jeudi 12 décembre 2024
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Tribune – « Burkina Faso : Le président Damiba face à la raison d’Etat de la réconciliation nationale »

Introduction

Certains Burkinabè s’évertuent à dire que le Burkina Faso n’est pas en crise, et qu’en conséquence, il n’y a pas matière quelconque à réconcilier qui que ce soit. Mais, depuis le rapport du 30 juillet 1999 du collège de Sages, institué par le Président Compaoré pour réfléchir sur la situation sociopolitique nationale, la quête de réconciliation n’a cessé d’être invoquée par des structures étatiques, des politiques, des organisations de la société civile. On peut citer entre autres le rapport du 13 septembre 2015 de la Commission de réconciliation nationale et des réformes mise en place sous la Transition, le mémorandum du 13 février 2018 de la Coalition pour la démocratie et la réconciliation nationale (CODER) transmis au Président Kaboré, les recommandations du 27 janvier 2020 du panel des anciens de l’Appel de Manéga. L’on peut aussi rappeler l’abondante littérature sur la nécessité de la réconciliation dont comme celle de Maitre Herman Yaméogo dont nous saluons la constance des interventions sur la question, les ouvrages du journaliste Lookmann Sawadogo, de l’ancien député Lona Charles Ouattara et j’en passe. Les tons sont différents, mais le constat est le même : le Burkina Faso s’en va à-vau-l’eau. Nous avons également publié en août 2021 aux éditions « La Blancheur » un ouvrage de 208 pages intitulé « Burkina Faso, la réconciliation nationale et économique, leçons et perspectives », ouvrage faisant l’analyse de la situation sociopolitique du pays sans langue de bois depuis 1966 et invitant le Président Kaboré à prendre des mesures fortes de réconciliation nationale au risque de voir la situation échapper à tout contrôle. La dernière sortie notable y relative est l’appel à la paix des chefs coutumiers et traditionnels du 30 juin 2022.

L’on peut donc dire sans se tromper que la crise que traverse le Burkina Faso est multidimensionnelle, qu’il y a une prise de conscience générale du besoin de réconciliation nationale à entreprendre, et ce préalablement à tout processus de refondation nationale, afin d’asseoir les bases d’un jeu politique clair et responsable. 

Cependant, il est difficile, sinon impossible d’avoir un consensus national sur l’interprétation de ce passé douloureux et sur les perspectives et mécanismes de sortie de crise. Aussi, l’initiative du Président Damiba, d’accueillir le Président Compaoré au Burkina Faso pour les besoins de réconciliation nationale n’a pas été compris par tous de la même manière, certains en faisant même un acte de défiance de l’autorité judiciaire. 

Il faut plutôt comprendre une mesure exceptionnelle dictée par les nécessités de survie de la Nation. 

I. L’importance de l’unité nationale dans la lutte contre le terrorisme

Les crises majeures sont souvent les conséquences perceptibles ou non des actes de gouvernance au fil du temps et qui, faute de résolution, embrasent progressivement d’autres secteurs sociaux. Dans un pays fortement divisé, il sera difficile que les populations présentent un front uni contre des fléaux majeurs auxquels le pays est confronté. C’est ce visage de division que le Burkina Faso présente de nos jours face à la lutte contre le terrorisme. Faute de resserrement du sentiment d’unité et de solidarité nationale, l’existence de tout le pays peut être compromise. La réconciliation s’avère donc une nécessité pour la reconstitution du tissu social, un tremplin pour renforcer encore plus l’unité nationale afin de faire face à la lutte contre le terrorisme. 

A ce propos, Monsieur Mathieu Pellerin, analyste à International Crisis Group, cité dans un article d’avril 2021 du Journal Jeune Afrique disait que la question terroriste au Burkina Faso est intimement liée à la question de la réconciliation. Pour lui, « Les djihadistes se sont développés au Burkina en exploitant toutes les fractures locales entre communautés, et qu’il convenait de réparer ces fractures et de réconcilier des communautés qui ont commis de nombreuses violences depuis 2016 au Sahel puis dans le Centre-Nord, l’Est, le Nord et dans la boucle du Mouhoun ». Il concluait en disant que « le chantier de la réconciliation est clairement un moyen de freiner l’expansion djihadiste. » 

Au regard de la persistance du terrorisme malgré les sacrifices de la Nation, les efforts des FDS et des VDP,  le Président Damiba, en homme d’Etat, a compris que le tout militaire ne peut pas en venir à bout. C’est en cela que son initiative d’organiser une rencontre de concertation avec les anciens chefs d’Etat trouve toute son importance. Qui plus qu’un ancien chef d’Etat, doit se sentir responsable de la détérioration de la situation sociopolitique du pays ? Qui plus qu’un ancien Chef d’Etat est bien placé pour œuvrer avec ses pairs à l’union des populations ? 

Certes, le besoin de réconciliation recouvre les secteurs politique, économique, militaire, social, culturel, etc. Mais la réconciliation des politiques est le préalable à celle de tout autre secteur. Tant que les politiques n’acceptent pas de faire la paix, de mettre la Nation au-dessus de leurs intérêts, il est illusoire de penser qu’ils vont contribuer résolument à la pacification du pays et à l’apaisement des leurs. Le comportement du Président Kaboré et de ses partisans est le triste exemple de cette réalité politique. 

Il est malheureux que certains citoyens se soient illustrés de la plus triste manière en entravant la tenue de la rencontre de concertation organisée par le Président Damiba. Les pourfendeurs de l’initiative n’ont peut-être pas pris la mesure de la situation nationale et de leurs devoirs envers leur postérité à qui ils doivent léguer un pays apaisé. L’absence de certains anciens chefs d’Etat à cette concertation d’intérêt national est compréhensible au regard des raisons invoquées. Mais il est moins admissible que le Président Roch, dont le régime porte la responsabilité principale de la déliquescence du pays, ait justifié après coup sa défection par des entraves de ses partisans et son attachement prétendu à des principes judiciaires. Pour une personnalité qui a occupé les plus hautes fonctions de l’Etat et qui est resté dans les arcanes du pouvoir durant près de 40 ans, il ne semble pas avoir suffisamment réfléchi sur les suites de son acte. Se prononçant sur la question, le doyen Maitre Titenga Pacéré a trouvé les mots justes lorsqu’il a dit que : «  la justice n’est pas au-dessus de tout. Ce qui est au-dessus de tout, c’est la Nation »

Nous saluons en cela le patriotisme du Président Compaoré pour avoir fait le déplacement de Ouagadougou. Lorsqu’il quittait le pouvoir en 2014, l’intégrité du pays était intacte. Aujourd’hui, une grande partie du territoire national échappe au contrôle de l’Etat central et la survie même de la Nation est en cause. Conscient de la gravité de la situation, il a répondu à l’appel de la Nation malgré son état de santé précaire. 

La sortie de crise du Burkina Faso requiert pour cela l’engagement et l’union de tous les Burkinabè. Et le Président Damiba, exerçant les plus charges de la direction de l’Etat, est la personnalité indiquée pour sonner le rassemblement des Burkinabè pour la cohésion sociale et l’unité nationale. 

II. Les actes du Président Damiba pour des nécessités de réconciliation, non pour une défiance de la justice

Toute société organisée fonctionne suivant des règles assorties de sanctions dont la mise en œuvre incombe à la justice. Mais au sortir d’une crise, si l’accent est uniquement mis sur la dimension punitive de la justice pour solder les comptes, cela peut mettre en danger les processus de démocratisation, de développement et de réconciliation qui sont attendus par le peuple certes meurtri, mais orienté dans sa grande majorité vers l’avenir. A ce propos, les derniers sondages ont en effet révélé que la majorité du peuple Burkinabè est orientée vers l’apaisement et la clémence. De plus, les procès peuvent parfois attiser les antagonismes et gêner le processus de réconciliation nationale incontournable dans le processus d’un État, toute chose que nous avons constaté au sortir du procès du Président Sankara. 

Le système judiciaire de notre pays, à l’instar de beaucoup d’autres, a été conçu lors de l’accession à l’indépendance, alors que les problèmes de cohésion sociale n’avaient pas atteint leur proportion d’aujourd’hui. Si la justice doit s’opposer radicalement à toute initiative de réconciliation alors que la crise prend de l’ampleur, il est à craindre que la Nation elle-même n’en survive pas. Du reste, le silence de la justice et des pouvoirs publics face aux graves atteintes à la Constitution et aux valeurs de la République consécutivement aux évènements d’octobre 2014 est la preuve qu’ils peuvent faire preuve de flexibilité  au regard des rapports de forces, des besoins d’apaisement et de reconstruction du tissu social. Le séjour du Président Compaoré aux Burkina Faso ne constituait pas une situation pénalement plus grave que ces faits tolérés.

Nous devons donc comprendre que la démocratie, en tant que système politique, ne saurait se limiter à son seul cadre institutionnel. Elle doit être capable de corriger ses propres dysfonctionnements en cas de besoin, s’incarner dans un état d’esprit favorisant la tolérance et le retour de la paix, le dialogue entre les communautés et le renforcement de l’unité nationale. Il faut donc se rendre à l’évidence aujourd’hui que la réconciliation est la condition de la restauration de l’autorité de l’Etat, la condition de l’unité d’action face au terrorisme. 

La présence du Président Compaoré au Burkina Faso n’est donc nullement une défiance de la justice, ni un pied-de-nez à qui que ce soit. Pour preuve, le procès du Président Sankara s’est normalement déroulé et les prévenus ont été condamnés au souhait des parties civiles sans aucune immixtion du Président Damiba. Mais le pays est aujourd’hui confronté à un problème de survie, et c’est à la lumière de ces contraintes que l’engagement et les choix du Président Damiba doivent être analysés. La réconciliation est aujourd’hui une raison d’Etat pour notre pays.

III.  Le bienfondé du recours à la raison d’État pour la survie de la Nation

La raison d’État est un mode d’intervention du pouvoir public ou du pouvoir politique qui déroge au droit commun pour les nécessités de survie de la Nation. Au nom de cet intérêt supérieur, des principes ou des attributs de la démocratie sont suspendus ou ignoré pour un temps limité. L’application de la raison d’Etat trouve son fondement dans la reconnaissance des limites de l’Etat de droit à assurer la survie de la Nation en présence d’une situation exceptionnelle. A ce propos, l’article 59 de la Constitution accorde des pouvoirs exceptionnels ou pleins pouvoirs au Président du Faso lorsque les institutions, l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements sont menacées d’une manière grave et immédiate et/ou que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu. 

Mais l’application de la raison d’Etat ne se limite pas au formalisme contraignant de cette disposition constitutionnelle. Dans la mission de gouvernance, la raison d’Etat recouvre les décisions politiques prises par les gouvernants, qui peuvent déroger au formalisme requis pour certaines, mais dont la légitimité et l’importance pour la communauté est fondée. 

L’application de la raison d’Etat dans la réconciliation trouve sa source dans la reconnaissance des limites des mécanismes démocratiques au regard des objectifs à atteindre. Partout où la nécessité de réconcilier s’est posée, il a fallu que les gouvernants aillent au-delà du formel pour la réussir. La situation de l’Afrique du Sud est la plus révélatrice de cet impératif de transcendance. La réconciliation était fondée sur deux pôles : l’amnistie pour les bourreaux en échange de la vérité, sous la direction d’un homme qui a passé un quart de siècle en prison, le Président Nelson Mandela. 

Près de chez nous, à l’occasion de la célébration de la fête de l’indépendance de la Côte d’Ivoire, le Président Alassane Ouattara a accordé en août 2018 l’amnistie à environ 800 personnes poursuivies ou condamnées pour des infractions en lien avec la crise postélectorale de 2010 dont Madame Simone Ehivet Gbagbo. Détail important, l’amnistie a été accordée par ordonnance du Président et non par une loi comme la Constitution le préconise. 

On le constate, la Réconciliation est un choix stratégique pour le renforcement de l’unité, le rétablissement de la paix et la relance du développement. Au-delà de la légalité et du formalisme institutionnel, il faut donc prendre en compte la légitimité et la nécessité des actions posées par le Président Damiba pour la réconciliation nationale et l’unité des Burkinabè, en ayant au point de mire la lutte contre le terrorisme

IV. La réconciliation nationale dans l’intérêt de la jeunesse Burkinabè

Les jeunes constituent la frange la plus nombreuse de la population. Ils sont les décideurs de demain et un futur de labeur les attend. Si la crise que le Burkina Faso traverse doit encore perdurer, il est à craindre qu’elle entrave les politiques de développement, ce qui se fera au détriment des plus jeunes et des générations futures. Aussi, les jeunes doivent plutôt œuvrer, dans leur propre intérêt et dans l’intérêt de la communauté nationale, pour un règlement apaisé de la crise existante, afin d’assurer un nouveau départ pour tous. 

Malheureusement, ce sont eux qui sont le plus réfractaires aux initiatives de réconciliation, sans doute par conviction pour certains, mais essentiellement parce que beaucoup d’ainés dont ils suivent les traces n’assurent pas leur coaching de façon à leur inculquer le respect des valeurs de la république et de leurs responsabilités de gouvernants de demain. Or, quand on mène une lutte dont on ne connait pas les tenants et les aboutissants, on court le risque de causer de grands torts à son pays pour satisfaire les intérêts de leaders peu scrupuleux. 

Aussi, les jeunes Burkinabè doivent-ils plutôt soutenir le Président Damiba dans ses choix stratégiques. Il se présente en effet comme le leader tout indiqué de leur génération, leur porte flambeau dans le combat d’avant-garde visant à les affranchir de l’embrigadement de ces personnalités peu scrupuleuses qui les instrumentalisent pour parvenir à leurs fins. La sagesse avec laquelle le Président Damiba a conduit les négociations avec la CEDEAO, ses sollicitations en direction des anciens chefs d’Etat pour juguler la crise nationale, démarche jamais tentée avant lui, sont illustratives de sa clairvoyance et de sa volonté de réunir les Burkinabè autour du chantier de l’intérêt national. Et à ce jour, aucun gouvernant déchu n’a fait l’objet d’une chasse aux sorcières, alors qu’il y avait bien des raisons et des preuves suffisances pour le faire. 

Conclusion

Aujourd’hui, nous sommes tous des acteurs d’un futur de paix pour les générations futures et nous n’avons pas droit à l’échec. Mais plus que tout, la réconciliation nationale doit être une question centrale pour la jeunesse. Elle a ses repères et ses ambitions ; elle doit mener ses combats pour un avenir prospère et non s’empêtrer dans les affrontements haineux d’autres générations qui les éloignent de leurs objectifs réels et du bien de la Nation. Le pays est actuellement en transition, une période propice pour engager les grandes réformes. C’est l’occasion pour les jeunes, de prendre en main leur destin afin de ne point être des spectateurs passifs de la marche du pays, mais plutôt des acteurs d’un changement qualitatif. La prise en main de leur propre destin par les jeunes suppose d’abord qu’ils s’investissent dans le processus de réconciliation nationale aux côtés du Président Damiba. Il ne s’agit pas de lui accorder un blanc-seing, mais de lui apporter un soutien responsable, constructif et déterminé afin que cette transition marque le départ du Burkina nouveau qui va léguer un pays viable aux générations futures. 

Amadou Traoré

Juriste

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