mercredi 5 février 2025
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Burkina: La mesure de gratuité des méthodes contraceptives impacte difficilement les jeunes

Le conseil des ministres du 26 décembre 2018 avait annoncé la gratuité des méthodes contraceptives pour compter du 24 juin 2019 dans deux régions pilotes du Burkina à savoir les Cascades et le Centre-ouest. En 2020, le gouvernement a voulu l’application de cette mesure dans toute les régions du pays. Un pays où plus de la moitié de sa population est jeune (58%). C’est en effet ce qui nous a emmenés à nous intéresser à la problématique de la santé sexuelle et reproductive (SSR) des jeunes au Burkina. Pour ce faire, nous nous sommes rendus au Réseau Africain Jeunesse santé et développement (RAJS/BF), une structure qui intervient dans la santé des jeunes particulièrement dans le domaine de la santé sexuelle et reproductive des adolescents en milieu scolaire et non scolaire. Nous avons également à l’occasion d’un voyage dans le Sud-ouest, pris la mesure de l’effectivité et l’impact de l’application de la mesure de gratuité des méthodes de planification familiale à Dano.

La santé sexuelle et reproductive (SSR), qui s’inscrit dans le cadre de la santé telle qu’elle est définie par l’OMS, s’intéresse aux mécanismes de la procréation et au fonctionnement de l’appareil reproducteur à tous les stades de la vie. Elle implique la possibilité d’avoir une sexualité responsable, satisfaisante et sûre ainsi que la liberté pour les personnes de choisir d’avoir des enfants si elles le souhaitent et quand elles désirent. Ainsi, nous nous sommes intéressés à la problématique de la santé sexuelle des jeunes au Burkina. Les contours de cette problématique ont été passés au peigne fin lors d’un bref entretien avec Joseph Bélélé IDO, secrétaire exécutif national du Réseau Africain Jeunesse Santé et Développement (RAJS/BF)

Impact réel des nouvelles réformes en matière de gratuité des méthodes contraceptives sur les jeunes et adolescents

« Déjà il faut dire que depuis longtemps l’Etat burkinabè a décidé de prendre en charge la question de la santé sexuelle et reproductive des adolescents et des jeunes. Il y a des textes de loi qui autorisent toute personne y compris les jeunes, qui a besoin de méthodes contraceptives de se rendre dans un service de santé et l’agent de santé a le devoir de lui offrir ce service ». Pour le secrétaire exécutif du RAJS/BF, il convient d’emblée de faire noter cela car beaucoup de jeunes l’ignorent.

« En plus de cela dans le cadre de sécurisation des produits contraceptifs, il y a eu une baisse considérable des prix des produits contraceptifs et il y a la délégation des tâches qui est aussi effective qui permet à toute personne qui a besoin de méthodes contraceptives même dans les zones reculées de pouvoir bénéficier de cela », a-t-il ajouté avant de marteler : « tout dernièrement, la gratuité de la PF et des méthodes contraceptives au Burkina est pour nous un grand pas, pour nous c’est une grande victoire pour le Burkina Faso car cela va permettre à beaucoup de jeunes d’accéder aux méthodes contraceptives de leur choix ».

Des reformes qui semblent être comme un coup d’épée dans l’eau en matière de santé sexuelle des jeunes

En effet, malgré ces réformes, les résultats positifs restent difficiles à percevoir de l’avis de M. Ido. « Les résultats ne sont pas très perceptibles jusqu’à présent pour ce qui concerne les jeunes », a-t-il fait savoir. A l’en croire, cela est dû au fait que « les jeunes sont très nombreux ». En outre, il reconnait qu’il y a beaucoup de jeunes qui sont sous méthodes contraceptives, qui utilisent les préservatifs pour se protéger, qui s’abstiennent mais « le nombre important de jeunes fait que les actions sont vraiment insuffisantes ».

Par ailleurs, « le rapport 2016 sur l’état de la population a fait cas de 6 401 grossesses en milieu scolaire de 2012 à 2016 et de 7500 cas de grossesses en milieu scolaire entre 2017 et 2018 ». Des chiffres élevés selon M. Ido. A partir de ce moment, « c’est difficile de dire que les reformes en matière de santé sexuelle et reproductive ont un impact sur les jeunes parce que les chiffres disent le contraire », affirme le secrétaire exécutif du RAJS au regard de ce constat. Il consent d’ailleurs que « même si beaucoup de jeunes bénéficient des méthodes de contraception, la grande partie n’en bénéficie pas et continue d’avoir des comportements à risques de grossesses non désirées pouvant conduire chez certains jeunes à des avortements clandestins ».

Pour éviter une telle situations dramatiques, « un travail est fait pour mieux aider les jeunes à avoir une sexualité responsable » rassure ce spécialiste de la santé sexuelle jeune. Pour lui, l’approche compte en ce qui concerne spécifiquement la sensibilisation des jeunes à leur santé sexuelle.

Une approche spécifique pour mieux prendre en charge la santé sexuelle de la jeunesse

« Déjà, entre acteurs, il faut harmoniser les messages pour ce qui est de la communication avec les jeunes. Il y a beaucoup d’acteurs et chacun est convaincu de sa stratégie. Ensuite, il faut voir la réalité en face et reconnaitre que les jeunes ont des rapports sexuels de façon précoce. Quand je parle d’harmoniser les messages, il y a certains acteurs qui ne veulent pas qu’on parle de méthodes contraceptives aux jeunes parce qu’ils estiment que les jeunes n’ont pas droit aux rapports sexuels avant le mariage. A notre niveau, nous parlons d’abstinence mais nous reconnaissons que les jeunes ont des rapports sexuels de façon précoce. Et pour ceux qui ont déjà une vie sexuelle nous préférons les accompagner avec les méthodes telles que le préservatif pour la double protection et à ceux qui ne peuvent pas utiliser un préservatif qu’ils puissent au moins utiliser une méthode contraceptive qu’elle soit de barrière ou une méthode hormonale », explique longuement Bélélé Ido. Pour lui, le deuxième défi c’est que tous les acteurs puissent contribuer à l’éducation sexuelle des jeunes (l’administration d’établissement, les enseignants mais aussi les associations de parents d’élèves, les familles, bref… tous ceux qui participent à l’éducation de l’enfant).

Rihana Traoré Jeunes ambassadrice pour la santé sexuelle des jeunes au RAJS/BF

Celui-ci demeure convaincu que si tous les acteurs interviennent, il y aura inéluctablement une éducation complète en sexualité pour les jeunes et « on arrivera à sauver beaucoup de jeunes filles également de ce phénomène de grossesse non désirée et d’avortement ».

Le RAJS/BF mène plusieurs actions pour le changement de comportement sexuel des jeunes. « Il a formé par exemple de jeunes ambassadeurs de la santé sexuelle et reproductive qui à leur tour sont chargés de former leur pair au différentes méthodes pour avoirs une sexualité responsable », nous confie le secrétaire exécutif national.

Rihana Traoré est l’une des Jeunes Ambassadrices pour la santé de la reproduction et la planification familiale pour le compte du RAJS/BF. Elle a pu nous expliquer ce qu’est un jeune ambassadeur et son rôle en matière de santé sexuelle des jeunes. « Les jeunes ambassadeurs sont regroupés en réseau de plusieurs structures qui militent dans le domaine de la santé sexuelle et reproductive notamment l’Association Burkinabè pour le Bien-être Familiale (ABBEF), RAJS/BF, le Conseil burkinabè des organisations de lutte contre le Sida (BURCASO) et l’Association Songui Manegré (ASMADE) », a-t-elle décliné avant d’indiquer que le rôle des jeunes ambassadeurs est de faire comprendre aux jeunes l’importance de la santé sexuelle dans leur vie et d’apporter l’information juste aux jeunes pour leur santé sexuelle. A en croire Rihana Traoré, sur le terrain, les jeunes ambassadeurs organisent des rencontres avec les jeunes et discutent sur divers thèmes en ce qui concerne la santé sexuelle et reproductive afin de déceler leurs préoccupations qui collent à leur réalité.

Du haut de son expérience en tant que jeune ambassadrice, Rihana Traoré nous confie que « les jeunes se lancent très vite dans la sexualité, ils ont fait de la sexualité un jeu, ils s’y lancent très tôt sans s’y connaitre, sans avoir la bonne information sur la sexualité, sans connaitre les possibles conséquences de certaines pratiques sexuelles ».

Sawadogo Marguerite Sage-Femme d’Etat au CSPS urbain de Dano

Aussi, « le rôle des jeunes ambassadeurs est d’informer les jeunes en ce qui concerne leur droit en matière de santé sexuelle et reproductive afin qu’ils s’en approprient mais aussi de leur montrer les offres de services en matière de santé sexuelle et reproductive surtout que le gouvernement a rendu gratuite les méthodes contraceptives dans toutes les régions du pays », a conclu Rihana Traoré.

L’application de la gratuité des méthodes contraceptives, un espoir pour la réduction des naissances

Sawadogo Marguerite Sage-Femme d’Etat au CSPS urbain de Dano, a fait savoir que la maternité peut enregistrer plus de 40 accouchements par mois et un pic pouvant aller jusqu’à 100 accouchements au cours de certains mois de l’année. Un taux qu’elle juge élevé. Cependant de son analyse, ce taux va baisser les années à venir car dit-elle « depuis l’application effective de la gratuité des méthodes contraceptive, on a constaté au niveau de nos services, un engouement vis-à-vis de ces méthodes contraceptives de la part de la population locale si bien que nous constatons une baisse des naissances ». Tout en faisant noter un timide engouement des jeunes de la localité à s’approcher des centres de santé pour s’approprier les bonnes pratiques contraceptives, elle dit nourrir l’espoir que ceux-ci puissent davantage fréquenter le centre de santé pour y prendre conseil.

Hamadou Ouédraogo
Minute.bf

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