Cheick Fayçal Traoré, manager de projets, président d’association de développement, promoteur d’un incubateur d’entreprise et représentant pays d’une organisation internationale de consolidation de la paix, a donné sa lecture sur la situation nationale marquée par l’arrivée au pouvoir des militaires reunis autour du Mouvement patriotique pour la Sauvegarde et la Restauration (MPSR). Il a souhaité que les nouvelles autorités du pays puissent faire confiance à la jeunesse en la responsabilisant. Il a aussi formulé le vœu que toutes les actions des nouvelles autorités concourent à la paix et la sécurité pour permettre au Burkina Faso de retrouver sa quiétude d’antan et de se lancer sur la voie du développement.
Minute.bf : Le président Roch Kaboré a été renversé par un coup d’Etat militaire orchestré par le Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR) le 24 janvier 2022. Comment avez-vous accueilli cela ?
Cheick Fayçal Traoré : Nous avons assisté le 24 janvier dernier à un changement de régime anticonstitutionnel parce que ce changement de régime n’a pas respecté les formes édictées dans la constitution burkinabè. Mais c’est un fait qui est arrivé. Je pense qu’il est bon de reconnaître à l’ancien régime sa contribution au développement du pays même si cela n’a pas été la plus parfaite, car entachée par de nombreux échecs retentissants notamment dans le domaine de la sécurité, la bonne gouvernance. Tout cela a pu nous conduire à la situation dans laquelle nous sommes actuellement mais il faut reconnaitre les efforts qui ont été faits parce que dans d’autres secteurs, des choses ont été réalisées pour le bonheur des Burkinabè ces dernières années.
Pour ce qui est de l’avènement de ce nouveau pouvoir, il est important de dire que l’attentisme dans lequel les choses se passent aujourd’hui, c’est-à-dire la neutralité observée par la majorité de la population, est plus ou moins un signal, non de réprobation mais pas non plus d’approbation particulière. C’est tout simplement un espoir qu’on espère voir renaître qui est de faire en sorte que désormais nous puissions aller vers un Burkina Faso retrouvé. Je préfère justement percevoir cet avènement au pouvoir de l’armée comme étant une intention d’aider le pays à se remettre sur les rails de la sécurité mais davantage sur les rails de la paix et du progrès parce que tant que ces éléments ne sont pas réunis, c’est évident que nous serons dans une situation de précarité particulière qui ne nous permettra pas de sortir de l’ornière. Cela fait 60 ans que nous sommes dans ce cycle et à un moment donné, il faut que ça s’arrête pour laisser place à une vie républicaine et harmonieuse qui favorise le développement.
Minute.bf : Le Burkina Faso est confronté à l’insécurité depuis plus de 6 ans maintenant. Quelles sont vos attentes du MPSR sur le plan de la sécurité ?
Cheick Fayçal Traoré : Il est connu de tous qu’aujourd’hui, le Burkina Faso n’est pas un pays de paix. Nous ne sommes pas forcement en guerre mais pas forcément en paix aussi. Nous avons cette insécurité assez importante sur notre territoire en lien avec les groupes armés, l’insécurité ambiante, le grand banditisme qui continuent à écumer les différentes cités. Lorsqu’on n’est pas en paix, la cohésion sociale, le vivre ensemble se retrouvent menacés. Pour le cas du Burkina, nous notons un regain important de conflits intercommunautaires. Des communautés qui autrefois vivaient en parfaite harmonie sont aujourd’hui en situation conflictuelle. Dans les études que l’organisation Interpeace a pu conduire aussi bien dans les 13 régions du Burkina Faso, mais davantage plus spécifiquement dans la région des Hauts-bassins, qui semble être une région, à priori, où il y a encore la paix, nous avons pu noter des relents conflictuels (…).
Il y a des situations où nous avons une cohésion sociale menacée, où le vivre ensemble n’est plus la chose la mieux partagée, la chefferie coutumière qui n’est plus cette force intermédiaire, médiane, neutre et impartiale du fait de son engagement politique, d’une part, mais de sa partialité affichée sur un certain nombre de faits ; la justice qui est accusée d’être partisane et qui fait le lit des frustrations ; la stigmatisation présente dans certaines régions du pays, tous ces éléments contribuent à faire en sorte que la cohésion sociale soit suffisamment menacée. Le grand bloc de tout cela c’est que sur la question de la gouvernance et de l’équitable répartition des richesses du pays, on a comme le sentiment que le plus important n’est pas le taux de croissance, mais de savoir où est cette croissance. Il nous faut aujourd’hui orienter notre progrès de telle sorte que cette richesse qui semble générée soit profitable au maximum de la communauté. Ce n’est qu’à ce prix que nous pourrons apaiser un certain nombre de tensions parce que les tensions au tour des ressources sont de plus en plus importantes et nous devons être à mesure de trouver les mécanismes les plus justes et apporter une réponse à cela. La question foncière, qui est réputée difficile, conflictogène de manière exponentielle est un sujet dès lequel nous devons aller vers une réponse structurée, solide et cohérente avec les communautés. C’est tout un exercice de dialogue, de ciblage conséquent, d’orientation de priorités que nous devons pouvoir introduire dans la nouvelle dynamique vers laquelle nous pensons pouvoir y aller. La question lancinante de participation de tous au développement et à la bonne gouvernance est aussi présente. Nous avons beaucoup de mal à comprendre que dans un pays en crise et en grosses difficultés on fait le choix de ne pas mobiliser toutes les énergies, toutes les intelligences, pour apporter une réponse, une intelligence collective suffisamment solide. Nous pensons qu’aujourd’hui il est essentiel de s’assurer que toutes les composantes des communautés burkinabè participent de manière efficace au développement. Que des conditions soient créées pour assurer cela à tous les niveaux, aussi bien au niveau central qu’au niveau local. Nous pensons que ce n’est qu’à ce prix que nous pourrons apporter des réponses structurelles aux difficultés qui sont vécues par les populations.
Minute.bf : Comment appréhender vous l’arrivée au pouvoir de l’armée ?
Cheick Fayçal Traoré : L’arrivé au pouvoir de l’armée peut être analysée comme étant une situation qui pourrait contribuer à l’amélioration de la sécurité dans notre pays. A priori, cela peut être ainsi, sauf qu’un certain nombre de garanties sont nécessaires. Nous sommes tous d’avis au Burkina Faso que désormais, le tout sécuritaire n’est pas la réponse au terrorisme. Il ne s’agit pas seulement de nettoyer les zones infestées par le terrorisme, parce que nous serons incapables de maintenir une présence militaire constante dans toutes les communautés. La réponse viendrait du tandem que constituera le nouveau gouvernement entre la population et son armée. Comment le lien armée-nation finit par être, au-delà d’un concept, une réalité. Cela passera impérativement par le rétablissement de la confiance entre l’Etat et les populations. Il est important qu’aujourd’hui, les populations voient en l’Etat burkinabè la solution à leurs préoccupations. Il est aussi important qu’ils perçoivent l’Etat burkinabè comme leur affaire de telle sorte que chacun se mobilise pour apporter quelque chose. Il faut, à partir de ce moment, ramener l’espoir. Il faut faire en sorte que le Burkinabè espère, rêve, croit que l’Etat est avec lui et que lui, fait partie de cet Etat. Il est important que le nouveau pouvoir mette en place un mécanisme qui renforce le dispositif sécuritaire, qui facilite la participation de tous à la lutte contre le terrorisme. Des initiatives peuvent être développées dans ce sens. Il est aussi important que dans ce qui doit être engagé, la vertu, la probité, la bonne gouvernance soient au cœur des actions du nouveau gouvernement. Tant que les Burkinabè auront le sentiment qu’on cherche à les gouverner pour s’enrichir, pour mal agir, cela ne passera pas. La bonne gouvernance passe également par le choix des bonnes personnes pour assurer les tâches. Cette situation ne doit pas être comme la transition en 2015, elle doit aller au bout, parachever son œuvre par l’instauration de fondements solides vers une nation forte, résolument démocratique. Cela passe naturellement par des réformes structurelles importantes.
Minute.bf : Quelles sont vos attentes de ce nouveau pouvoir pour la jeunesse burkinabè ?
Cheick Fayçal Traoré : Les attentes particulières pour la jeunesse sont qu’elle a besoin d’espoir. Il faut lui donner de l’espoir, créer les conditions pour qu’elle continue à espérer, qu’elle finisse par dire : le Burkina Faso est l’eldorado pour moi. Cela passe par une réponse autre que celle qui a été offerte jusque-là. Il est essentiel de faire confiance aux jeunes. Des jeunes responsabilisés feront rêver les autres, mais les bons ; ceux qui ont la capacité d’apporter des réponses justes. Ce pouvoir a le devoir de le faire.
L’un des éléments importants c’est de reconnaitre qu’on ne peut pas apporter une réponse aux générations présentes et à celles à venir sans les impliquer. Il faut oser donner à la jeunesse burkinabè ce qu’elle mérite : les conditions, l’écosystème pour démontrer son plein potentiel. Avec peu on fait des merveilles déjà, avec davantage c’est évident que la jeunesse burkinabè finira par être la locomotive du développement de ce pays. Cela ne peut pas arriver si on continue de faire de la question de la jeunesse, juste des questions politiques ou populistes. Il est essentiel d’en faire une question de développement. La jeunesse d’un pays est le baromètre de ce pays. Si la jeunesse burkinabè va mal, le pays ira mal. Si elle va bien, le pays ira bien. Joseph Ki-Zerbo l’a dit : « une société qui ne donne pas à sa jeunesse les moyens de s’autonomiser est suicidaire. » Si on arrive à asseoir de bons fondements pendant cette transition, on aura contribué pour beaucoup à une transformation totale de notre pays, ce, pour longtemps.
Minute.bf : Votre mot de fin ?
Cheick Fayçal Traoré : Nous souhaitons à notre pays de sortir rapidement des difficultés dans lesquelles nous sommes et d’amorcer résolument sa marche vers le progrès et le développement, avec tous ses fils et filles, main dans la main.
Propos recueillis par Armand Kinda
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