« Je ne me sens plus femme comme les autres », « Je ne mouille pas », « Je crois que je ne vis pas le même plaisir comme les autres filles ». Voici autant d’inquiétudes assénées par Maria Sawadogo (nom d’emprunt), cette jeune fille âgée de 27 ans, que nous avons rencontré en octobre dernier à Tampouy, un quartier situé dans la partie nord de la capitale burkinabè.
Il est 18 heures (GMT). Maria Sawadogo arrive devant le jardin où nous l’attendions. Vêtue d’une robe évasée en pagne, les lunettes au bout du nez et son cache-nez bien enfilé (coronavirus oblige), Maria avançait lentement. Ses pas avaient l’impression d’être lourds. En réalité, Maria était beaucoup plus expectante. Elle ne voulait pas être portée sur les projecteurs pour parler d’un sujet qui, pourtant la ronge depuis sa tendre enfance. En effet, Maria a été excisée alors qu’elle était encore enfant, sous l’ordre de sa grand-mère au village. « J’ai demandé à mes parents qui sont tous des instruits, des intellectuels, pourquoi ils m’ont laissée entre les mains de la grand-mère pour être excisée ? La réponse n’était pas surprenante : c’était la tradition même ! Pourtant, selon les informations qui me reviennent, mon père s’était opposé à l’époque. Mais, il n’avait pas le choix. Il fallait céder. A quel prix ? Papa a, pour sa part, fait savoir à la grand-mère que si quelque chose m’arrivait, elle en portera l’entière responsabilité ». Voilà comment, de là, Maria Sawadogo a été privée de son clitoris. Une autre page de la vie s’ouvre donc à elle.
« Je ne me sens plus femme comme les autres… »
Excisée quand elle était enfant, Maria ne se sent pas totalement femme comme les autres filles de son âge. Comment ? En classe de 3e pendant les cours de la reproduction, après les explications de son professeur sur le fonctionnement de l’appareil génital de la femme, elle a donc commencé à écouter le langage de son corps. C’est ainsi qu’elle découvre qu’elle n’était « pas totalement complète » comme les autres filles. « J’ai senti à cet effet que quelque chose manquait en moi. A partir de ce moment, j’ai essayé de comprendre ce qui se passait en interrogeant mes amis et certaines personnes proches. Cela m’a mis face à la réalité. J’étais excisée ; j’avais perdu mon clitoris », balbutie-t-elle sous son masque, le regard dans le vide, laissant ainsi un soupir qui nous plongea tous dans un silence temporaire.
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A 12 ans déjà, elle avait commencé à voir ses menstrues, alors qu’elle était en classe de 6e. Mais ce n’est qu’en classe de 3e qu’elle a pu comprendre qu’elle avait été privée de son clitoris, un des organes sensibles de la femme qui lui procure du plaisir pendant les rapports sexuels, selon certains spécialistes en sexualité. Au premier rapport sexuel, Maria a senti une grande douleur et des saignements. Avec plus d’expectation, elle reconnait que cela peut cependant ne pas avoir de lien avec son état d’excisée car, confirme-t-elle, « les premiers rapports sexuels ont toujours été douloureux et souvent accompagnés de petits saignements chez les filles ».
Même si aujourd’hui Maria ne ressent plus de douleur pendant les rapports sexuels, elle se heurte à un autre problème : « le souci de mouiller (ndlr : sécrétion vaginale) ». Célibataire sans enfant, aujourd’hui Maria milite pour la cause de la femme. Elle dénonce l’excision et lutte contre cette pratique depuis 2016. « J’ai commencé à parler de cette mauvaise pratique autour de moi depuis 2016 parce que je me disais que c’était une injustice que nous avons subie. En réalité, dans notre famille, ma grande sœur et moi avons été excisées, mais heureusement, notre petite sœur a échappé à cette pratique », révèle-t-elle. Depuis lors, elle s’est engagée dans la lutte contre les mutilations génitales féminines (MGF), « cette mauvaise pratique qui prive le plaisir aux femmes pour toute la vie ».
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Dans sa stratégie, elle mène une lutte de proximité avec ses proches, surtout « les vieilles femmes au village », les exciseuses. Elle s’attèle à leur faire comprendre, à travers un argumentaire cohérent appuyé de preuves, que cette pratique est anachronique et qu’il faudrait inéluctablement l’abandonner au risque de « détruire l’avenir des filles, des femmes ». « J’ai déjà échangé avec une vieille femme du village qui m’a fait comprendre que si la jeune fille n’est pas excisée, elle est frivole. Elle m’a révélé qu’elle a dû exciser sa petite fille qui avait 14 ans pour éviter cela », s’indigne Maria, « sidérée » par cet alibi utilisé par certaines personnes pour justifier leurs actes. « Exciser une fille à l’âge de 14 ans est terrible. Elle peut y laisser sa vie », alerte Maria qui a pu échanger avec la « victime », aujourd’hui mère de deux enfants, qui aurait confié à son tour à Maria qu’elle « ressent des douleurs par moment au cours des rapports sexuels avec son mari ». Mais, n’ayant pas d’autres choix, elle s’efforce à être une femme soumise au foyer malgré les douleurs qu’elle subit en tant que femme, dues à l’excision. « La cicatrisation de son excision a beaucoup pris du temps, ce qui a prolongé l’intensité de la douleur chez elle », a fait savoir Maria.
Aujourd’hui, soutenu par une loi qui interdit la pratique de l’excision au Burkina Faso, Maria et ses camarades de lutte ne désarment pas. Il faut mettre fin à cette pratique qui « animalise » la femme, tel est leur credo. Et autour d’une association dans laquelle milite Roukiatou Sedgo, aussi victime d’excision, elles apportent leur contribution dans cette lutte. « De ma propre expérience, quand vous vous retrouvez à parler de la sexualité entre des filles excisées et celles non excisées, vous aurez l’impression que vous ne vivez pas la sexualité de la même manière. On se pose la question souvent à savoir si nous vivons réellement le même degré de plaisir. Il y a des choses que les filles non excisées expliquent que toi qui es excisée, en observant ton corps ou pendant les rapports sexuels, tu n’arrives vraiment pas à sentir ces plaisirs », déplore Maria qui pense qu’il est mieux de laisser toutes les filles s’épanouir pleinement dans leur vie sexuelle, dans leur vie en tant que femme. Elle dit stop à l’excision et invite toutes les personnes qui la mènent à définitivement y mettre fin parce que « c’est une très mauvaise pratique ».
« Ce sont des pratiques qui peuvent conduire à la mort. Même si la personne survit, elle peut être confrontée à des difficultés pendant l’accouchement ou à l’écoulement des menstrues », rappelle Maria. Elle appelle cependant toutes les femmes à se lever, « main dans la main » pour lutter contre cette pratique.
La peur de la lame…
Roukiatou Sedgo fut aussi victime d’excision à l’âge de 10 ans. C’est depuis 2006 qu’elle a commencé à lutter contre l’excision à travers des sensibilisations. Cette lutte a permis d’épargner ses sœurs et aujourd’hui, elle se dit même très heureuse de voir que ses « nièces peuvent vivre sans s’inquiéter d’être excisées un jour ».
« J’ai senti qu’une partie de moi me manquait dès qu’on l’a enlevée. J’ai été excisée quand j’avais 10 ans, en classe de CM2. J’étais déjà dans l’adolescence et je savais quelles étaient les parties les plus sensibles de mon corps », soutient Roukiatou Sedgo, âgée aujourd’hui de 27 ans, mais hantée depuis lors par la « peur de la lame ».
La pratique de l’excision est interdite au Burkina Faso. Mais, pour Roukiatou Sedgo, « il y a cette question de la loi divine et celle de la loi des Hommes », comme le scandent les exciseuses : « ne pas exciser les enfants et subir la colère des dieux, ou, exciser les enfants et subir la colère des Hommes ». Une sorte de dilemme. C’est cette balance qui fait, affirme-t-elle, que « les femmes continuent d’exciser leurs enfants ».
Pour mettre fin à cette pratique, elle appelle hommes, femmes, jeunes et filles, à s’engager dans la lutte en sensibilisant autour d’eux. Seules la sensibilisation et les actions dissuasives pourront aider à stopper cette pratique « traditionnelle », pense-t-elle.
« L’excision n’a aucun avantage… »
« Il n’y a pas d’avantage dans l’excision. Il n’y a que des conséquences », a relevé Cyrille Yankiné, Chef de département Prévention et Accompagnement des victimes de séquelles de l’excision au Secrétariat Permanent du Conseil national de Lutte contre la Pratique de l’Excision (SP/CNLPE). Les conséquences de l’excision sont souvent médicales parce que les filles ou femmes excisées peuvent être victimes du rétrécissement vulvaire, des chéloïdes, de la stérilité, des maladies transmissibles, etc. Toutes ces conséquences peuvent jouer sur la santé de reproduction de la femme si elle n’est pas prise en charge convenablement. De là peut intervenir la mort. En plus des conséquences sanitaires, il y a celles sociales. Sur ce point, il ressort que les femmes qui ont été excisées peuvent avoir des fistules. Cela peut favoriser la stigmatisation ou leur rejet par la société. En plus, déplore M. Yankiné, la petite fille qui est excisée peut être déscolarisée du fait que sa santé l’éloigne des classes.
Le Burkina Faso est l’un des pays en Afrique à avoir adopté une loi contre la pratique de l’excision, à la différence qu’il n’y a pas de loi spécifiquement réservée à la question des Mutilations génitales féminines (MGF). Les articles qui répriment la pratique sont inclus dans le code pénal.
Des dispositions complémentaires sont tirées dans d’autres lois pour que ces articles contenus dans le code pénal soient effectifs, a expliqué Ursule Viviane Taro/Sanon, Chef de département des questions juridiques et des relations avec les acteurs au SP/CNLPE. Au Burkina Faso, confie-t-elle, les députés ont légiféré pour la première fois en matière de lutte contre la pratique de l’excision en 1996. Cette loi a été reprise lors de la relecture du code pénal en septembre 2018. La spécificité dans la relecture est que la loi est devenue un peu plus contraignante aussi bien pour les auteurs que pour les complices. « La loi réserve le même sort aux complices et aux auteurs », explicite-t-elle. Les peines ont été alourdies, dit-elle, rendant ainsi coupable tout discours entrant dans le cadre de la promotion de la pratique de l’excision. Ainsi, l’application de la loi a contribué à baisser la tendance de la prévalence de l’excision au Burkina Faso.
Plusieurs acteurs impliqués dans la lutte
Au Burkina Faso, des leadeurs coutumiers et religieux, des artistes sont impliqués dans cette lutte et certains d’entre eux ont été faits des ambassadeurs de bonne volonté dans le cadre de la promotion de l’élimination des MGF.
Entre 2003 et 2020, ce sont 4231 villages au Burkina Faso qui ont pris l’engagement d’abandonner la pratique de l’excision. En 2020 spécifiquement, 570 villages ont pris cet engagement. Au SP/CNPE, un mécanisme de suivi des déclarations publiques d’abandon de la pratique de l’excision a été mis en place. Ce mécanisme prend en compte les autorités au niveau provincial, communal et au niveau des villages où il y a des cellules de veille de la structure.
Comme autre activité de prévention de la pratique de l’excision, c’est l’intégration des contenues MGF dans les curricula d’enseignement. Cette stratégie est mise en œuvre depuis 2001. Il y a aussi la formation des agents de santé à base communautaire qui sont sous la tutelle technique du ministère de la santé. « Nous avons pensé que ce sont des acteurs clés parce qu’en contact direct avec les communautés, ils pouvaient servir de relais pour la transmission d’un certain nombre de messages contre les MGF », a fait savoir M. Yankiné.
Aussi, les compétences de 675 filles ont été renforcées dans la lutte contre les MGF. Des agents de santé constitués de médecin, attachés de santé, chirurgiens, ont également été formés sur les techniques de réparation des séquelles. « Aujourd’hui, sur toute l’entendue du territoire, nous avons de la compétence pour prendre en charge les séquelles et les complications d’excision », a-t-il confié.
Les acteurs engagés dans la lutte contre les MGF invitent les populations à toujours dénoncer les cas d’excision à travers le numéro vert 80 00 11 12. Tout le monde peut dénoncer des cas d’excision, précise Mme Taro, notant que toute personne qui a une information sur des cas d’excision et qui ne dénonce pas est passible de sanction. En plus de ce numéro vert, toutes les structures qui travaillent en collaboration avec le ministère en charge de la femme ou le SP/CNLPE peuvent recevoir des dénonciations pour des cas d’excision. Il y a aussi la police et la gendarmerie nationale.
Le Covid-19, un frein à la lutte contre l’excision
Le coronavirus a impacté tous les secteurs d’activés depuis son apparition en mars 2020 au Burkina Faso. Le SP/CNLPE n’en est pas en reste. En effet, à en croire Albert Sawadogo, les activités de mobilisation sociale telles que les causeries, les grandes rencontres avec les différentes communautés, ont été impactées par le Covid-19. Le confinement qui rime avec l’absence de mouvement a aussi paralysé certaines actions du SP/CNLPE. Cela a impacté négativement la mise en œuvre de son plan d’action. La mobilisation financière a dû prendre un coup parce que des fonds qui étaient prévus pour appuyer le CNLPE dans ses activités ont été orientés dans la lutte contre le Covid-19. Cela aurait eu un impact sur la mobilisation financière dans la lutte contre les MGF. « La période du Covid-19 qui a restreint la mobilité a aussi joué sur la pratique. Certaines personnes ont sans doute profité de cette période pour exciser leurs enfants. Durant cette période, nous n’avons pas reçu de dénonciation contre cette pratique », a signifié M. Sawadogo.
La mobilisation des fonds ayant été impactée par la pandémie, le SP/CNLPE était obligé de revoir ses stratégies de prévention, de privilégier les émissions à distance (émission radio) et d’autres types d’activité qui ne nécessitent pas un regroupement. Le budget de toutes les activités a été revu en incluant les dispositifs de prévention du Covid-19. « Ce qui a alourdi le budget de prévention et n’a pas permis d’élargir la gamme d’activités qui devraient être réalisées sur le terrain », regrette M. Yankiné.
Armand Kinda
Minute.bf
L’excision est une mauvaise pratique. Il faudra vraiment travailler à y mettre fin. Beaucoup de femmes souffrent aujourd’hui à cause de cette mauvaise pratique. Fistule obstétricales, saignement pendant l’accouchement, bref, beaucoup de conséquences à éviter…
Félicitations à la jeune fille pour son courage d’accepter de témoigner pour donner une leçon contre une pratique dépassée. Félicitations au journaliste pour le formidable rendu de l’histoire.
Merci à Roukiatou Sedgo pour cette lutte à visage découvert. Que Dieu te bénisse. Que toutes les femmes se donnent main dans la main pour contre cette pratique. Merci à Maria pour son témoignage émouvant.