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vendredi 29 mars 2024

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Décision du tribunal administratif : « Nous allons faire appel… » (Me Kam)

L’Etat burkinabè avait été attaqué en justice par des magistrats sur à les coupures de salaires opérées chez certains d’entre eux pour fait de grève. L’audience s’est tenue dans l’après-midi du vendredi 17 avril 2020 au tribunal administratif de Ouagadougou. La défense a quitté la salle d’audience pendant le procès mais cela n’a pas empêché le tribunal administratif de rendre sa décision. Ainsi, il a été ordonné à l’Etat burkinabè de cesser les coupures de salaires entreprises pour le mois d’avril. Le ministre en charge de l’économie et quatre autres autorités administratives ont été condamnés à une astreinte de 10 millions de F CFA par jour de retard dans l’exécution de la décision. Dans cette interview qu’il a accordée à Minute.bf le samedi 18 avril à son cabinet à Ouagadougou, le conseil de l’Etat burkinabè, Me Guy Hervé Kam réagit à cette décision et répond à bien d’autres questions…


Minute.bf : D’abord, quelles appréciations faites-vous de la décision du Président concernant les remises de peines de certains prisonniers dans le but de lutter contre la propagation du coronavirus ?


Me Guy Hervé Kam : Puisque vous parlez du coronavirus, je vais profiter de votre micro pour témoigner toute ma solidarité à toutes les personnes qui sont attaquées, soit parce qu’elles sont malades, soit parce qu’elles ont perdu quelqu’un à cause de cette pandémie. Aussi, voudrais-je rappeler à tout le monde, l’importance des gestes barrières pour pouvoir lutter contre cette maladie.

En ce qui concerne la remise des peines, il s’agit d’un nombre important de détenus et l’objectif affirmé par le chef de l’État, c’est de pouvoir éviter que cette pandémie ne s’installe dans les endroits pareils quand on sait aussi la promiscuité qui existe dans ces lieux-là. A travers donc une remise partielle des peines qui s’assimile au droit de grâce qui est de la compétence du chef de l’État. J’avoue que personnellement, je n’ai pas porté un regard particulier pour la simple et bonne raison que le droit de grâce est son domaine régalien et comme il le fait chaque année à l’occasion de la fête nationale ou des fêtes de fin d’année. Le faire à l’occasion de cette pandémie pour protéger la santé des populations et partant, de la santé des détenus, à priori, quand j’ai entendu cela, je ne pouvais qu’apprécier positivement.


Minute.bf : Mais, vu que cela a provoqué une passe d’arme entre le ministre de la justice et les magistrats, quelle est votre réaction ?

Me Guy Hervé Kam : Quand j’ai vu cette passe d’arme entre le ministre de la justice et des magistrats, je dois avouer qu’on est habitué aux passes entre le ministre de la justice actuel et les syndicats de magistrats, à tel point qu’en ce qui me concerne, franchement, je n’ai pas accordé de l’importance à cela pour aller vérifier. Je me suis dit que cela rentre dans les habitudes qu’on a en ce moment de voir le ministre de la justice en opposition avec les syndicats de magistrats sur pratiquement tous les sujets. Quant à la question de savoir qui a raison, qui a tort, pour être honnête, je ne me suis pas posé la question. Dans la vie, dans tous les domaines, c’est comme cela. Quand quelque chose devient pratiquement courant, cela n’intéresse plus personne.

Minute.bf : Revenons à l’audience du 17 avril 2020 au tribunal administratif de Ouagadougou. Pouvez-vous nous dire pourquoi vous avez claqué la porte pendant le procès ?

« …au niveau du tribunal administratif, la question de la récusation n’est pas spécifiquement réglementée contrairement aux autres juridictions… »

Me Guy Hervé Kam : Nous sommes des avocats et notre rôle, c’est d’assurer le conseil, la représentation et la défense de notre client. Pour ce qui concerne l’audience d’hier (vendredi 17 avril 2020, ndlr) au tribunal administratif, je dois vous dire que c’est dans l’après-midi du mercredi 15 avril que l’agent judiciaire du trésor a reçu la notification des recours qu’il nous a transmis en nous demandant de nous constituer. Lorsque nous avons vu que le tribunal avait notifié le recours et avait donné un délai jusqu’au 16 avril à 10 heures pour conclure, parce que l’audience était prévue pour 13h, nous avons écrit au tribunal pour dire que ce délai qui ne valait même pas 24h était anormalement bref et ne nous permettait pas de défendre au mieux les intérêts de notre client. Comme je l’ai dit, l’avocat représente et défend, il n’est pas un faire-valoir.
Le tribunal nous a répondu le lendemain 16 avril pour dire qu’au lieu de 10h, il nous donnait jusqu’à 15h pour déposer nos écritures et que l’audience qui devait se tenir le 16 avril à 13h était prévue désormais le 17 avril à 10h. Si on fait le recul, on se rend compte que pour une notification reçue le 15 avril dans l’après-midi, on nous demandait de présenter notre défense le 16 avril, à 15h. A peine 24h, ce qui n’était pas suffisant.

De notre première observation du dossier, nous nous sommes rendu compte que la question de fond qui était posée, était de savoir si le juge du tribunal administratif de Ouagadougou notamment, vu qu’il y a d’autres recours dans d’autres juridictions, pouvait oui ou non, examiner la demande étant donné que cette demande visait à ordonner la cessation des coupures de salaires pour travail non effectué pour le mois d’avril. Lorsque nous nous sommes rendu compte que le juge, le président du tribunal administratif lui-même était concerné par ces mesures, notre analyse du statut de la magistrature, du code de la déontologie des magistrats et de l’ensemble des textes, notamment, la charte africaine des droits de l’homme, la constitution burkinabè, le pacte international sur les droits civils et politiques qui reconnaissent le droit à tout justiciable à un tribunal indépendant et impartial, ne pouvait pas être respecté. Nous avons alors demandé la récusation du juge.

Vidéo: Me Guy Hervé Kam explique la raison pour laquelle il défend l’Etat burkinabè dans ce dossier

Il faut dire qu’au niveau du tribunal administratif, la question de la récusation n’est pas spécifiquement réglementée contrairement aux autres juridictions. Dans le droit, on a l’ordre juridictionnel et l’ordre administratif. Dans l’ordre administratif, ce n’est pas réglementé mais comme ce sont des principes généraux de droits, cela s’impose au tribunal administratif. Sinon, il n’y a aucune procédure en matière de la récusation qui est prévue pour le tribunal administratif. Mais la procédure est strictement réglementée pour l’ensemble des autres juridictions.

Donc, nous sommes allés devant le juge et nous lui avons dit que pour des raisons légitimes, pour des motifs sérieux, il n’était pas possible que nous ne doutions pas de son impartialité, dans la mesure où lui-même a un intérêt personnel, immédiat et direct à la décision qu’il allait rendre. Le juge est passé outre et a dit qu’il pense qu’il va être impartial. Nous lui avons dit que ce que le juge pense n’est pas important, ce que nous pensons n’est pas important, c’est l’apparence que la justice donne qui est importante. Est-ce que toute personne qui va entendre qu’un juge a jugé une affaire dans laquelle lui-même avait un intérêt personnel, est-ce que l’homme moyennement doué de raison pourrait penser que ce juge-là peut être impartial ? La réponse est non! Nous avons rappelé au juge que le code de déontologie des magistrats prévoit que lorsque dans une affaire, un juge sait que pour des motifs raisonnables, son impartialité peut être suspectée, il doit s’abstenir de juger. Pour cette raison, nous avons dit que le juge ne pouvait pas juger, mais il est passé outre.
Lorsque nous avons voulu faire des observations tout simplement parce que le dossier est Etat burkinabè contre Son Ali et 126 autres; contre Nacoulma Téné Marie et 5 autres, alors que Son Ali est un magistrat de même que Nacoulma Téné Marie. Et dans la loi, un magistrat ne peut pas représenter quelqu’un, qui qu’il soit, devant la justice. Nous avons demandé à vérifier où sont les actes de mandats et le président nous a dit qu’on ne pouvait pas parler tout simplement parce que nous n’avons pas écrit. Pourtant, on ne nous a pas donné le temps de le faire, parce que nous n’avions que moins de 24h. Nous avons estimé que si nous devons mettre nos robes d’avocats, être dans une salle d’audience et ne pas pouvoir faire d’observation, qu’est-ce que nous devons faire? Nous devons sortir. C’est ce que nous avons fait. C’est aussi simple que cela.

Minute.bf : Malgré tout, la décision a été rendue, le tribunal administratif a condamné l’Etat burkinabè à la cessation des coupures de salaire pour fait de grève. Une décision assortie d’une astreinte de dix millions à payer à chaque jour de retard. Quelle appréciation faites-vous de cette décision ?

Me Guy Hervé Kam : Déjà, bien entendu, nous ne sommes pas d’accord avec cette décision et nous allons faire appel. Mais, le simple fait que la décision ait été rendue nous conforte qu’en réalité, rien ne pouvait empêcher que cette décision soit rendue. Donc, l’idée de saisir la justice n’était tout simplement qu’un artifice pour en fait habiller la décision que les magistrats voulaient prendre.

En ce qui concerne les astreintes, je dois vous dire que les astreintes n’ont pas été prononcées contre l’Etat. Elles ont été prononcées contre des personnes que sont le ministre des finances, le Directeur général (DG) du trésor et de la comptabilité publique, le DG du budget, le directeur de la solde et le payeur général. J’étais à l’audience et en tant que conseil de l’État sur tous les actes de la procédure, ce que je peux vous dire, c’est que ces personnes n’ont pas été convoquées par le juge. Elles n’ont pas été mises en cause tout simplement parce que le juge a notifié le recours à l’agent judiciaire du trésor et quelques heures après, il a envoyé une lettre au même agent pour lui dire que la notification est faite au compte de l’Etat et au compte de ces personnes-là. Nous avons repondu pour dire au juge que l’agent judiciaire du trésor représente l’Etat et les démembrements de l’Etat mais ne représente pas des personnes physiques fussent-ils des ministres. Donc, veuillez à notifier à ces personnes qu’elles sont poursuivies. Chose que la justice n’a pas faite parce qu’elle était pressée pour rendre des décisions et le temps de notification pouvait la retarder. Ces personnes ont donc été condamnées sans savoir qu’il y avait une procédure contre elles.

Deuxième élément, au-delà du fait de dire qu’on ne peut pas prononcer des astreintes contre l’État, c’est que, dans notre droit, le tribunal administratif lui-même ne peut pas prononcer d’astreinte. D’ailleurs, le juge de Ouagadougou a rendu sa décision hier, le juge de Koudougou a aussi rendu sa décision. Mais si vous lisez la décision du juge de Koudougou, il dit expressément qu’il ne peut pas prononcer d’astreinte mais à Ouagadougou, on a prononcé des astreintes. Nous ne faisons aucun doute. Comme nous ne sommes pas d’accord avec la décision, nous allons faire appel et le Conseil d’État va sans doute rétablir l’image de la justice.

Minute.bf : Mais, il est dit que l’État doit s’exécuter. Est-ce que vos clients vont s’exécuter?

Me Guy Hervé Kam : Notre client qui est l’État n’est pas condamné à payer des astreintes. Et comme je l’ai dit, ceux qui ont été condamnés à payer des astreintes n’ont jamais été mis en cause dans ce procès et nous n’étions pas constitués pour ces personnes non plus

Minute.bf : Nous sommes à la fin de notre entretien. Quel est votre mot pour le conclure ?


Me Guy Hervé Kam : Depuis l’insurrection des 30 et 31 octobre 2014, notre pays a connu une évolution et nous sommes actuellement dans ce qu’on peut appeler des répliques systémiques. Vous savez, après chaque tremblement de terre, il y a toujours des répliques. Je pense que nous sommes actuellement dans une phase de réplique et dans cette phase, tout le peuple burkinabè, tous les acteurs, toutes les forces vives ont leur rôle à jouer. Les magistrats ont leur rôle à jouer, les avocats ont aussi leur rôle à jouer, le gouvernement a son rôle à jouer, l’Assemblée nationale a son rôle à jouer, les citoyens ont aussi leur rôle à jouer. Personne ne doit oublier son rôle et penser à ses intérêts personnels.


Propos recueillis par Armand Kinda et Franck Kola
Minute.bf

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