mardi 14 janvier 2025
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Sahel : « La France n’arme pas les terroristes… » (Colonel Arnaud Mettey)

Pendant quelques jours, un convoi militaire logistique français parti de la Côte d’Ivoire pour le Mali a été successivement bloqué au Burkina Faso et au Niger. Que s’est-il réellement passé ? Qu’est-ce qui ne va pas entre la France et ses alliés ouest-africains ? La situation au Mali, au Burkina et au Niger, Opération Barkhane, lutte antiterroriste au Sahel en général ont été au menu des échanges avec le Colonel Arnaud Mettey, Commandant des forces françaises en Côte d’Ivoire. Dans cet entretien accordé au correspondant du journal www.minute.bf en Côte d’Ivoire, il revient sur le partenariat entre la France et certains pays du Sahel dans la lutte contre le terrorisme, la relation entre la France et ses anciennes colonies. C’est une interview exclusive réalisée en collaboration avec le journal Dernière heure monde de Côte d’Ivoire. Lisez plutôt!

Minute.bf: En novembre dernier, au Burkina Faso, les populations de la ville de Kaya ont fait barrage à un convoi militaire français parti d’Abidjan. Que s’est-il réellement passé ?

Arnaud Mettey : Effectivement, le 18 novembre 2021, un convoi logistique français parti de Côte d’Ivoire pour ravitailler l’opération Barkhane, au Niger puis au Mali, a été successivement bloqué au Burkina Faso, d’abord, dans la région de Bobo-Dioulasso, puis dans celle de Ouagadougou, et surtout dans la ville de Kaya, au nord-est de Ouagadougou. Donc ce convoi, c’est un convoi logistique qu’on appelle « voie sacrée », qui est un convoi régulier. Il y a un petit peu plus de cinq à six par an, et donc ce convoi traversait le Burkina Faso au titre de l’accord de libre circulation que nous avons avec le Burkina Faso dans le cadre de ces convois. C’est pourquoi ce convoi était escorté par la Gendarmerie du Burkina Faso, et donc il était bloqué dans la région de Kaya. Il s’est repositionné en arrière, le temps que la situation sécuritaire soit réglée entre les autorités burkinabè et les manifestants burkinabè, et depuis il a repris sa progression. Donc, il a pu atteindre le Niger.

Minute.bf : Les populations ont accusé l’armée française d’avoir tiré sur les manifestants burkinabè faisant plusieurs blessés. Qu’en dites-vous ?

Arnaud Mettey: Effectivement, ce convoi a été victime d’attaque très forte de certains manifestants qui ont essayé de s’emparer de sa cargaison, qui ont essayé d’ouvrir les camions, ou qui ont essayé physiquement de s’en prendre aux soldats français, ou aux conducteurs de ces camions. Donc, la gendarmerie burkinabè, mais également des soldats français, ont procédé à des tirs de semonce, ou à des tirs de sommations au titre d’avertissement. L’ensemble des tirs aurait occasionné des blessés parmi les manifestants, nous n’avons pas la confirmation exacte. A notre connaissance, il n’y a pas de blessé parmi la population, parmi les manifestants, du fait des tirs des soldats français. Ces tirs ont bien été effectués en appui à l’action des gendarmes burkinabè.

Minute.bf: Donc voulez vous dire que les manifestants se sont rendu sur l’aire où étaient stationnés les soldats français ?

Arnaud Mettey ; Tout à fait ! Les soldats français étaient stationnés dans une entreprise qui avait un grillage, donc le convoi était isolé de la route, il était retranché de la route, le temps de permettre justement à la gendarmerie burkinabè de régler la situation avec les manifestants. Les manifestants, notamment certains éléments durs, certains agitateurs, ont essayé de s’approcher de l’entreprise, puis de couper les grillages, et de rentrer dans l’emprise où était regroupé le convoi français pour assurer une meilleure protection de tout le monde. Et c’est dans ce cadre qu’il a été procédé à des tirs de sommation, à la fois par des gendarmes burkinabè et des soldats français.

Minute.bf: Les populations accusent la France d’armer les terroristes, et ne comprennent pas que la France soit là pendant que leurs pays subissent autant de revers face à des groupes armés terroristes. Que leur répondez-vous ?

Arnaud Mettey: C’est un élément qu’on entend très souvent. Bien entendu, tout ceci est complètement faux ! La France n’arme pas les terroristes, la France combat les terroristes. Elle combat les terroristes djihadistes depuis plus de huit ans maintenant au Sahel. D’abord, dans le cadre de l’opération Serval, en 2013, puis à la fin de 2014, l’opération Barkhane. Et nous combattons les djihadistes au Sahel aux côtés des armées nationales de ces pays, aux côtés des armées conjointes de la force du G5 Sahel, et aux côtés des 13 000 soldats de la Mission des Nations Unies au Mali. Ce convoi était un convoi logistique, mais bien-sûr nous n’armons pas les djihadistes, puisque nous les combattons, et je rappelle également que dans le cas particulier du Burkina Faso, il n’a pas souhaité l’appui de la France dans la lutte qu’il mène contre le terrorisme sur son sol. Donc, nous n’avons pas à intervenir au détriment de la souveraineté des Etats.

Minute.bf: Mais avec autant de forces regroupées dans le sahel, armée française, onusienne, G5 sahel, pourquoi n’arrivez-vous pas à mettre un terme à la menace djihadiste dans la région ?

Arnaud Mettey: C’est très simple ! L’opération Serval faisait face à des groupes armés dont l’objectif était de s’emparer de Bamako et d’autres capitales des pays du Sahel. Donc, ces groupes armés combattaient dans un objectif de conquête territoriale, l’opération Serval et l’opération Barkhane ont arrêté ces groupes terroristes. Aujourd’hui, ces groupes ne sont plus du tout capables de conquérir un territoire, de se créer un sanctuaire djihadiste, et donc faute d’être capables de réussir à conquérir un territoire, elles ont fait évoluer leur mode d’action. Aujourd’hui, leur mode d’action se limite à du terrorisme. Le terrorisme, ce n’est plus de s’en prendre aux armées, à l’armée française, c’est d’attaquer les populations pour faire régner un climat de terreur. Et c’est pour cela qu’aujourd’hui, l’opération Barkhane se transforme. L’opération Barkhane doit évoluer parce qu’elle n’est plus adaptée pour combattre, non plus des groupes armés qui opèrent de manière globale, mais des terroristes qui agissent de manière isolée par petits éléments.

Minute.bf: De ces incidents qui ont lieu aujourd’hui avec les populations, ne craignez-vous pas pour la sécurité des soldats français ?

Arnaud Mettey: J’ai évidemment toujours une crainte pour la sécurité des soldats français, mais le soldat français est entrainé, rompu au risque et cela fait partie de son métier, et nous assumons parfaitement de combattre et de mourir au Sahel pour les valeurs de la France, et les valeurs de nos partenaires africains. Dans le cas présent, j’ai une plus grande crainte pour la sécurité des manifestants, parce que la plupart, ce sont des gens qui viennent manifester pour de bonnes raisons, pour un sentiment de préoccupation. Il y a en leur sein des agitateurs qui peuvent créer des mouvements de panique, qui peuvent provoquer la prise de risque, et c’est ça que je crains. Je crains beaucoup plus l’action des agitateurs. Ils ont une responsabilité dans ce qui est en train de se passer; s’il y a eu des blessés, des morts, ces agitateurs ont une responsabilité personnelle dans ce qui s’est passé. L’armée française est capable de se défendre, les forces de sécurité burkinabè ou nigériennes qui encadrent ces convois sont capables de remplir leurs missions. J’ai également confiance aux populations africaines, celles du Burkina Faso, du Niger, par rapport à ce qui se passe. Ma crainte, ça reste le terroriste djihadiste et les agitateurs, qui nous font prendre à tous des risques inutiles.

Minute.bf: Aujourd’hui il s’agit de blocage de convoi par les populations, mais est-ce que vous ne craignez pas à l’avenir que ça aille au-delà ?

Arnaud Mettey: C’est une possibilité ! Nous sommes prêts à faire face à l’ensemble des cas de figures. La population pourrait s’en prendre de manière plus générale aux armées françaises par manque d’informations, ou alors plus gravement par désinformations. De manière générale, nous avons le devoir d’informer les populations africaines sur le fait que notre seul ennemi, c’est le combattant terroriste-djihadiste au profit des populations et au profit des pays pour lesquels on s’engage.

Minute.bf: Mais, aujourd’hui, de plus en plus des voix s’élèvent contre la présence militaire française en Afrique de l’ouest. On parle de « sentiments anti-français » dans les médias tandis que du côté des manifestants et de certains mouvements dit panafricanistes, on parle plutôt de « sentiments antipolitique française ». Comment percevez-vous tout cela ?

Arnaud Mettey: Personnellement, je n’ai pas du tout la perception d’un sentiment anti-français. Je n’ai pas ce sentiment non plus d’un sentiment anti-présence militaire française. Partout où nous nous engageons, les populations nous voient combattre aux côtés de leurs armées nationales, et donc elles sont plutôt très favorables à la France, ou alors elles sont plutôt neutres. Et comme vous l’avez dit tout à l’heure, on peut s’interroger sur pourquoi l’opération Barkhane n’arrive pas à totalement supprimer le terroriste-djihadiste ? Je veux dire simplement que ce terrorisme évolue, et l’opération Barkhane doit donc évoluer pour prendre en compte cette nouvelle menace. Ce qui est certain, c’est que certains agitateurs s’agitent contre la présence française, mais cette présence est assez limitée. C’est seulement 5 000 hommes, l’opération Barkhane. Il y a 13 000 hommes de la Mission des Nations-Unies au Mali. Donc, on a des gens qui vont s’agiter plus contre la France par principe, qu’ils vont traduire par une action contre les armées françaises, ils vont surtout s’agiter contre la qualité des relations que la France entretient avec la plupart des pays de l’Afrique de l’ouest. Les populations, elles, sont plutôt amicales avec les armées françaises, elles savent qu’on est engagé à leur côté.

Minute.bf: Pourquoi donc tout ce bruit autour de la présence militaire française; quelle pourrait en être l’origine, selon vous ?

Arnaud Mettey: Il n’y a pas d’explication rationnelle. Déjà, je rappelle que cette présence militaire française est encadrée juridiquement. La traduction concrète de cette présence militaire française, c’est que nous luttons ensemble contre le terrorisme. Cette présence elle est tout en notre honneur, et j’ai l’impression aujourd’hui que ce convoi est plutôt l’otage d’un jeu qui dépasse complètement la simple présence militaire française. On conteste la présence militaire française, il n’y a pas d’explication rationnelle si ce n’est la volonté de contester les liens historiques au nom de l’histoire commune entre la France et un certain nombre de pays de l’Afrique de l’ouest.

Minute.bf: A vous entendre, les populations sont plutôt amicales, alors comment se fait-il que ces populations, que vous jugez amicales, puissent se rebeller aujourd’hui contre la présence de l’armée française au point de demander son départ ?

Arnaud Mettey: Pour moi, ce n’est pas toute la population ! A Bobo-Dioulasso, il y avait une centaine de manifestants, or Bobo-Dioulasso c’est une population énorme de plus de 1 000 000 d’habitants. Donc, une petite partie de la population. Cette population le dit parfois sous l’influence de certains agitateurs, sous certaines influences, par le biais des réseaux sociaux avec les messages qu’on voit circuler qui font courir de fausses informations. Je comprends très bien les populations, quand on fait courir l’information que l’armée française ravitaille les djihadistes, alors que ces populations souffrent de la présence djihadiste, s’inquiètent, ces populations se déplacent pour manifester contre ce qu’elles croient être le ravitaillement des djihadistes. Mais en fait, elles se trompent de cible, parce que ce convoi, qui monte, apporte de nouvelles armes à Barkhane pour lutter contre les djihadistes. Pour moi, on n’est plus sur un phénomène d’incompréhension de la part des populations, par manque d’informations, voire, ce qui est plus grave, par désinformations. Mais encore une fois, je n’en veux pas à l’ensemble de la foule, mais aux quelques agitateurs qui font prendre à la foule, à l’ensemble de notre convoi, des risques absolument inconsidérés.

Minute.bf: Suite à cet incident, le réseau internet a été suspendu au Burkina Faso. Vous en savez quelque chose?

Arnaud Mettey: La France n’a absolument pas le pouvoir de couper le réseau internet dans un quelconque pays que ce soit. Par contre, c’est effectivement de la responsabilité du gouvernement d’assurer notre liberté de circulation. On a pu constater qu’il y avait une coupure du réseau internet, je n’en connais pas les causes.

Minute.bf: On a la Fédération de Russie qui semble montrer ses ambitions, sinon son désir de s’implanter dans les anciennes colonies françaises en Afrique. La Centrafrique et les rumeurs au Mali en sont des exemples. Ne craignez-vous pas pour l’avenir de la France en Afrique ?

J’ignore si la Russie veut s’implanter, veut développer ses propres intérêts. Ce qui est certain, c’est que la France a des compétiteurs en Afrique de l’ouest qui contestent notre présence, ce qui est leur droit. Ce qui est plus gênant, c’est qu’ils le font, semble-t-il, parfois au détriment du droit international ou par la désinformation.

Minute.bf: On a l’impression que les dirigeants des pays cités plus haut montrent leurs intentions de se tourner vers la Russie au détriment de la France, et de son armée, pour le relèvement de leurs pays face aux groupes armés. Comment voyez-vous cela ?

Arnaud Mettey: Je vais prendre l’exemple de la Centrafrique qui est extrêmement éclairant. La Centrafrique s’est tournée vers la Russie, plus singulièrement tournée vers la société militaire privée Wagner, qui n’est pas une société russe à proprement parlée. Son propriétaire est un Russe, les hommes qui composent la société privée Wagner sont des mercenaires russes, mais également d’autres pays. La société Wagner se fait payer quand elle s’engage, elle passe des contrats extrêmement avantageux pour la société privée plus que pour le pays qui l’accueille et qu’elle est censée appuyer. Ce qui est certain, c’est qu’on peut faire le bilan d’une certaine prédation de la richesse du pays, et on a le constat d’exaction. Un rapport de l’ONU a parfaitement documenté les exactions auxquelles se sont livrés, dans l’Ouest du pays, les mercenaires de la société Wagner. La France ne se fait pas payer quand elle intervient en Afrique de l’ouest. Elle intervient aux titres d’accord internationaux. On entend parler au Mali de la volonté de se tourner vers la Russie ou vers la société privée Wagner, c’est le droit des dirigeants maliens de faire ce qu’ils estiment le mieux pour leur pays. Je rappelle seulement que pour la France, une société privée comme Wagner, coupable d’exactions, n’est pas un partenaire fréquentable. Nous ne pouvons pas travailler à côté d’une société militaire privée de mercenaires qui commettent des exactions au mépris des droits les plus fondamentaux.

Minute.bf: Qu’est-ce qui pousse, selon vous, ces dirigeants à vouloir se tourner vers cette société russe pendant que l’armée française est là ?

Arnaud Mettey: Le gouvernement malien, qui est toujours confronté aux mêmes difficultés dans sa lutte contre les djihadistes au nord ou dans d’autres régions, a sans doute le sentiment ou la perception que la France se désengage de la bande sahélo saharienne. Je suis récemment intervenu au séminaire des chefs d’États-majors de la communauté des Etats de l’Afrique de l’ouest. Mon thème est très simple : « Barkhane se transforme, mais la France reste ». Ce n’est pas un abandon, on change un outil qui n’était plus efficace parce que la menace avait changé et parce que nos partenaires avaient évolué aussi en qualité. Et aussi parce que l’Europe veut s’engager dans un avant Sahel. Donc, l’outil Barkhane se transforme. Mais évidemment, certains pays peuvent avoir le sentiment que la France se désengage, et donc vouloir se tourner vers d’autres partenaires par crainte d’un désengagement de la France. Mais encore une fois, Barkhane se transforme, mais la France reste.

Minute.bf: Ces pays ont-ils intérêt à se tourner vers Wagner ?

Arnaud Mettey: Un Etat souverain, même si on peut constater qu’au Mali effectivement la légitimité du gouvernement est quand même sujette à caution puisqu’il est issu de deux coups d’Etats – et c’est ce que notre président [Emmanuel Macron] a voulu rappeler en parlant de cette situation – je ne suis pas certain que des sociétés militaires privées, qui se font payer par des contrats comme ils le font en Centrafrique sur les exploitations minières, qui commettent des exactions sur le sol de ces pays, soient les partenaires les plus intéressants pour le Mali ou pour tout autre pays d’Afrique.

Minute.bf: Est-ce que cela ne traduit pas quelque part une perte d’influence de la France qui, jadis, faisait rêver les africains, dans ses anciennes colonies ?

Arnaud Mettey: Ce qui est certain, la France, comme tout pays, a des intérêts en Afrique de l’ouest. Ces intérêts, me semblent-ils, sont équitablement partagés avec nos partenaires. On a des intérêts politiques, on a des liens privilégiés qui nous permettent d’agir sur la scène internationale. On a évidemment des entreprises françaises qui ont des intérêts, mais qui agissent dans le cadre de la libre concurrence comme toute entreprise de n’importe quel pays. Les entreprises françaises ne sont pas les seules à faire des affaires dans les pays de l’Afrique de l’ouest, c’est le droit commercial qui prime. La France a des intérêts, mais équitablement partagés. La France a surtout une parole, elle tient ses engagements internationaux. Nous sommes intervenus en 2013 à Serval, à la demande du président malien, nous avons tenu notre parole, nous avons tenu nos engagements internationaux. Et je dirai surtout que la France a des principes, le respect des droits de l’homme, le respect de la liberté d’information. C’est pourquoi on peut considérer que nous sommes un peu absents des réseaux sociaux, parce que nous ne faisons pas courir de fausses ou mauvaises informations sur les réseaux sociaux. Nous communiquons par des voies officielles, par celle de Monsieur l’Ambassadeur, par la mienne aujourd’hui.

Minute.bf: En Centrafrique, en dehors de Wagner, il y a des instructeurs militaires russes qui représentent légalement ou officiellement la Russie. Certaines rumeurs affirment que la Russie serait prête à aider le Mali. Est-ce qu’aujourd’hui, face à cette concurrence russe, la France a les moyens d’apporter une réponse appropriée ?

Arnaud Mettey: La réponse au Mali, et de manière plus générale au terrorisme djihadiste dans le Sahel, n’est pas uniquement militaire. Et c’est bien pour ça qu’il ne faut pas se tromper. La coalition pour le Sahel définit quatre (04) piliers pour lutter contre le terrorisme djihadiste, et seulement deux (02) piliers sont des piliers militaires. Le premier pilier, c’est ce que nous faisons, participer à la lutte contre les groupes armés. Le deuxième pilier, c’est monter les armées africaines en compétences dans lutte contre les groupes djihadistes, c’est ce que nous faisons à la fois par Barkhane qui opère toujours en liaison avec les armées nationales, c’est ce que nous faisons par les missions européennes; donc les armées françaises concourent sur les deux piliers. Dans le cadre de la Coalition pour le Sahel, le troisième pilier, c’est le retour de l’Etat, et le quatrième pilier, c’est le développement. Donc, on voit bien que la solution est globale et dépasse le cadre du simple engagement militaire. La France est engagée sur ces quatre piliers. Nous, armées françaises, sommes engagées sur les deux premiers piliers, mais l’ensemble du réseau français, l’ensemble du réseau diplomatique, l’ensemble du réseau d’appui au développement, est engagé sur les deux autres piliers. Je ne suis pas certain que d’autres compétiteurs, que d’autres pays, soient prêts à s’engager pour une solution durable sur l’ensemble des quatre piliers. Nous sommes bien, pour la France, dans la recherche d’une solution durable à ce qui se passe actuellement au Sahel.

Minute.bf: Vous avez parlé de 4 piliers, notamment celui de monter les armées africaines en compétences, donc de la formation des armées africaines. Ces armées ont-elles à ce jour les compétences pour répondre à une menace si la France arrivait à partir ?

Arnaud Mettey: Nous avons une longue tradition de partenariat avec les armées africaines. La formation n’est jamais un chantier terminé, c’est une action perpétuelle. En plus, il faut adapter cette formation à la menace. Le bilan de l’action des armées françaises en appui à la formation des armées africaines est plutôt bon, après il appartient à chacune de ces armées d’entretenir cette formation. Parfois, et c’est le cas de tous les pays, on délaisse un peu l’armée parce qu’on a d’autres priorités comme le développement économique, l’éducation. Lorsqu’on n’est pas directement menacé on peut avoir tendance à délaisser son volet militaire avec le sentiment que c’est de l’argent qui est mal investi. C’est un constat qu’on peut faire pour l’ensemble des pays européens qui avaient, dans les années 1990 entre 4 à 5% de leurs PIB consacré à l’outil de défense parce qu’on était face à la menace de l’ex Union Soviétique. Aujourd’hui, la France est à 2%. Nous sommes en train de faire une remontée de notre budget de défense. Donc, on remarque que les pays du G5 Sahel sont largement remontés en compétences, et c’est pourquoi Barkhane se transforme pour intégrer ces progrès qu’ils ont fait dans la lutte contre le terrorisme qui est une menace à laquelle on n’est jamais assez préparé. L’agresseur est celui qui a l’avantage parce qu’il a l’initiative. Personne n’est jamais prêt à lutter contre le terrorisme, donc la France s’y est adaptée. Je rappelle qu’on a connu aussi des attentats sur le sol de de la France. Maintenant il appartient aux pays du G5 Sahel et de la franche côtière de s’adapter à la montée de ce nouveau péril, ce qu’ils font avec l’appui de la France.

Minute.bf: Comment voyez-vous l’avenir de la France, militairement parlant, en Afrique de l’ouest, et particulièrement en côte d’ivoire, à court et à moyen termes ?

Arnaud Mettey: Je prendrai l’exemple de Barkhane qui justement évolue. De manière générale, Barkhane se transforme, la France reste. Il faut maintenant que cette présence évolue de manière à mieux faire face à la menace, et on s’aperçoit que la menace, aujourd’hui, c’est celle du terrorisme djihadiste. Il y a trois maitres-mots dans la transformation de Barkhane, c’est accompagner-réassurer coopérer. L’accompagnement, c’est ce qu’on fait exactement au cœur du Sahel avec la mission « Takuba ». Nous participons à la formation de nos partenaires et nous les accompagnons aux combats pour ceux qui sont aujourd’hui confrontés à la guerre sur leurs sols. La réassurance, c’est ce qu’on fait avec l’ensemble du dispositif français en Afrique de l’ouest. Nous gardons un volume de forces significatif qui nous permet d’apporter à nos partenaires africains un complément sur certaines capacités ou les capacités qui leurs manquent, l’appui aérien, l’aérotransport. Et le troisième axe, c’est coopérer. C’est exactement ce que nous faisons sur l’ensemble des pays de la franche côtière, nous coopérons bien-sûr en zone d’opération. Je prendrai l’exemple des forces françaises en Côte d’ivoire que je commande, nous avons de manière générale d’excellentes relations avec la Côte d’Ivoire, également avec les forces armées de Côte d’Ivoire. Dans chacun de nos exercices, nous essayons de le mener et de le monter de manière conjointe avec les forces armées de Côte d’Ivoire. C’est notre manière de coopérer. Nous montrons, chacun, nos compétences respectives par le biais d’un meilleur travail commun qui renforce notre intégration et qui montre notre capacité à opérer ensemble. C’est un peu ça la réponse de la France. Le dispositif, globalement en Afrique de l’ouest, va se transformer de manière à mieux faire face à une menace qui est nouvelle, très dangereuse parce qu’elle est très pernicieuse. Ce que je vois pour le cas de la Côte d’ivoire, eu égard de la qualité des relations entre l’Etat ivoirien et la France, entre les forces armées, et nous avec la commune de Port-Bouët, ceci restera.

Minute.bf: Barkhane, aujourd’hui, c’est 5 100 hommes qui doivent être réduits de moitié. Tout à l’heure, vous parliez de la force « takuba » qui est une force européenne. Quels seront son effectif et sa mission par rapport à Barkhane ?

Arnaud Mettey: Barkhane, aujourd’hui, c’est 5 000 hommes et l’objectif est d’arriver à la fin de 2022, à 2 500 hommes. On a déjà commencé non pas à quitter les emprises du nord Mali, mais on les a transférées à l’armée malienne. Il y a 700 soldats maliens par exemple à Kidal. Donc, on n’a pas du tout quitté, on a transféré nos emprises à des unités maliennes dont nous avons participé à la formation. Je rappelle qu’il y a également 13 000 hommes de MINUSMA qui opèrent au Mali, donc le nord du Mali n’est pas du tout délaisser. Le dispositif français s’est contracté dans l’espace pour se concentrer sur les lieux où il faut combattre physiquement les groupes armés terroristes. Pendant un moment, les forces françaises, c’était seize emprises entre le Mali et les pays de la région. Ces emprises, c’est autant de forces qui sont immobilisées à la protection des emprises plutôt qu’a un travail actif sur le terrain. Donc, la limitation de nos nombres d’emprises, c’est la possibilité de mieux employer les effectifs qu’on met en place. La force « Takuba », c’est dix pays européens aujourd’hui, peut-être bientôt treize avec un horizon visible à seize pays, et une force de 650 hommes. Donc « Takuba » participe à la montée en puissance d’unités de l’armée malienne qu’on appelle les Unités légères de reconnaissances et d’interventions (UERI) ? Ces pays participent à leurs formations, et après ils s’engagent conjointement avec eux. Et le but, c’est bien d’aider ces unités à acquérir leur propre autonomie pour combattre cette menace particulière qui est le terrorisme djihadiste.

Minute.bf: Est-ce que ces unités sont suffisamment entrainées pour tenir ces emprises ? Le fait que vous partez ne va pas donner des idées de reconquête de territoires aux groupes djihadistes que vous avez combattus en 2013 ?

C’est effectivement un risque ! Il est parfaitement identifié. On transfère nos emprises à des unités de l’armée malienne qu’on a préparées à cela. Elles ont fait l’effort d’un supplément de formation, ensuite, le deuxième mot, c’est la réassurance. Nous gardons un dispositif avec nos avions, avec des unités qui nous permettent d’appuyer ces unités de l’armée malienne. On a laissé des petits détachements qui sont capables de faire venir un appui aérien si une garnison était attaquée. Donc, elles ne sont pas seules, elles restent accompagnées par l’ensemble du dispositif européen dans le cas de « Takuba », et français, par ce volet de réassurance.

Minute.bf: En Afghanistan, par exemple, on avait entendu les mêmes choses par les américains, à savoir que l’armée afghane avait été formée, équipée, mais à peine les américains partis, on a vu le résultat avec l’arrivée des Talibans au pouvoir. Ces soldats ont-ils réellement ces compétences qui vous mettent en confiance ?

Arnaud Mettey: Nous avons le sentiment qu’ils sont suffisamment équipés et formés pour y faire face. Et par le volet de réassurance, nous gardons la capacité de les appuyer. Le parallèle avec l’Afghanistan est faux, parce que le théâtre est très différent. Il n’est pas certain qu’il y avait une représentation réelle de la population afghane dans ce qu’était l’armée afghane. Le cadre d’engagement était différent, le conflit était différent. Là, nous agissons bien en appui d’un gouvernement, d’une population, et donc nous avons bon espoir que les unités maliennes bien formées sont capables de faire face aux djihadistes, et sachez encore une fois que par le volet réassurance, nous continuerons de les appuyer.

Minute.bf: Donc la France n’abandonne pas le Mali et la sous-région ?

Arnaud Mettey: La France n’abandonne pas le Mali, c’est une fausse idée ! La France n’abandonne pas l’Afrique de l’ouest, ça passe pour un slogan publicitaire, mais une réalité plus profonde. Barkhane se transforme, mais la France reste. Barkhane se transforme parce que l’outil n’était plus adapté pour faire face à ce que l’on connaissait.

Entretien réalisé par Abou Racisse Regtoumda

Pour Minute.bf

1 COMMENTAIRE

  1. Même si la FRANCE n’arme pas les terroristes nous voulons simplement que la France reconnaisse avec toute humilité sa faiblesse dans le combat contre le terrorisme au SAHEL.par conséquent la France doit nous faciliter la tâche dans la recherche d’autres partenaires.
    La France aura une ci belle renommée en faisant place à une autre puissance.
    Y’a pas de honte à dire qu’on à échoué (rappelons nous des US dans la guerre du Vietnam ou en Afghanistan)

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