que le poega fait le poere.
Ainsi donc, à l’endroit du Poega considéré en quelque sorte comme le devin de la cour, il est de coutume de dire: « Poega, regarde dans le plat et rend la sentence, et révèle le drame ». Le drame pourquoi? Parce que dès que le Poega dit qu’un tel a par exemple courtisé la femme du Moogho Naaba, la seule sentence c’est la mort. Dès lors que le Poega rend la sentence, on appelle les gens de Dapoya (considéré comme des bourreaux) pour cogner le coupable à la poitrine jusqu’à ce que mort s’en suive.

Aussi, ce qui caractérise les Poesse, c’est leur sac appelé « Korogo ». Ils portent toujours un sac et dans le sac, il y a toujours les fétiches qu’ils utilisent pour révéler ce qu’on ne voit pas d’ordinaire. Le sac se dit en mooré Korgo si bien que les poesse ont pour nom réel « Korgo ou Korogo ». Ils portent également un autre nom qui est « Vebamba ». Ici, la devise issue du nom en langue morée c’est « Nindare beogo vimbamba », pour dire que le jour prochain dépend d’eux. Pourquoi ? Parce que si le Poéga dit que vous ne verrez pas le jour prochain, vous ne le verrez pas, vous allez mourir car il peut facilement vous faire exécuter. Donc ceux qui ont le nom Vébamba, ce sont des Poesse. Il y a cependant une confusion qui amène des gens à penser également que les noms Ilboudo et Kafando sont des Poesse, mais le vrai nom des Poesse c’est véritablement « Korogo ».

Par ailleurs, il faut reconnaitre qu’il y a des doutes sur la véracité des sentences prononcées par les Poesse mais je vais vous raconter une histoire qui va vous éclairer.
J’ai eu à connaître un homme mystérieux, c’était le Professeur Francis Lefébure qui habitait en France. Je l’ai connu à Abidjan. Il était venu pour donner des cours de mysticisme. Je vous rappelle que le professeur n’a jamais fait un mois dans un pays. Dès qu’il atteint deux semaines dans un pays, il est toujours expulsé du pays. Tout le monde avait peur de cet homme. Aussi, j’ai eu la chance de participer à un de ses cours une nuit à Abidjan.

Dans le déroulé du cours, il coupe la lumière de la pièce et il envoie un faisceau lumineux à l’aide d’un projecteur et vous regardez, puis vous fermez les yeux. Si vous fermez les yeux, vous allez voire au fond de votre tête, une sorte d’ampoule, de lumière. On l’appelle le phosphène. Si vous balancez la tête en regardant la lumière et vous fermez les yeux par la suite, la lumière balance. On ne sait pas exactement ce qu’est ce phosphène mais des travaux de laboratoire s’effectuent toujours là-dessus. Qu’à cela ne tienne, à la fin du cours, le professeur Lefébure demande à savoir si Me Passéré se trouve dans la salle? J’ai eu peur, je ne voulais pas me révéler. Peu après je me suis dit, tel qu’on dit du Professeur, s’il sait que je suis là, il peut me tuer à distance donc j’ai fini par dire « oui, Me Passéré est là ». Il me dit « vous m’attendez à la fin du cours je voudrais m’entretenir avec vous ». J’ai attendu, après, il me dit: » Me, vous avez écrit un livre intitulé : « Ainsi on a assassiné tous les Mosse », dans le livre il y a cinq lignes qui m’intéressent. Vous avez parlé du Poé Naaba.

Sa manière de révéler m’intéresse je viendrai à Ouagadougou ». Il est effectivement venu à Ouagadougou, je l’ai amené à la cour du Moogho Naaba pour montrer le hangar et tout en ce qui concerne les Poesse. Je l’ai amené à Manéga pour qu’il puisse suivre également comment la tradition se passe. À l’issue de cela, je lui ai posé la question suivante : » Pr, que pensez-vous du sorcier africain »? Il me demande : « Me, qu’est-ce qu’un sorcier africain? « . Je lui dit: » Par exemple, chez les mosse on a des « Tengsoba », qui peuvent par exemple suivre un individu et avec les traces que l’individu laisse au sol, il est capable, avec sa hache sacrée, de taper sur une trace laissée par l’individu et de faire en sorte qu’au plus tard deux semaines que cet individu meurt. Je lui ai dit que je n’y crois pas trop tout en lui demandant ce qu’il en pense.
Le Pr me rétorque en disant:  » Me, méfiez-vous, vous savez, de mes propres travaux, moi Lefébure, j’en suis arrivé à la conclusion que l’homme n’a pas un corps mais plusieurs corps. Il y a des écoles ésotériques qui disent que l’homme a sept corps mais pour moi, l’homme a au moins deux corps.

Si vous avez des yeux très sensibles pour observer quelqu’un qui a une forme assez forte coucher dans la nuit noire vous constaterez une légère émanation bleutée de sa partie gauche (charge positive) et sur sa partie droite, une émanation orangée (charge négative). Si vous êtes un très bon observateur vous verrez. C’est ce qu’on appelle l’«aura». On ne sait pas exactement ce qu’est l’«aura». Cependant on sait très bien que la cire des abeilles capte bien l’aura. Ainsi, si vous tenez bien une bougie dans votre paume pendant une heure de temps, vous laissez votre aura là-dessus. La charge positive de cette aura peut être augmentée dans les laboratoires. Si on le fait correctement et on jette la bougie imprégnée de votre aura dans du feu, même si vous êtes à 1000 km vous sentirer des picotements. La conclusion est que l’aura ne joue ni dans le temps, ni dans l’espace. Pour revenir à ce que vous avez dit, vous dites que votre Tengsoba suis les traces et vous en Afrique vous marchez nu-pieds si bien que vous laissez votre aura dans le sol quand vous marchez. Vous dites également que c’est sur la trace que le Tengsoba tape avec sa hache. Alors: « Me, si on dit qu’un Tengsoba vous suit, il faut effectivement faire attention car par ce procédé, il peut effectivement vous nuire ». C’est là tout le mystère.

De plus, le Pr me fait savoir également : » Pour le Poega dont j’ai eu l’occasion de voir le procédé, il ne faut pas que vous pensiez que les rayons solaires qui tombent dans le plat qui contient le liquide et qui reflète ne correspond à rien ». Il me dit de me rappeler que Jésus Christ a vécu au bord d’un étang, Mohamed également, beaucoup de prophètes ont vécu près des étangs. Quand ils sont assis, les rayons solaires tombent sur les étangs et reflètent sur leurs yeux. Voilà le mystère. Il conclut en indiquant: « en ce qui concerne le Poega, peut-être que ce qu’il prédit, c’est du folklore mais il doit y avoir un fond de vérité dans ce qu’il dit ». Et donc, l’Afrique n’a pas fini de se découvrir, il ne faut pas croire que beaucoup de phénomènes que vous voyez en Afrique c’est du folklore. Ce sont plutôt les Blancs qui poussent les africains à nier leur culture.

En outre, de ce que nous apprenons de l’histoire, il y a un véritable problème avec les Poesse car certains d’entre eux ont fini par exagérer dans leur prédiction. Certains Poesse ont même eu des comportements à même de déstabiliser les régions. Par exemple, pendant une longue période dans l’histoire des mosse, le Poega quand il vient à la cour du Moogho Naaba, pour détecter un problème, il affirmait toujours que c’est un Niniga (autochtone et fondateur de la ville de Ouagadougou) qui courtise la femme du Moogho Naaba. À chaque fois quand le Poega regarde son plat il pointe un doigt accusateur sur un Niniga qui est vite exécuté. Cela a conduit à la fuite des Ninissi (pluriel de Niniga). Ainsi, les Ninissi ont fini par prendre la fuite du côté Sud de Ouagadougou. Ils sont allés a, à-peu-près sept kilomètres de la cour royale. À un certain moment de leur fuite, à quelques sept km au Sud de Ouagadougou, le chef de la délégation a fini alors par dire aux fuyards de s’arrêter afin qu’ils réfléchissent à leur sort; en langue mooré, « rechercher l’intelligence c’est-à-dire « Kossyam » » puisse qu’ils sont loin de la cour royale et des Poesse. C’est de là que la localité Kossyam qui abrite aujourd’hui la présidence du Faso est née. Aussi, quand Michel Kafando, « un poega » a été fait président de la Transition burkinabè et conduit au palais de Kossyam pour y siéger, c’était vraiment l’ironie de l’histoire. C’était un pied de nez qu’on faisait aux Ninissi et aux autochtones de Ouagadougou.

C’est là entre autres l’histoire des Poesse et comme je l’ai dit, ils ont souvent exagéré. Ils ont souvent indiqué des innocents à abattre. Si bien que la colonisation qui est venue en 1896 a aussitôt interdit le ministère des Poéssé en 1906. Ainsi, depuis 1906, il est interdit au Poe Naaba d’exercer son ministère. Ils sont partout dans le Moogho, la preuve chez moi à Manéga en tant que chef de Manéga, je dois passer par Poedogo, le village du Poenaba à Manéga avant d’entrer dans mon palais.

Minute.bf : Cela nous permet de rebondir sur la place des Poesse dans la société moaga. On sait que, la société moaga est constituée de plusieurs familles pour ne pas dire clans, il y a les forgerons qui sont les plus respectés de la société, après il y a les tensobdamba, etc. Le poéga occupait quelle place dans cette société ?

Me Pacéré: Le poega est un simple ministre et dans la hiérarchie de la cour du Moogho Naaba, le poega vient avant le Samandin Naaba. Je crois que le poega doit être au 8ème rang et le Samandin Naaba 9ème rang.

Minute.bf : Quelle appréciation la société moaga fait du poega ? On sait bien que les griots en société moaga pour leur louange ont pour coutume de faire d’abord les éloges aux forgerons qui sont même placés dans l’ordre hiérarchique des considérations au-dessus du Moogho Naaba. Ensuite vient les tansobdamba, puis les Gnongnonssé. Cependant, on entend rarement les griots faire les éloges des poesse. Est-ce à dire qu’ils sont mal-aimés ?

Me Pacéré : Il faut dire que les poesse sont mal-aimés et là c’est vraiment le maudit de l’organisation traditionnelle du Moogho. On ne l’aime pas mais qui va oser dire qu’il n’est pas bon? Là il va dire que vous avez courtisé la femme du Moogho Naaba et vous serez vites exécutés. Si bien que le poega était détesté et craint. Quant aux griots, il faut dire qu’il y a quelque chose de très précis dans leurs chants, les griots doivent toujours commencer leur louange par les forgerons ou « Saaba » en langue mooré. La raison est simple, ils sont au-dessus de l’organisation sociale moaga. C’est le forgeron qui fabrique la daba, la houe qui permet même au Moogho Naaba de cultiver pour pouvoir se nourrir et c’est lui qui fabrique la barre à mine ou « zobré » en langue mooré pour pouvoir creuser la tombe, c’est lui qui fabrique les armes de guerre pour le guerrier ou Tensoba. Donc tout passe par le forgeron et c’est pour cela que le forgeron est très respecté. Et même si on est devant le Moogho Naaba et qu’il n’y a aucun forgeron à côté, le griot doit toujours commencer par rendre hommage au forgeron avant de rendre hommage au Moogho Naaba. Mais le Poéga il faut le dire, il est craint et mal-aimé. Une des devises des Poesse c’est également : « je n’ai pas pitié de ma mère à plus forte raison de l’étranger». C’est pour dire qu’il peut dire que sa mère est sorcière et la sentence qui s’en suit c’est la mort. On a peur des poesse par leur courage à rendre certaines sentences sans aucune pitié.

Hamadou Ouédraogo

Minute.bf

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